Devenez sorciers, devenez savants
Georges Charpak, prix Nobel de Physique, est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels le très remarquable Feux follets et champignons nucléaires (Odile Jacob, 1997), qu’il présenta en février 1997 face à Michèle Rivassi et à Dominique Voynet dans l’émission “ Bouillon de Culture ”.
Henri Broch est directeur du laboratoire de zététique à l’université de Nice Sophia-Antipolis.
Leur livre est un pamphlet contre ceux qui exploitent l’ignorance et les peurs de leurs semblables. Les radiesthésistes, numérologues, fakirs, télékinésistes, magnétiseurs et astrologues prodiguent conseils, soins et consolations à des millions de Français en échange de l’argent qu’ils gagnent. Après tout dira-t-on, ils font leur métier…
Mais il y en a d’autres, dont les motivations ne sont pas vénales mais idéologiques, et qui n’hésitent pas à utiliser les mêmes moyens comme un levier politique puissant !
On nous présente “un monde fécondé par la science et vérolé par les superstitions ”, on nous propose quelques éléments de calcul des probabilités pour montrer que les coïncidences sont beaucoup plus nombreuses qu’on ne pourrait le penser, en raison du très grand nombre d’événements extraordinaires indépendants susceptibles de se produire dans le monde.
Les voyants, nous dit-on, utilisent intelligemment l’art de proposer à leurs clients un discours vague dans lequel tout le monde se reconnaîtra… Personne n’ayant le privilège de toujours se tromper, même un astrologue fera quelquefois des prédictions qui se révéleront justes… Les astrologues d’ailleurs ne connaissent que peu de choses sur ce qui se passe réellement dans le ciel !
On nous présente beaucoup d’exemples de prédictions démenties par les faits, de radiesthésistes incapables de détecter l’eau (ni avec un pendule ni avec une baguette), de sottises proférées avec aplomb sur la nocivité des faibles radiations (par des organismes qui se prétendent indépendants et se voudraient respectables).
On nous fait rire et pleurer avec l’histoire d’une thèse de sociologie obtenue par une voyante célèbre. On nous explique les meilleurs trucs des grands prestidigitateurs pour nous aider à mieux comprendre comment il est facile d’abuser l’opinion publique.
On stigmatise la désinformation et la sottise, avec des pages féroces sur les organismes dits indépendants qui pratiquent une “ diabolisation saugrenue de la radioactivité ”, sur les astrologues et les numérologues. La classe terminale d’une grande ville a organisé une réunion vantant le rôle grandissant des sciences parallèles dans le recrutement en entreprise !… L’on regrette que l’Éducation nationale prête son concours à ce qu’Albert Jacquard appelle des entreprises de crétinisation de notre culture : “ Transformer les citoyens en moutons soumis, écrit-il, est le rêve de bien des pouvoirs, les intoxiquer de parasciences peut être fort efficace. ”
Seules la science et les techniques sont capables de satisfaire les besoins de l’humanité, notamment d’améliorer l’environnement, la santé, l’alimentation (les bienfaits des biotechnologies), notamment de fournir l’énergie abondante dont nous avons besoin (pour que les plus pauvres puissent vivre dignement) : “ Non seulement les 3 milliards d’individus supplémentaires réclameront leur part d’énergie nécessaire à une vie décente, mais les changements climatiques engendrés par une exploitation irresponsable des ressources énergétiques peuvent produire des catastrophes qui jetteront des centaines de millions d’êtres sur les rivages des pays épargnés. ”
“ Alors que les États-Unis, le Canada, la Chine, l’Inde et l’Argentine ont entrepris de développer des millions d’hectares d’organismes génétiquement modifiés, nous assistons en France aux exploits de commandos qui se croient autorisés à arracher des plants, fruit de dix années de recherche par des groupes de laboratoires universitaires français. Le seul résultat certain c’est qu’ils œuvrent pour la suprématie des États-Unis. ”
Sachant franchir allègrement les frontières du domaine de la science et se réclamer de l’art, de la poésie, de la philosophie nos deux auteurs s’écrient : “ L’extraordinaire richesse spirituelle de l’homme ne s’exprime pas seulement dans ses démarches scientifiques. ”
Après avoir déclaré dans leur introduction : “ Nous ne voulons en aucun cas imposer une pensée unique, fût-elle scientifique, nous militons pour le doute, le scepticisme et la curiosité ”, ils nous apportent leur conclusion : “ Contre l’analphabétisme scientifique, le véritable antidote est l’éducation. ”