Devenir et rester une biotech de stature mondiale
La majorité des start-ups du secteur des biotechnologies ne survivent que quelques années, et seul un nombre restreint atteint le stade d’entreprise majeure du secteur. Faut-il pour autant devenir une grande entreprise indépendante pour connaître le succès ? À quels stades du développement et comment la sélection s’opère-t-elle ?
REPÈRES
Amgen et Genentech (en cours de rachat par Roche), les deux plus grosses entreprises de biotechnologies en termes de revenus et de capitalisation boursière, illustrent deux des modèles possibles de succès.
Le premier consiste à devenir une entreprise intégrée et indépendante, s’appuyant à la fois sur le développement et la vente de ses produits, et se finançant essentiellement par les résultats de son activité commerciale. C’est le modèle suivi par Amgen qui s’est imposée comme une entreprise prépondérante parmi les grands acteurs pharmaceutiques mondiaux.
Un autre modèle consiste à devenir une entreprise essentiellement focalisée sur la R&D, qui confie à d’autres la vente, sous licence, d’une partie de ses produits, voire leur développement final. C’est le modèle vers lequel Genentech semble évoluer au fur et à mesure de son intégration au groupe Roche.
En schématisant, trois étapes rythment la vie d’une biotech : un début comme start-up, un développement à taille petite ou moyenne et, pour les plus durables, la transformation en grande entreprise.
LES ÉTAPES
L’idée et la finance
La naissance d’une start-up résulte de la rencontre fructueuse de trois éléments : un ou plusieurs entrepreneurs qui apportent une idée, et parfois des actifs, des investisseurs financiers prêts à prendre des risques, et un environnement favorable à la propriété intellectuelle.
Réunir une première équipe et convaincre de la pertinence des concepts
Le rôle de l’entrepreneur est évidemment critique : doté d’un solide bagage scientifique, il apporte l’idée à l’origine de la start-up et souvent des actifs majeurs tels que les molécules, les technologies, le savoir-faire, les collaborations et les réseaux. Armé de ce bagage, il doit réunir une première équipe, et convaincre ses interlocuteurs, en premier lieu les investisseurs, de la pertinence du ou des concepts développés.
Divers types d’investisseurs
Le profil type des investisseurs varie selon les pays ; aux États-Unis, le modèle des venture capitalists et business angels est particulièrement développé, et de nombreux investisseurs sont prêts à investir dans des start-ups, dans un but parfois quasi philanthropique. En France, les fonds d’État tels que ceux de la Caisse des Dépôts ou les fonds régionaux jouent un rôle important en se situant à la frontière entre l’aide à la recherche et les investisseurs financiers privés. La récente modification de l’ISF dans le cadre de la loi TEPA de l’été 2008 ouvre aussi de nouvelles perspectives au financement des start-ups par des particuliers.
Les investisseurs financiers ont un rôle crucial et sont appelés à supporter un risque sans commune mesure avec des placements plus classiques tels que les actions d’entreprises établies. Le risque mais également les gains possibles sont plus grands si la société cherche à produire un médicament ; les start-ups offrant des services biotech présentent souvent un profil de risque et de rendement sur investissement moindre. L’ordre de grandeur de la mise initiale peut aller de quelques centaines de milliers à 2 ou 3 millions d’euros, et représente un investissement à long, voire très long terme.
Enfin, troisième élément indispensable à l’éclosion d’une start-up de biotechnologies, la solidité de la propriété intellectuelle sur les actifs clés (molécule, technologie). En fait, la valeur de la biotech est si dépendante de la propriété intellectuelle que toute incertitude ou tout délai dans ce domaine découragera, souvent irrémédiablement, les investisseurs.
Au-delà du laboratoire
Gagner des étapes
La plupart des entreprises signent des accords avec des entreprises plus grosses qui vont prendre en charge sous licence les phases finales du développement et la commercialisation des produits. Cela permet à la jeune entreprise de s’épargner, au moins dans un premier temps, les étapes coûteuses de développement final et de commercialisation du produit, tout en profitant des rentrées d’argent engendrées par les paiements contractuels et les royalties sur les ventes.
L’étape suivante de la vie d’une entreprise biotech commence lorsque celle-ci génère les premières » preuves » que les hypothèses de départ peuvent » fonctionner » (proofs of concept) ; il s’agit souvent de résultats scientifiques, sanctionnés par des accords avec de grands groupes pharmaceutiques ou par des articles dans des revues scientifiques majeures.
D’un point de vue organisationnel, l’entreprise commence à changer d’échelle. Alors qu’elle comptait en général moins de 10 salariés dans sa phase de naissance, elle va au cours de cette phase croître jusqu’à avoir de 50 à 100 salariés. L’enjeu est alors à la fois de parvenir à recruter les meilleurs scientifiques, de développer une culture d’entreprise permettant de faire travailler en harmonie l’équipe fondatrice et les nouveaux venus, et enfin de structurer l’entreprise et ses processus pour la rendre compatible avec son changement d’échelle.
La consolidation
L’entreprise change de nature lorsque les résultats des recherches commencent à devenir exploitables commercialement.
Recruter les meilleurs et développer une culture d’entreprise
Cette étape, qui impose un nouveau changement d’échelle, oblige non seulement l’entreprise à chercher davantage de fonds au-delà des bailleurs historiques (c’est souvent l’occasion d’une entrée en Bourse), mais surtout à prendre des choix stratégiques critiques et à adapter son organisation.
À ce stade, l’entreprise peut alors choisir d’évoluer vers différents business models. Le premier consiste à continuer sa focalisation sur la R & D, et confier le développement sous licence et la commercialisation de ses produits à d’autres entreprises pharmaceutiques, jusqu’à être, en général, rachetée par un grand groupe. La deuxième option vise au contraire à acquérir la capacité à effectuer en interne le développement complet de ses propres produits, puis leur commercialisation, et de générer ainsi des flots d’argent directement liés aux ventes.
Investir massivement
Si trouver des drug hunters est critique, l’entreprise doit également fournir à ces chercheurs les moyens nécessaires à leurs découvertes. Ainsi doit-elle investir massivement dans la R & D aux premiers stades de son développement. L’un de nos exemples, Genentech, a investi jusqu’à 51 % de ses revenus dans la R & D dans les années quatre-vingt-dix.
LES CLÉS DU SUCCÈS
Comment expliquer la réussite d’un petit nombre d’entreprises de biotechnologies là où de nombreuses échouent ?
Sérendipité et talents
La condition la plus évidente mais la plus critique au succès d’une entreprise de biotechnologies est la découverte d’une ou plusieurs molécules performantes. C’est un événement rare et aux conséquences décisives ; l’entreprise doit tout mettre en oeuvre pour favoriser son occurrence… dans la mesure de ce qui est en son pouvoir.
Au-delà du pari initial, sur telle(s) ou telle(s) molécule(s) ou technologie(s), il est indispensable pour l’entreprise de trouver quelques-uns de ces rares scientifiques, aux qualités et à l’instinct exceptionnels, qui ont le don de découvrir de futurs médicaments performants (drug hunters).
Comme il est impossible de les identifier a priori, l’entreprise doit être capable d’attirer et de retenir les meilleurs scientifiques et » innovateurs « , internationaux, parmi lesquels se trouveront peut-être les perles rares recherchées. Offrir aux chercheurs une culture d’entreprise et un environnement de travail stimulants est un critère essentiel pour séduire les talents. Par exemple, des fondateurs charismatiques, des conseillers scientifiques prestigieux et l’assurance d’une certaine liberté dans la gestion des projets sont autant d’éléments attractifs pour des scientifiques de haut niveau, en complément d’offres plus matérielles comme les rémunérations. Pour recruter les talents les plus prometteurs, l’entreprise s’appuiera sur des liens forts tissés avec le monde académique, à travers des collaborations avec les universités et les instituts de recherche.
De bons partenariats
Les effets de la crise
Fortes consommatrices de capitaux, les entreprises de biotechnologies sont victimes de la pénurie de crédit engendrée par la crise financière. Selon une étude publiée en octobre 2008 par France Biotech, le syndicat professionnel des laboratoires de biotechnologies, les investissements dans le secteur ont, au premier semestre 2008, diminué de 62 % aux États-Unis et de 79 % en Europe par rapport à 2007. Au premier semestre 2007, les entrées en Bourse avaient déjà diminué de 82 % en Europe et de 93 % aux États-Unis4.
4. Communiqués de Presse – France Biotech, octobre 2008.
Un autre facteur de succès essentiel réside dans la capacité des entreprises de biotechnologies à multiplier les partenariats, contrats et transactions pour acquérir de nouvelles idées, de nouveaux droits, ou des molécules, et pour valoriser au mieux ceux développés en interne.
Tisser des liens forts avec les universités et les instituts de recherche
Les partenariats avec des universités et des instituts de recherche permettent tout d’abord aux entreprises de biotechnologies d’accéder à des réseaux de chercheurs, parfois de partager des plateformes et des technologies, et éventuellement d’identifier des molécules prometteuses. Mais les entreprises doivent également multiplier les contrats et alliances avec des pairs ou des groupes pharmaceutiques, afin de valoriser leur savoir-faire, se fournir en actifs externes, ou encore pour étendre leurs domaines de compétences ou commercialiser leurs produits dans certaines zones géographiques. Genentech a ainsi établi des partenariats multiples (13 entre 1995 et 2005) pour assurer la distribution et les ventes de ses produits aux États-Unis et dans le reste du monde, mais a aussi en parallèle multiplié les contrats en R & D, devenant une des entreprises enrichissant le plus son pipeline à partir de molécules découvertes à l’extérieur (70 % de son pipeline sourcé à l’extérieur en 2005).
De son côté, Amgen a réalisé entre 1993 et 1999 une vingtaine de partenariats de R & D avec d’autres entreprises de biotechnologies et a alimenté sa croissance par de nombreuses acquisitions ; ainsi, en 2006, sur 39 projets de développement dans le pipeline d’Amgen, 15 étaient issus de fusions ou d’acquisitions et 8 en développement sous licence.
Aujourd’hui, le secteur des biotechnologies est une des industries les plus actives en termes de partenariats et d’opérations de fusions et acquisitions. En 2007, près de 500 nouveaux partenariats ont été conclus entre entreprises de biotechnologies, plus de 400 entre une entreprise de biotechnologies et un groupe pharmaceutique, et 126 opérations de fusions et acquisitions ont eu lieu dans le secteur1.
Le panorama français
Les entreprises françaises de biotechnologies ont enregistré de très bons résultats entre 2005 et 2007 en matière de levées de capitaux. 2007 a été une année record avec 625 millions d’euros levés, dont près de 80 % sur le marché boursier et 20 % auprès d’investisseurs en capital-risque. L’activité boursière, ralentie depuis 1999, a repris avec les entrées en Bourse de BioAlliance Pharma et d’ExonHit en 2005, d’Innate Pharma et Genfit en 2006, et de Cellectis, METabolic EXplorer, GenOway et Vivalis dans les neuf premiers mois de 2007.
Malgré cela, la France reste en Europe au 3e, voire 4e ou 5e rang selon les indicateurs, avec cinq fois moins de sociétés cotées qu’au Royaume-Uni, et une capitalisation boursière totale trois fois inférieure à celle des sociétés britanniques2. Le pipeline de produits (toutes phases confondues) reste en 2006 moins fourni en France qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse ou au Danemark, avec seulement cinq produits présents en phase III, soit neuf fois moins qu’au Royaume-Uni. Enfin, la France ne possède que 3,6 % des brevets de biotechnologies déposés dans le monde, loin derrière les États-Unis, le Japon, et l’Allemagne3.
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1. BIO (Biotechnology Industry Organization), Industry facts, 2007.
2. Bilan effectué en mi-septembre 2007. Panorama 2006–2007 de l’industrie des biotechnologies en France – France Biotech, septembre 2007.
3. Ernst & Young « Beyond Borders » Global Biotechnology Report, 2007.
Une relation forte avec les investisseurs
La confiance continue des investisseurs initiaux, tout comme le support de nouveaux investisseurs sont critiques pour l’entreprise tout au long de son développement. L’industrie des biotechnologies est en effet particulièrement gourmande en capitaux, que ce soit pour alimenter la R & D, développer les infrastructures industrielles et commerciales, financer l’expansion à l’étranger, ou permettre des acquisitions.
L’industrie des biotechnologies est particulièrement gourmande en capitaux
Pour la start-up de biotechnologies, il est souvent difficile de bien comprendre les attentes des investisseurs, qui viennent d’un univers très différent du monde scientifique qui est celui des fondateurs. De la même manière, les investisseurs ont souvent une compréhension limitée des activités de l’entreprise. En conséquence, l’entreprise doit avoir une excellente communication avec les investisseurs, que ce soit avant ou après la cotation en Bourse. En communiquant clairement sa stratégie, Genentech a, par exemple, su convaincre les investisseurs de la nécessité d’investir massivement en R & D dans un premier temps, alors qu’aucun bénéfice n’était prévu pendant plusieurs années.
Les » fondamentaux » d’une grande entreprise
Pour les entreprises optant pour le modèle intégré de grandes sociétés indépendantes (par exemple, Amgen), le challenge est de durer et de s’imposer parmi les grandes entreprises pharmaceutiques » classiques « . Elles doivent pour cela s’assurer de conserver un pipeline fourni, mais aussi finir d’acquérir les fondamentaux commerciaux et industriels d’une entreprise » classique » de premier plan. Il est intéressant de noter que, souvent, avec leur taille croissante, les grandes entreprises de biotechnologies deviennent confrontées à des maux similaires à ceux des entreprises pharmaceutiques » classiques « , tels que » corporatisation » et productivité plus faible de la R & D.
LE PARI
Une entreprise de biotechnologies se construit le plus souvent sur un pari initial, motivé par l’instinct d’un scientifique entrepreneur pour une molécule ou un service que peu de gens comprennent, et pour lesquels aucune application n’existe ailleurs que dans son imagination. La chance entre donc à coup sûr en ligne de compte dans le succès d’une entreprise de biotechnologies ; mais c’est sa combinaison avec des facteurs très tangibles et contrôlables, tels que financement, propriété intellectuelle, organisation, stratégie et talents, qui permettra de transformer un coup de dés en succès durable et à valeur ajoutée.