D’hier et d’aujourd’hui
Bernstein dirige Brahms
Bernstein dirige Brahms
Pour un concert de piano, comme dans l’achat d’un disque, c’est le soliste qui dicte votre choix. Il en va tout autrement pour la musique symphonique ou l’opéra, où c’est l’œuvre, d’abord, qui vous motive. Bernstein fait partie de ces rares chefs (certainement moins de 10 au XXe siècle) qui comptent autant, pour l’auditeur, que les œuvres qu’ils interprètent : il aura, comme Toscanini ou Bruno Walter, marqué la musique. Les enregistrements de Brahms avec le Wiener Philharmoniker (1981- 1982), récemment réédités, regroupent les quatre Symphonies, le Concerto pour violon avec Gidon Kremer, le Double Concerto avec Kremer et Mischa Maisky, l’Ouverture pour une fête académique, l’Ouverture tragique, et les Variations sur un thème de Haydn1. Comparez l’interprétation des Symphonies avec celles de Klemperer et Furtwängler : ce sont des mondes différents. Pour Bernstein, Brahms est un classique à la fois équilibré et chaleureux, aux antipodes du romantique pénétré par le sens du tragique et un peu lourd, et il le dirige non comme du Beethoven mais comme du Mozart ou du Haydn. Dans le Concerto, Kremer joue, lui aussi, retenu, aérien, lumineux ; et le Double Concerto est du niveau de l’enregistrement légendaire de Casals et Thibaud avec l’Orchestre de la République espagnole.
Des symphonistes ignorés
Connaissez-vous Joachim Raff (1822−1882, Allemand) et Louise Farrenc (1804−1875, Française) ? Le XIXe siècle a été fécond en compositeurs bien oubliés depuis mais aimés du public de l’époque, la musique contemporaine étant alors dans le droit fil de celle du siècle précédent. CPO a entrepris de faire revivre certains d’entre eux, et présente de Louise Farrenc la Symphonie n° 2 et deux Ouvertures, par le NDR Radiophilharmonie, dir. Johannes Goritzki2, et de Raff la Symphonie n° 7 “ Alpestre” et la Jubelouverture3, par la Philharmonia Hungarica, dir. Werner Andreas Albert. La musique de Farrenc est bien écrite, bien orchestrée, agréable et intelligente, du niveau de Mendelssohn. Celle de Raff, moins élégante, plus recherchée et plus profonde, annonce Mahler et même Richard Strauss. Les deux se découvrent avec grand plaisir.
Otto Klemperer a été chef – un des très grands, lui aussi – avant d’être compositeur, et sa musique porte la marque de cette culture musicale encyclopédique. La Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz, dirigée par Alun Francis, a enregistré ses deux Symphonies et quatre pièces brèves. Il s’agit d’une musique tonale forte, superbe, à laquelle, malgré l’influence trop évidente de Mahler, on prend un plaisir sans mélange.
Schubert
Andreas Staier joue au piano-forte la Sonate en la mineur (D 845) de Schubert4, et c’est magnifique. D’abord, bien sûr, parce que Staier est un grand schubertien, mais aussi en raison de la qualité du piano-forte, de facture contemporaine, mais copie d’un instrument viennois de l’époque de Schubert, avec un son non grêle et souffreteux comme les pianos-forte du XVIIIe siècle, mais proche du piano moderne, en plus doux et donc bien en situation. La Sonate est encadrée, sur ce disque, par une “ Kontra-sonate ” du contemporain Brice Pauset, pièce sympathique inspirée par l’œuvre de Schubert mais qui ne convainc guère : la Sonate en la mineur se suffit à elle-même.
Mathias Goerne et Alfred Brendel ont enregistré il y a moins d’un an le Voyage d’hiver (Winterreise)5. Mathias Goerne est l’un des deux ou trois très grands barytons d’aujourd’hui ; Brendel est le pianiste schubertien par excellence. Une prise de son exemplaire ajoute à la perfection de ce disque, que l’on écoute dans son fauteuil, les yeux fermés, au paradis, sans adjuvant d’aucune sorte. Une tentation démoniaque vous incite à comparer cet enregistrement à celui, mythique, de Fischer-Dieskau et Gerald Moore en 1953 (Fischer-Dieskau avait une trentaine d’années). Stupéfaction : à l’aveugle, vous préférez l’enregistrement Goerne-Brendel. La prise de son et la technique y sont pour quelque chose, bien sûr, mais la voix de Goerne est plus mûre, plus accomplie. Vous voilà à la fois heureux et malheureux : vous aimerez toujours Fiescher-Dieskau, mais il vous semblait irremplaçable : le voilà remplacé.
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1. 5 CD Deutsche Grammophon 474 930–2.
2. 1 CD CPO 999 820–2.
3. 1 CD CPO 999 289–2.
4. 1 CD AEON AECD 0421.
5. 1 CD DECCA 467 092–2.