Diane-Laure Algrin (2014), chercheuse en biologie cellulaire
Passionnée très jeune par les sciences, Diane-Laure Algrin a choisi la voie de la recherche en biologie médicale. Loin d’être un obstacle, sa formation d’ingénieure multidisciplinaire se révèle un réel atout pour les équipes de recherche qui ont besoin de chercheurs à l’aise dans différents domaines.
D’où viens-tu ? Quel est ton parcours avant Polytechnique ?
Je suis de région parisienne, de Montrouge dans le 92. J’étais au lycée Notre-Dame-de-France en première et terminale puis je suis entrée en prépa à Ginette, en PCSI puis en PC, et j’ai intégré l’X en 3⁄2. J’étais déjà attirée par le métier de chercheur et par le domaine de la biologie médicale. Plus jeune, je voulais être médecin, puis astrophysicienne et, peu à peu, je me suis intéressée à la biochimie médicale axée recherche. L’idée de faire grandir la connaissance et la science me plaisait, ainsi que l’aspect technologique. En entrant en prépa, je visais plus la recherche qu’un parcours d’ingénieur.
C’est assez original de savoir si tôt ce que l’on veut faire.
C’est vrai que même si mes projets ont pu (et vont encore) évoluer, je ne me suis jamais sentie perdue, de toute façon il y a tant de métiers passionnants ! J’ai la chance d’avoir une famille qui m’a permis de découvrir et aimer des domaines variés – scientifiques, littéraires ou artistiques –, et des parents très ouverts aux centres d’intérêt que l’on souhaitait développer. D’où les parcours variés et qui nous passionnent chacune (musicothérapie et orthophonie pour mes sœurs).
De mon côté, étant petite, j’avais envie d’apprendre : j’ai voulu savoir lire très jeune, je posais beaucoup de questions à mes parents, et mon entourage a rapidement encouragé cette curiosité scientifique, notamment mon père (Hervé Algrin, promo 1988) et ma grand-mère. La générosité humaine de ma mère m’a aussi beaucoup marquée et m’a permis de prendre conscience du sens que je souhaitais donner à mon métier. Le côté médical est devenu rapidement important pour moi ; je voulais participer au développement de l’assistance publique directement dans mon métier et pas seulement dans des activités associatives annexes. De plus, la passion des chercheurs pour leur métier m’intriguait, je m’y retrouvais.
Pourquoi as-tu choisi Polytechnique avec ce projet ?
J’avais postulé à l’ENS, j’étais prise à Cachan et à Lyon. Mais étant reçue à l’X également, en discutant avec d’autres, j’ai appris que la partie recherche y était en plein essor et que la formation pourrait mieux me convenir. En fin de compte, le parcours d’ingénieur me correspondait très bien. Je n’ai pas un profil de chercheur spécialisé, et le côté multidisciplinaire m’habitait depuis longtemps. Le côté militaire de l’École m’était en revanche tout à fait étranger car il n’y a pas de militaires dans ma famille, et je trouvais étonnant qu’on fasse un stage dans l’armée, plutôt qu’en entreprise, alors que très peu d’entre nous deviendraient officiers. Mais comme j’ai fait beaucoup de scoutisme, ça m’allait très bien d’aller me « dérouiller les jambes » dans la boue. J’ai ensuite fait mon stage chez les marins-pompiers de Marseille (au BMPM), l’occasion de découvrir des acteurs importants du domaine médical !
Qu’est-ce que tu as aimé à l’X ?
Ce qui m’a beaucoup plu, c’était la grande qualité de nos cours, sur lesquels je me repose encore. Et j’appréciais beaucoup la vie de promotion, la variété des binets qui permet à chacun de développer ses talents et de nous rassembler sur certaines passions. J’étais crotale de ma section volley, trésorière de la communauté chrétienne de l’X, j’ai fait de la voile dans le binet X course au large, je m’occupais de l’intendance du raid de l’X. J’ai même été actrice de la comédie musicale de ma promo, dans le binet X‑Broadway, ça faisait des années que je rêvais de faire ça. J’étais aussi ravie de pouvoir continuer à jouer du piano. Comme je faisais du scoutisme en parallèle (j’étais cheftaine de compagnie), j’étais bien occupée.
Le platâl est assez éloigné de Paris mais heureusement on y avait une vie très importante, grâce à tous ces cadres privilégiés et aux événements de promo, le tout coordonné par la Kès. J’avais la chance, en sortant de Ginette, d’avoir beaucoup d’amis dès le début, mais comme on est répartis en sections sportives et en section à La Courtine, très vite on a l’opportunité de rencontrer d’autres personnes. J’ai également apprécié la place donnée au sport qui assainit un rythme étudiant parfois intense, et le souhait de ne laisser personne sur le bord de la route, que j’ai ressenti au sein de la communauté chrétienne de l’X qui y prêtait une attention particulière mais aussi au sein de ma section sportive où l’on constituait comme une petite famille.
Y a‑t-il quelque chose que tu as moins aimé ?
Je ne regrette aucun des choix que j’ai faits mais je pense que je n’ai peut-être pas assez développé les liens avec nos professeurs avec qui j’ai repris contact dans le cadre de ma thèse, de conférences, etc. Discuter avec eux apporte beaucoup, ils m’ont aiguillée sur ce que je pouvais faire en 4A et pour la suite, ce dont je n’avais pas pleinement conscience à l’École. L’éloignement du platâl n’est pas toujours pratique, mais présente l’atout d’une vie de promo dense et de vastes espaces verts.
À l’X as-tu été confortée dans ton désir de faire de la recherche ?
Quand je suis arrivée à l’X, j’ai vraiment accueilli les enseignements proposés sans me projeter, en restant ouverte et en me reposant la question de la voie de la recherche ou bien de la possibilité d’être ingénieure. Les cours que j’ai choisis étaient liés à mes centres d’intérêt, avec un aspect multidisciplinaire, ce qui est le grand avantage de l’X. J’ai choisi beaucoup de cours de biologie parce que je n’en n’avais pas du tout fait en prépa mais à l’interface avec d’autres disciplines, en gardant en tête le projet de me spécialiser en 4A.
À ce moment-là, j’ai envisagé de partir en master à l’étranger, à l’université McGill au Canada notamment. Après avoir discuté avec des anciens, j’ai trouvé qu’il était plus pertinent de faire une année de master 2 en France en vue de faire un stage de recherche dans le labo de recherche qui m’intéressait pour une éventuelle thèse.
« En tant qu’ingénieure,
j’avais un profil assez différent des normaliens
ou des filières universitaires. »
J’ai fait ma 4A à l’ENS en master 2 IMaLiS (Interdisciplinary Master in Life Sciences), un master axé recherche et médecine, sur le conseil de mes profs de bio. J’ai pris des cours de biologie fondamentale et de biologie appliquée à des techniques que j’ai pu utiliser par la suite comme la microscopie, qui complétaient la formation reçue à l’X. En fin de compte, j’ai réussi à rassembler tous mes cours sur les six premiers mois de l’année pour pouvoir effectuer mes six mois de stage sur le reste de l’année dans le laboratoire dans lequel je fais ma thèse. C’est un laboratoire dont le projet avait été déposé à l’ENS parmi les dizaines de projets proposés.
En tant qu’ingénieure, j’avais un profil assez différent des normaliens ou des filières universitaires et la plupart des sujets m’intéressaient assez peu. C’était très moléculaire alors que je souhaitais quelque chose de plus macroscopique, dans lequel je me projette pour trois ans de travail de thèse, un sujet qui soit à l’interface de plusieurs domaines. C’était justement le genre de sujets qui restaient en plan. Comme j’étais la seule ingénieure dans la partie plus orientée biologie cellulaire du master, ce sujet m’a plu, ce qui m’a décidé à faire une thèse.
Quel est donc ce fameux sujet de thèse ?
Je travaille avec une équipe à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy sur la dissémination du cancer en particulier dans le cas du cancer colorectal. Pour ma part, je travaille sur la migration des cellules tumorales, sur leur manière de se déplacer à travers les tissus des patients, sur ce qui leur donne ces caractéristiques métastatiques. Plus précisément, dans le labo ils ont découvert il y a cinq ans la présence chez des patients atteints de certains types de cancer colorectal que les intermédiaires tumoraux, c’est-à-dire les cellules qui quittent la tumeur primitive et qui vont partir dans l’organisme pour former des métastases, sont des groupes de cellules et non pas des cellules uniques. C’est une migration collective de cellules qui est liée à un mauvais pronostic des patients.
Mon travail est d’analyser la migration de ces groupes de cellules car on a découvert qu’au vu de leur topologie les protéines externes qui leur permettent normalement d’adhérer à l’environnement, et donc de tirer sur les fibres qui sont autour des cellules dans notre organisme, sont ici coincées à l’intérieur du groupe. Elles ne peuvent donc pas se tracter, et en simplifiant le système jusqu’à l’étudier dans des microcanaux, on a découvert qu’elles sont même capables de migrer dans des conditions non adhérentes. Elles peuvent dont se déplacer dans notre organisme d’une manière différente de tout ce qui est connu jusqu’à maintenant, ce qui malheureusement leur donne certainement plus d’opportunités pour disséminer.
Quel est l’enjeu de cette découverte ?
Il y a un aspect clinique qui consiste à comprendre comment ces groupes de cellules font pour migrer, et une découverte dans la biologie cellulaire en général. Pour l’instant, on connaît trois types de migration : soit des cellules uniques qui adhèrent ou qui n’adhèrent pas, donc qui se tractent en tirant ou qui se propulsent par contraction ; soit des groupes de cellules qui adhèrent à la matrice en tirant dessus. Là on serait dans une configuration où ces cellules tumorales sont capables de se déplacer sans accrocher à la matrice, sans se tracter mais plutôt en se propulsant.
C’est un phénotype qui apparaît également comme possible dans un tissu sain, les cellules tumorales auraient donc pu (une fois de plus) détourner ce mécanisme. Ça intéresse donc toutes les branches de la biologie qui travaillent sur la migration cellulaire, qui est un phénomène important en cancérologie mais aussi dans le développement embryonnaire, la dissémination lymphatique, la cicatrisation, etc.
« Ce qui m’a plu,
c’est le côté santé-cancérologie
et la proximité avec l’hôpital. »
Ce qui m’a plu dans ce sujet-là, c’est le côté santé-cancérologie, la proximité avec l’hôpital qui nous permet de travailler directement sur des échantillons de patients et ne pas avoir une recherche de laboratoire éloignée de la clinique, l’interaction avec les médecins. J’aime aussi l’aspect concret car je fais beaucoup de microscopie : je visualise directement la migration des cellules par des films qui durent quelques heures, on peut exprimer des protéines fluorescentes, ce qui donne un côté visuel que je cherchais. Et c’est un sujet exploratoire et de recherche profonde parce qu’on ne sait pas comment ça fonctionne. On peut s’inspirer de ce qui existe chez la cellule unique qui migre dans des conditions non adhérentes, on peut s’inspirer du groupe de cellules qui migre dans des conditions adhérentes, on peut s’inspirer de la littérature qui existe sur ces sujets, mais, pour autant, on ne sait pas comment ça marche.
En quoi est-ce un sujet multidisciplinaire ?
Nous sommes amenés à nous poser des questions à la fois biologiques mais aussi physiques, car il faut bien exercer des forces sur les parois. Pour étudier cette migration, on utilise des systèmes de microcanaux dimensionnés de la taille des cellules (30 µm par 60 µm). Il y a donc toute une problématique physicomécanique à étudier en parallèle des problématiques biologiques. Je ne peux pas me poser toutes les questions, il faut sélectionner.
C’est pourquoi je travaille avec plusieurs équipes de l’Institut Curie notamment, dans lesquelles j’ai retrouvé un de mes professeurs de l’X dans la partie modélisation, un de mes amis polytechniciens en thèse dans un labo de l’Institut Curie qui fait de l’optogénétique (activation des cellules par la lumière) ; et la troisième équipe avec laquelle je travaille est dirigée par un X qui est devenu chercheur à Curie. C’est amusant de voir qu’il y a beaucoup d’X dans la recherche, notamment en biologie.
Qu’est-ce qui te plaît dans ta thèse ?
Il y a la passion scientifique et le côté excitant d’apprendre en permanence, les congrès internationaux et les collaborations stimulantes, la chance et la complexité de mener son projet de bout en bout techniquement et intellectuellement ; et donc les périodes plus difficiles où rien ne fonctionne, l’expérience enrichissante de l’enseignement, le travail d’équipe que l’on vit de manière très intense. Il faut bien choisir son équipe en plus du sujet parce qu’on va passer du temps au labo ensemble et l’entraide a une place importante. Tout ça pour apporter sa petite pierre aux grands édifices de la science et de la médecine !
Après ta thèse, que vois-tu comme perspectives professionnelles ?
Là, je ne pourrais pas répondre précisément, avant tout parce que beaucoup de choses m’intéressent. Je pense que c’est important de savoir ce qui compte pour soi, ce que l’on souhaite faire scientifiquement, humainement sans se fermer sur un parcours prédéfini. Ma thèse, je l’ai faite parce que je trouvais que c’était une expérience professionnelle intéressante, et non dans une perspective de carrière particulière. Bien sûr, je sais aussi que, si je continue dans la biologie, c’est un atout d’avoir fait une thèse.
Pour la suite, je crois que j’aimerais prendre un peu de distance vis-à-vis de la paillasse. Même si le sujet m’intéresse beaucoup, je serais contente de découvrir autre chose. M’étant mariée l’année dernière, mon mari (Baptiste Pagès 2014) et moi avons le projet de partir à l’étranger. Mais à mon retour, j’aimerais travailler sur des projets d’innovation dans le domaine médical, peut-être directement à l’hôpital car c’est une structure très riche, complexe et intéressante, un monde complet, à la fois politique et humain. Et c’est un service public, ce qui est important pour moi, une manière de servir mon pays, notion dont j’ai pris conscience à l’X.
Si quelqu’un a une certaine expérience et des conseils pour m’orienter dans le domaine de la santé, côté gestion de l’hôpital, innovation ou dans un cadre plus associatif, je serai ravie d’en discuter pour préciser mon projet. Je me pose aussi la question d’être plus proche des problématiques de gens qui ont des maladies rares ou des handicaps.
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