Différences de fécondité et politiques familiales
Les évolutions démographiques de ces dernières décennies se caractérisent par certaines tendances générales, agrémentées de grandes différences d’un pays à l’autre. C’est ainsi que, depuis le maximum de 1964, la fécondité a considérablement baissé dans presque tous les pays développés, jusqu’à passer largement en dessous du niveau de remplacement. Depuis quelques années, on voit s’amorcer de légères remontées dans la plupart des pays développés, le minimum se situant le plus souvent vers l’année 2005.
REPÈRES
En 2006, près de la moitié des pays développés ont eu moins de 1,5 enfant par femme, dont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Roumanie. D’autres approchaient 1,8 ou 1,9 enfant par femme, dont la Grande-Bretagne, la France et la Scandinavie. Sur une longue période, les indices de fécondité vont de la Corée du Sud (3 enfants par femme en 1970 ; 1,5 en 1995 et 1,1 en 2006) à l’Islande et la Turquie, qui comptent encore 2 enfants par femme en 2006. La Suède, au niveau de 1,6 de 1978 à 1986, est remontée jusqu’à 2,2 en 1992, grâce à de nombreuses mesures facilitant la carrière des femmes (crèches, congés plus longs de maternité, etc.). L’entrée dans l’Union européenne a vu son indice retomber à 1,5 en 1999, avant de remonter lentement à 1,8 en 2006, accompagnant en cela le mouvement général des pays développés. Les États-Unis se maintiennent au voisinage de 2 depuis plusieurs décennies.
L’âge moyen de la mère augmente
L’âge moyen de la mère à la première naissance augmente de plusieurs années sur la période 1970–2005.
En France, l’âge moyen de la mère à la première naissance est de 28 ans et demi
En France, l’augmentation est de quatre ans pour 1970–1995, et à peu près nulle par la suite. Les pays continentaux de l’Europe occidentale connaissent des évolutions analogues, tandis que la Grande-Bretagne et les pays de l’Europe de l’Est attendent 1995 pour rattraper les autres. Les États-Unis, avec une augmentation de trois ans sur la période considérée, se situent dans une bonne moyenne. En 2005, l’âge moyen à la première naissance est de 25 ou 26 ans pour l’Islande et les pays de l’Europe de l’Est, tandis qu’il s’étage de 27 à 30 ans pour les autres pays de l’Union européenne (28,5 en France). Il est de 25 ans pour les États-Unis et de 21 ans pour un pays en développement comme le Mexique.
Des femmes sans enfant
Les différences dans la taille des familles sont liées au nombre moyen d’enfants par femme, mais aussi à la proportion de femmes n’ayant aucun enfant. Cette proportion, mesurée chez les femmes de cinquante ans, est très variable d’un pays à l’autre. Les extrêmes européens sont d’un côté l’Allemagne et l’Angleterre (22 %) et de l’autre les petits pays d’Europe de l’Est (4% à 8%). En position moyenne, on trouve la Suède, la Pologne, la France (13 % à 15 %).
Concilier vie professionnelle et vie familiale
La logique voudrait que les pays où la proportion de femmes ayant une activité professionnelle est élevée soient aussi ceux où le nombre d’enfants par femme est le plus bas.
40% d’enfants hors mariage
La proportion des enfants nés hors mariage est très inégale (5% en Grèce, 16% en Suisse, 58% en Estonie, 65 % en Islande). Elle n’a pas cessé d’augmenter dans toute l’Europe depuis 1970, passant en France de 7% à 52%. Pour l’ensemble des pays de l’actuelle Union européenne, cette proportion a plus que quadruplé en trente-cinq ans et tourne autour de 40%. Même si de nombreux parents se marient après la naissance de leur enfant, cette transformation est un véritable changement de civilisation.
En 1980, on constatait effectivement que, parmi les pays d’Europe, le cœfficient de corrélation entre ces deux quantités était négatif. Vingt-cinq ans plus tard, les indices de fécondité ont nettement baissé, et les taux d’emploi féminin ont progressé de 10 % à 20 % selon les pays, mais le cœfficient de corrélation entre ces deux quantités est désormais positif (+ 0,34).
Cela témoigne sans doute d’une meilleure aide à la maternité et à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
Un désir d’enfant inassouvi
Alors qu’il y cinquante ou cent ans de nombreux couples se sentaient écrasés par une fécondité excessive, les moyens de contraception et d’avortement modernes ont renversé la situation. Il n’y a plus guère d’enfants non désirés, mais il y a toujours autant de difficultés, biologiques et financières, à avoir des enfants. Le nombre des enfants de la famille idéale, telle qu’elle est vue dans les esprits, dépasse celui de la famille réelle.
Dans tous les pays d’Europe, les sondages montrent une différence moyenne de 0,5 à 0,8 enfant par femme. Il y a un désir d’enfant inassouvi qui doit être pris en compte dans la politique familiale.
À la recherche de politiques efficaces
Quels sont les buts des politiques familiales ?
Vaincre les barrières
D’autres questions se posent. Faut-il aider les « avances de calendrier » dans la mise au monde des enfants, ou bien se préoccuper surtout du nombre total d’enfants obtenus ? Est-il essentiel de mettre en place une politique sanitaire aidant à vaincre les barrières biologiques qui rendent tant de couples stériles ? Étant donné les caractéristiques sociales de tel ou tel pays, est-il important d’y faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ?
La compensation du coût économique de l’enfant, l’éradication de la pauvreté (surtout parmi les enfants) et la réduction des inégalités de revenus, l’éducation et la socialisation des enfants, le développement de la participation des femmes au marché du travail, une meilleure égalité des sexes à l’égard des obligations de garde d’enfants et de travail ménager, l’augmentation de la natalité, quand celle-ci est jugée insuffisante.
Ces objectifs ne sont pas toujours explicitement exprimés par les hommes politiques qui les mettent en œuvre. Ils ne sont pas indépendants les uns des autres et peuvent entrer en conflit, ce qui impose des priorités. Les contraintes financières conduisent parfois à des partages difficiles.
D’où les trois grandes questions suivantes. Dans quelle mesure les différents objectifs sont-ils compatibles ? Pourquoi y a‑t-il tant de variations d’un pays à l’autre ? Quelles sont les politiques les plus efficaces et les moins coûteuses pour aider les familles chargées d’enfants et accroître la fécondité ?
Le Danemark en tête
Il y a toujours autant de difficultés, biologiques et financières, à avoir des enfants
On peut établir des comparaisons internationales sur les six critères suivants : taux de fécondité ; taux d’emploi des femmes (de 18 à 64 ans); taux d’emploi des parents isolés ; taux d’accueil dans les services de garde des enfants de moins de trois ans ; pauvreté infantile ; écarts de salaires entre les hommes et les femmes.
Pour ces six critères, le Danemark et l’Islande sont largement au-dessus de la moyenne, la France est bien placée et l’Allemagne est en queue de peloton, sauf pour le taux d’emploi féminin.
Pour tenter d’expliquer ces différences, on s’appuie sur la variété des politiques menées : différences dans les objectifs et les priorités correspondantes, différences dans les méthodes (des allocations ou bien des aménagements fiscaux comme le quotient familial), différences dans les durées et les conditions des congés maternels ou parentaux, différences dans l’universalité ou au contraire la spécificité des aides.
Allocations, fiscalité et services
Sous ses trois formes principales, allocations, aménagements fiscaux et services, l’importance de la politique familiale varie beaucoup d’un pays à l’autre. En pourcentage du PNB elle dépasse 3,5 % en France, en Grande- Bretagne, au Luxembourg, mais n’est que de 1,3% en Espagne, au Japon ou aux États-Unis.
On observe aussi de grandes différences dans l’étalement des aides dans le temps (c’est-à-dire selon l’âge des enfants). Les exemples extrêmes sont le Danemark (aides essentiellement pour les moins de 7 ans) et les États- Unis (aides très constantes jusque vers 16- 17 ans).
Dans ces conditions, il est évidemment très difficile de mesurer l’impact de telle ou telle mesure, aide, allocation, congé parental, service de crèches, système fiscal. On estime que les transferts monétaires, tels que les allocations, ont un impact positif mais assez faible. Ils ne compensent que faiblement le coût d’un enfant. Il en serait de même des congés parentaux. En revanche, les aides à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (crèches, aides ménagères, etc.) ont une meilleure efficacité.
Des progrès qualitatifs
La politique familiale varie beaucoup d’un pays à l’autre
Il n’y a pas que l’effet démographique à considérer, il faut aussi apprécier les progrès qualitatifs apportés aux enfants (éducation, hygiène, meilleurs soins, meilleure santé, instruction, etc.) et l’importance des possibilités supplémentaires offertes aux femmes avec une meilleure égalité entre les sexes.
Parmi ces possibilités, le travail à temps partiel joue un rôle important, mais il est peu employé dans les pays scandinaves. L’important n’est pas tel ou tel élément, mais la cohérence et surtout la continuité de l’ensemble des mesures mises en œuvre.