Discographie
La célébration du trentième anniversaire de la mort de Maria Callas a pu lasser par ses excès. Il n’en reste pas moins que la diva est incontournable, et il faut au moins citer une anthologie particulièrement bien faite, représentative de son talent éclectique : Puccini, Giordano (André Chénier), Verdi, Donizetti, Rossini, Bellini, et aussi Bizet, Gounod, Massenet, Charpentier, Saint-Saëns, Cilea, Catalani (La Wally), avec en prime un DVD de témoignages et d’extraits de concerts1. Quand une interprète atteint à la légende, le commentaire est superflu.
C’est d’un tout autre genre qu’il s’agit, avec Puerta de Veluntad, Liturgie et mystique dans la musique judéo-espagnole, par le groupe Alia Musica dirigé par Miguel Sanchez. Ce sont pour la plupart des poèmes du XIe siècle, avec des mélodies soit notées et stabilisées au XVIe siècle, soit improvisées, dans le système musical ottoman. Des chants sacrés non sans parenté avec le chant grégorien, témoignage rare de ce légendaire Âge d’or judéo-chrétien-musulman où Cordoue était le centre culturel et scientifique de l’Europe.
Ermanno Wolf-Ferrari (1876−1948), compositeur italo-allemand, a fait partie, comme Richard Strauss, de ces classiques attardés qui ont ignoré Stravinski, l’École de Vienne, et même Prokofiev et Chostakovitch. Un enregistrement avec l’Orchestre de Padoue et de la Vénétie présente le Idillio-Concertino pour hautbois, la Suite-Concertino pour basson, le Concertino pour cor anglais, deux cors et orchestre à cordes2. C’est une musique toute de simplicité, sans innovation, qui fera hurler les disciples de Boulez, et qui n’a d’autre prétention que d’être bien écrite et agréable à écouter, comme le sont les musiques de Joseph Canteloube ou Déodat de Séverac.
On (re) découvre aujourd’hui les Symphonies de Sibelius, dont l’intégrale vient d’être publiée, dirigée par Simon Rattle et le City of Birmingham Symphony Orchestra3. Il n’était pas facile de venir après Tchaïkovski et surtout Mahler ; et pourtant Sibelius a écrit ses sept Symphonies entre 1899 et 1924 sans aucune innovation formelle. Qu’est-ce qui fait alors que ces œuvres, contemporaines de Schoenberg et Stravinski, et pourtant écrites dans le même langage que Brahms et Beethoven, passent la rampe aujourd’hui ? C’est que Sibelius était un artiste majeur, consacrant sa puissance créatrice non à la recherche de formes nouvelles mais aux thèmes et à leur développement, à l’orchestration – magnifique – et à la conception architecturale. Et c’est là une leçon que pourraient méditer tous les artistes contemporains, musiciens, plasticiens, architectes, dont la plupart s’épuisent à tenter d’innover dans la forme : en art, comme dans la science, il ne se fait rien de grand sans capitaliser sur les prédécesseurs, comme l’a fait Bach. Entrez dans les Symphonies de Sibelius comme dans l’œuvre de Wagner, et vous en retirerez une joie profonde, qui dépasse la satisfaction de la simple découverte. Dans le même coffret, d’autres pièces de Sibelius, et surtout le Concerto de violon – pour nous le sommet de l’œuvre de Sibelius – avec Nigel Kennedy dont le jeu exacerbé est bien en situation dans cette œuvre tourmentée.
Samson François, toujours
On ne saurait trop vous recommander, si vous parvenez à vous la procurer, une version inédite de la 1re Ballade de Chopin par Samson François enregistrée en 1945 (in Interviews et enregistrements inédits4, en principe hors commerce), totalement différente de celle de 1957 que l’on connaît, fragile, hallucinée, véritablement bouleversante. Et – le camarade Darmon ne nous en voudra pas d’empiéter exceptionnellement sur son domaine – le DVD5 où Samson François joue le 1er Concerto de Chopin, le Concerto en sol de Ravel (avec démesure), de Debussy, la Toccata, l’Isle joyeuse, et enfin, exceptionnelle, La plus que lente, fabuleuse leçon d’interprétation, absolu nirvana.
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1. 2 CD + 1 DVD EMI 504250.
2. 1 CD CPO 777 157–2.
3. 5 CD EMI 5 00753 2.
4. 1 CD EMI SPCD 1861.
5. 1 DVD EMI Classic Archive 54.