Discographie
Transcendance
il y en a d’autres qui entrent en transe sans danser.
Ce phénomène s’appelle la Transcendance
et dans nos régions il est fort apprécié.
Jacques Prévert, Spectacle.
Croyant ou agnostique, nous avons désespérément besoin de moments qui dépassent, comme disait de Gaulle, « chacune de nos pauvres vies ». La musique nous donne, parfois, au moins l’illusion d’y parvenir…
Piano
… Et tout particulièrement celle de Bach. L’Art de la fugue, par son caractère quasi abstrait – il peut se jouer au clavecin, au piano, à l’orgue, en quatuor à cordes, à l’orchestre (merveilleuse orchestration d’Hermann Scherchen), et même se lire – est idéal à cet égard. Pierre-Laurent Aymard, connu pour ses interprétations de musique contemporaine, s’est attaqué à ce monument1 ; son jeu est dominé par un souci de ne pas interpréter mais de s’en tenir à la lettre de la partition, à l’opposé d’un Glenn Gould. Il joue Bach comme il joue Ligeti, et l’auditeur qui souhaite n’être pollué par aucun romantisme y trouve son compte : de la mathématique pure.
C’est dans le même esprit que Nima Sarkechik a enregistré les Études de l’opus 10 et les quatre Ballades de Chopin2, servi par une technique irréprochable. Si l’on aime la mesure et si l’on craint les transports, même dans Chopin, on appréciera. (Sur le même disque, un Hommage à Chopin de Dufourt.)
Aux antipodes de cela, notre camarade Jean-Pierre Ferey a enregistré avec Laurent Boukobza quatre œuvres à quatre mains de l’âge d’or de la musique française : Ma mère l’Oye de Ravel, Dolly de Fauré, et aussi Âmes d’enfant, de Cras, et Rhapsodie gaélique de Ladmirault3. Il faut beaucoup de précision et surtout de sensibilité pour jouer ces pièces oniriques dédiées à l’enfance : Ferey et Boukobza signent là un disque admirable, une petite merveille de bonheur tendre, avec, notamment, un Ma mère l’Oye d’une absolue perfection, très supérieur à la version ancienne Samson François-Pierre Barbizet, et un Dolly d’anthologie.
La Musique pour piano de John Cage relève d’une démarche en rupture totale avec le processus même de composition : il s’est agi d’éliminer tout élément subjectif, toute intention expressive, et de faire appel au seul hasard, le compositeur choisissant simplement la loi de passage des éléments aléatoires à la partition. Sabine Liebner a enregistré les 84 pièces de ce recueil pour le très innovant éditeur allemand Neos4. Ceux qui pratiquent la méditation transcendantale ou le zen trouveront dans cette musique un support idéal. Le même éditeur propose deux œuvres phares de la musique contemporaine, les Folk Songs de Luciano Berio et le Pierrot lunaire de Schoenberg5, avec Stella Doufexis mezzo-soprano, Maria Baptist au piano et l’Ensemble Opus21musikplus. Les Folk Songs sont des belles mélodies de divers folklores, rigoureusement tonales, avec un arrangement très subtil de Berio pour ensemble de chambre. Le Pierrot lunaire (1912), pour voix parlée et petit ensemble, est une pièce majeure de Schoenberg, antérieure à sa manière sérielle, qui établit une atmosphère très proche de la peinture expressionniste allemande.
Concertos par Hilary Hahn
Le Concerto pour violon de Schoenberg est réputé injouable et très rarement joué. Hilary Hahn, une des cinq ou six très grandes violonistes d’aujourd’hui, a domestiqué la bête et révèle ainsi l’existence d’une œuvre forte, avec une architecture et une âme, assez voisine du Concerto d’Alban Berg. Mais c’est dans le superbe Concerto de Sibelius, enregistré lui aussi, sur le même disque6, avec l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise dirigé par Esa-Pekka Salonen, que l’on retrouve l’interprète des concertos de Prokofiev, Bach, Brahms, et son jeu inoubliable, servi par une prise de son exceptionnelle, qui distingue non seulement chacun des plans sonores d’une orchestration complexe mais aussi, dans le timbre du violon, le bois, les cordes, l’archet.
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1. 1 CD Deutsche Grammophon.
2. 1 CD ZIG ZAG.
3. 1 CD SKARBO.
4. 2 CD NEOS.
5. 1 CD NEOS.
6. 1 CD Deutsche Grammophon.