Discographie
CORDE
CORDE
Sous le titre La Voce nel Violino, Enrico Onofri et son ensemble Imaginarium ont enregistré des musiques de l’Italie des XIVe et XVIIe siècles1, époque où le violon, jusque-là voué à l’accompagnement de la voix, a commencé à exister par lui-même : à côté de pièces de Frescobaldi, Uccellini, Fontana, Bassano et autres, écrites pour le violon, figurent des transcriptions de pièces vocales de Monteverdi et Gesualdo, et l’on découvre l’extraordinaire proximité des timbres et des inflexions de la voix et du violon baroque.
Quelques dizaines d’années à peine séparent les dernières œuvres de Monteverdi des Suites pour violoncelle seul de Bach, et pourtant, quelle révolution, dans le respect de la gamme tempérée et des canons de la suite ! Pablo Casals a révélé ces pièces, quintessence de l’art de Bach, dans les années 1930, et, depuis, tout violoncelliste reconnu rêve – et redoute à la fois – de les enregistrer. Anne Gastinel n’a pas dérogé à la règle2 et donne une interprétation peu banale, que nous avons comparée avec celles de Tortelier, Yo-Yo Ma, et, bien sûr Casals. Tortelier : sérénité, respect absolu de la mesure. Ma : jeu éclatant, charnu, une truffe noire. Gastinel : rubato, fougue, romantisme, et Casals : poignant, et, simplement, humain.
Gautier Capuçon, l’autre grand violoncelliste français d’aujourd’hui, a enregistré, avec la très médiatisée pianiste Gabriela Montero, deux Sonates peu jouées3 : celle de Rachmaninov (1901), romantique à souhait, de la même année que le 2e Concerto ; et celle de Prokofiev (1949), classique, chantante, pied de nez aux autorités soviétiques, l’une et l’autre enlevées avec brio par deux musiciens pleins de fougue et à la technique irréprochable.
Les six Quatuors de Bartok constituent un tout complexe et un peu mystérieux, inclassable, d’un abord peu facile, mais qui ne vous lâche plus si vous y pénétrez, un des deux monuments du quatuor du XXe siècle avec ceux de Chostakovitch. À travers l’histoire d’une vie, des amours de jeunesse en 1907 aux prémices de la Seconde Guerre mondiale en 1938, c’est l’histoire de la musique européenne, et aussi celle de l’Europe, notre histoire. Le Quatuor Belcea (roumain), bien connu des aficionados du festival du Luberon, s’est approprié4 cette musique d’exception, qu’il joue « de l’intérieur » comme les Alban Berg les quatuors de Beethoven.
Claviers et percussions
On redécouvre aujourd’hui Aldo Ciccolini, pas seulement celui des grands concertos romantiques, mais l’interprète intimiste et subtil de Scarlatti, Satie, Séverac et de la musique espagnole. Ses Goyescas de Granados datent de 19665. Bien au-delà d’un certain hispanisme, les Goyescas sont des pièces universelles, dont Ciccolini met superbement en valeur les couleurs raffinées, comparables moins aux peintures de Goya qu’à celles des Fauves.
Forqueray le fils publia sous Louis XV une « mise en pièces de clavecin » de pièces pour viole écrites par son père sous Louis XIV. Ce sont ces 32 pièces réunies en 6 Suites que Blandine Rannou a enregistrées6. Si vous aimez Couperin, et si vous recherchez une musique de clavecin qui se distingue de celle de Couperin par sa profondeur et sa sensualité – comme Ravel diffère de Debussy – écoutez ces pièces un peu sombres qui vous rappelleront Marin Marais et un temps où l’insouciance ambiante se teintait d’une inquiétude annonciatrice du grand bouleversement à venir.
Notre camarade Jean-Pierre Férey aime à éditer des enregistrements peu communs, courage rare qui se manifeste dans deux disques récents : deux Symphonies pour orgue (7 et 9) de Widor, par Frédéric Ledroit7, et trois Sonates pour violon de Bach jouées au marimba par Jean Geoffroy8. Les Symphonies de Widor sont d’une superbe architecture, dans la lignée de Franck. Le marimba respecte à la lettre le texte des Sonates de Bach et leur confère en outre une magie et un exotisme que Bach, grand amateur de transcriptions, eût aimé.
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1. 1 CD Zig Zag. • 2. 2 CD Naïve. • 3. 1 CD Virgin. • 4. 2 CD EMI. • 5. 1 CD EMI. • 6. 2 CD Zig Zag. • 7. 1 CD Skarbo. • 8. 1 CD Skarbo.