Distinguer le stress « normal » et la crise
Si la pression quotidienne est ressentie comme » troublante » et stressante par certains managers, elle n’en constitue pas pour autant une période troublée pour la marche de l’entreprise. En revanche, préfigurant potentiellement la crise, la » période troublée » désorganise précisément le quotidien et brouille les repères tant individuels que collectifs. Dans ce contexte singulier, la mission du consultant est touchée, le plaçant dans une relation ambiguë au regard de l’entreprise et de son interlocuteur au sein de celle-ci. Conseiller en période troublée implique alors de faire bénéficier des institutions de son expertise professionnelle mais également d’offrir aux personnes physiques, clefs d’entrée des organisations, une assistance personnalisée. Cette aide pouvant aller jusqu’à la gestion de leur plan de carrière, besoin indispensable en période troublée.
De la » pression » aux » véritables facteurs de troubles » dans l’entreprise
Le leitmotiv » faire plus, plus vite, mieux avec moins » caractérise la situation courante de tout collaborateur assumant une responsabilité dans l’entreprise. Il faut cependant distinguer la pression quotidienne et » normale » des situations véritablement représentatives de » périodes troublées « .
Une phase de troubles n’est pas non plus une situation nécessairement imprévue : fusions-acquisitions, changement de structure juridique, déménagements, restructuration d’activité sont le plus souvent des opérations programmées. Ainsi, le critère pertinent pour caractériser les périodes troublées n’est ni leur prévisibilité ni la pression qui en résulte, mais les conditions de fonctionnement hors normes de l’entreprise qu’elles sous-tendent et les modalités d’implication du management qui en découlent : collectives ou individuelles, neutres ou personnalisées.
La relation client-consultant en « période troublée » à travers deux cas d’école significatifs
Déménager en urgence, un défi lourd mais rarement rédhibitoire Le client, vu comme une organisation, a un centre de traitement qu’il doit quitter en septembre de l’année prochaine. À Noël de l’année en cours, décision est prise d’avancer l’échéance du déménagement au mois de mai. L’entreprise rentre dans une période troublée puisqu’il faut, en quelques semaines, imaginer et mettre en oeuvre des solutions à un problème complexe. Le responsable du centre de traitement, le client au sens personne physique, est chargé de conduire ce projet. Son implication est » normale » dans la mesure où seule sa compétence professionnelle est mise en jeu. En effet, il ne risque d’être déconsidéré que dans deux hypothèses : s’il jette l’éponge, ou s’il effectue systématiquement les mauvais choix. Pour faire face, ce client pourra donc faire appel à une prestation classique de conseil. Les consultants sollicités l’aideront ainsi à faire preuve de compétence en partageant leur expertise, leur expérience et en ouvrant le champ des solutions.
La fusion de deux entreprises, situation difficile, source d’ambiguïté dans la relation client-consultant
Considérons une fusion d’entreprises. Cette situation, souvent prévisible, n’en est pas moins troublante pour les collaborateurs qui, pendant un temps non négligeable, n’ont aucune idée de leur avenir fonctionnel à moyen terme. L’entreprise, au sens de l’institution altérée par la fusion, reste demandeur de conseils habituels.
En revanche, le client, au sens personne physique, est doublement déstabilisé : il doit assumer ses fonctions actuelles et doit prendre en charge son propre destin, celui-ci n’étant pas arrêté en haut lieu par avance, sauf cas rares. Pour la poursuite des affaires, les conseils ordinaires, rendus critiques par les circonstances, suffisent. Mais pour la gestion de son avenir, le client personne physique doit se déterminer seul. Confronté à un environnement bouleversé, le contenu et les modalités de son travail deviennent incertains. Et les questions suivantes apparaissent :
Le conseil en période troublée
Dans des situations de forte incertitude, en particulier lors de restructurations, trois postures possibles s’offrent au consultant :
– la fuite, meilleure solution lorsque la situation est réellement trouble ou contraire aux bonnes pratiques professionnelles ;
– la neutralité, solution illusoire car la légitimité au sein de l’entreprise n’est pas encore lisible – au fond il est difficile de savoir si ce que demande l’interlocuteur correspond bien à la volonté de l’entreprise ;
– solution la plus sûre : réserver sa loyauté à son client, personne physique. Ce dernier tire sa légitimité de ses succès et le consultant tire la sienne de son client.
Ils doivent ainsi s’appuyer tous deux sur les logiques économiques de l’entreprise pour réussir.
Et s’il apparaît que la collaboration de ce client au sein de l’entreprise soit compromise, il n’est pas exclu que le consultant aide son interlocuteur à préparer sa sortie ainsi que son » plan B « .
• qui est son manager, l’officiel ou l’officieux ?
• quels sont ses objectifs ? avec quels moyens ?
Ses relations de travail sont également transformées. Auparavant, il pouvait considérer ses collègues sous l’angle de la coopération professionnelle et éprouver à leur égard une sympathie plus ou moins profonde selon le cadre managérial de l’entreprise. Désormais, il faut qu’il intègre de nouveaux paramètres pour appréhender ces relations :
• rival ou allié ?
• quelles sont les forces en présence ?
• à qui doit-il se rallier ?
Ici, plus rien ne garantit que les objectifs du client-individu soient compatibles avec ceux de l’entreprise, client institutionnel. Cette dernière est même potentiellement menacée, le pire devenant possible : adoption individuelle ou collective de comportements irrationnels et négatifs, émergence de stratégies perdant-perdant.
Le manager peut trouver des appuis extérieurs qui lui apportent : le recul, par un regard apte à apprécier la situation et évaluer les conséquences d’une décision ; des conseils de communication, le » faire savoir » devenant aussi important que le » savoir faire » ; des informations sur ce qui se passe à l’intérieur de l’entreprise. Et aussi peut-être d’une » couverture » ou d’une » signature « , car le manager, client personne physique, peut limiter les risques en appuyant ses décisions sur les recommandations d’un grand cabinet, d’informations sur l’état du marché de l’emploi dans sa spécialité pour préparer un » plan B « .
Théoriquement, le consultant doit sa loyauté à celui qui signe le chèque de ses honoraires, c’est-à-dire à l’entreprise. En pratique, il tient sa légitimité de son client, personne physique, à l’exception des grands cabinets qui disposent d’une surface suffisante pour couvrir l’ensemble de l’organisation.