Dmitri Chostakovitch : Préludes et Fugues Opus 87
Né en 1906, Dmitri Chostakovitch a connu les révolutions de 1917, le régime et les exactions du régime de Staline, la mort du dictateur (et de Prokofiev, le même jour) et le succès des apparatchiks, et il est mort en 1975 avant toute perestroïka. Sa vie et son œuvre se sont inscrites au sein d’une société totalitaire.
« Je me sens particulièrement proche du génie musical de Bach. Bach joue un rôle important dans ma vie. Je joue tous les jours une de ses pièces. C’est pour moi un véritable besoin, et ce contact quotidien avec la musique de Bach m’apporte énormément. » C’est ce que disait Dmitri Chostakovitch en 1950, au moment où il travaillait à cette œuvre qui est un véritable hommage à Bach par sa structure.
« Cette œuvre est un véritable hommage à Bach par sa structure. »
Chostakovitch, alors qu’il est censuré (une seconde fois, après une grande crise en 1936) par le régime soviétique en 1948 pour « formalisme » (comprendre « avant-gardisme »), eut l’idée de cette œuvre lors d’un voyage à Leipzig pour le 200e anniversaire de la mort de Bach. C’est là qu’il présida au jury du prix Bach qui remit le premier prix à la jeune pianiste Tatiana Nikolaïeva qui venait d’interpréter les Préludes et Fugues de Bach. On le comprend, le besoin de retourner aux sources de la musique et cette rencontre avec Nicolaïeva et son interprétation de Bach sont à l’origine de cette œuvre phénoménale.
Depuis Bach et ses deux livres du Clavier bien tempéré (1722 et 1742), plusieurs autres compositeurs ont composé des cycles d’œuvres sur les 12 tonalités (ou en fait 24 tonalités, en majeur et mineur) : Chopin (Préludes, 1835), Liszt (Études d’exécution transcendante, 1826), Scriabine (1893), Rachmaninov (Préludes, 1892–1910), Alkan (Préludes, 1847), Hindemith (Ludus Tonalis, 1942 !). Jusqu’à ce chef‑d’œuvre que Chostakovitch compose en 1950–1951 pour Tatiana Nikolaïeva, qu’elle crée à Leningrad en 1952 et qui est publié dans la foulée. Ces Préludes et Fugues sont parsemés de références, allusions et citations du Clavier bien tempéré de Bach.
« Une performance historique et de référence. »
Plusieurs enregistrements en disque par Nikolaïeva existent, mais le film réalisé par la BBC fin décembre 1992 (quinze ans après la mort de Dmitri Chostakovitch et un an avant le décès de la pianiste) est un document exceptionnel. Nikolaïeva a reçu conseils et directives directement de Chostakovitch, et nous avons donc là une performance historique et de référence.
Dans ces préludes et fugues de styles extrêmement différents (baroques princi-pale-ment : chaconne, gavotte, sarabande, invention, valse…), ses interprétations sont très variées, allant de l’angoisse à l’extase. Naturellement il est indispensable de rendre justice à la grande variété de l’univers du piano à multiples facettes de Chostakovitch, ce que fait parfaitement la pianiste. Notons que ce cycle a également été enregistré par Keith Jarrett, ce qui est un bon indicateur de la liberté d’interprétation que laisse le compositeur au pianiste.
En bonus, il y a un court documentaire, seulement sous-titré en anglais (mais bien compréhensible), dans lequel on peut voir Dmitri Chostakovitch lui-même jouer au piano (avec une allure très triste) et dans lequel Tatiana Nikolaïeva parle de sa rencontre avec le compositeur.
En conclusion, c’est une interprétation grandiose, poignante et captivante, par une interprète pour qui l’œuvre n’a pas de secret et qui en domine infiniment toutes les difficultés techniques.
Tatiana Nicolaïeva
1 DVD Medici Arts