Dominique Casajus (69) les Touaregs comme passion
Trait distinctif, l’aptitude à s’émerveiller. D’une rencontre providentielle – terme qu’il affectionne –, qu’il s’agisse d’une personne, d’un livre, voire d’une langue inconnue.
Une jeunesse rapatriée
Comme bien d’autres, sa famille – de petits agriculteurs de la région de Sétif – quitta l’Algérie en 1962 et se réinstalla dans le Midi. DC fit ses études secondaires à Marseille et à Pau, en section A’ (latin-grec-maths). Cette réinsertion lui laissa tant la nostalgie de l’Algérie qu’un goût prononcé pour les langues et la littérature. Il reste passionnément épris de nos grands classiques, Ronsard, Nerval, Apollinaire, parmi les poètes.
De 1967 à 1969, DC fut en prépa à Pierre-de-Fermat, à Toulouse. C’est là qu’il vécut Mai 1968 : « Je suis resté dans ma prépa, intéressé par ce qui se passait, et aussi vaguement inquiet : pour moi qui, comme aurait dit Bourdieu, étais un oblat de l’enseignement supérieur, cette mise en question de l’école – du fait scolaire – avait quelque chose d’angoissant… » À l’École, comme nombre de ses camarades, il adula Laurent Schwartz. Mais il se détourna d’une carrière de mathématicien, préoccupé par une probable éclipse de talent, la trentaine venue.
Le choix de l’humain
Où irait-il ? La période post-soixante-huitarde le vit dans la poterie. L’illumination lui vînt durant l’été 1975 : l’ethnologie serait sa voie. Sa lecture des Structures élémentaires de la parenté, le maître-livre de Claude Lévi-Strauss, l’éblouit ; de plus, « c’était de l’algèbre ». Il s’inscrivit en DEA (Diplôme d’études approfondies) d’ethnologie à l’université Paris-VII. Fut déterminante pour lui la localisation de cette spécialité dans un long couloir où Laurent Schwartz avait aussi un bureau !
“Faire avancer les connaissances
sur la création de beauté par les humains.”
Retour au Maghreb
Mais où accomplir un travail de terrain ? Retourner au Maghreb, où l’avait déjà conduit son mémoire de fin de scolarité à l’X, pour lequel il séjourna dans une ferme autogérée algérienne. Sa sensibilité de gauche, l’oppression dont les Kabyles souffraient en Algérie de la part du régime, le tournèrent vers les Berbères. Le bouclage de la Kabylie ne lui laissait d’autre choix qu’aller vers les Touaregs, dans l’extrême sud du pays. C’est ainsi qu’il allait devenir le grand spécialiste mondial des Touaregs, de leur société, de leur culture et peut-être surtout de leur littérature.
Il épousa en 1996 Sophie Archambault de Beaune, archéologue préhistorienne, spécialiste du Paléolithique supérieur, œuvrant à élucider les débuts de la cognition humaine via les outils et les gestes techniques. Elle conçoit son métier comme une science historique et l’enseigne à l’université Lyon-III. Ils ont deux fils, Emmanuel, sociologue, et Gabriel, secrétaire de rédaction.
Anthropologue de la beauté
Casajus est des grands anthropologues de notre temps. Il n’a eu de cesse, depuis son premier travail de terrain en 1976 auprès des Touaregs du Niger, d’élargir sa vision, comme en des cercles concentriques : au peuple touareg en son ensemble ; à la langue touarègue, en son attachante subtilité ; aux poésies en cette langue ; à la transmission orale, ce qui le ramena à sa fascination d’adolescent pour le grec ancien et les textes homériques.
Il laissa de côté les honneurs qui auraient aisément pu lui être décernés, une chaire prestigieuse ou l’élection à une académie, telle que la toute première de notre pays. Il préféra poursuivre son travail de scientifique, en sciences humaines, faire avancer les connaissances sur la vie des gens et, surtout, sur la création de beauté par les humains.
Qui plus est, ce littéraire invétéré, ce linguiste accompli, s’exprime en une langue constamment élégante, aux belles périodes, digne des prosateurs du dix-huitième siècle qu’il affectionne, comme Montesquieu ; ou encore, pour citer des auteurs plus tardifs qu’il aime aussi, Chateaubriand, Tocqueville et Proust.
Quel superbe destin !
Ouvrages de Dominique Casajus
La tente dans la solitude. La société et les morts chez les Touaregs Kel Ferwan. Cambridge, Cambridge University Press, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1987.
Albaka (Moussa) et Casajus (D.), Poésies et chants touaregs de l’Ayr : tandis qu’ils dorment tous, je dis mon chant d’amour, Éditions Awal‑L’Harmattan, 1992.
Henri Duveyrier. Un saint-simonien au désert, Paris, Ibis Press, 2007.
Charles de Foucauld, moine et savant, CNRS Éditions, Paris, 2009.
L’Aède et le troubadour. Essai sur la tradition orale, CNRS Éditions, Paris, 2012.
L’alphabet touareg. Histoire d’un vieil alphabet africain, CNRS Éditions, Paris, 2015 (voir la recension).