DOUBLES-CROCHES
Yves Quéré n’est jamais là où on l’attendrait paresseusement, et il nous amène au fil de ses ouvrages à un étonnement permanent. Éminent métallurgiste, professeur à l’X pendant vingt ans puis directeur de l’enseignement, impliqué dans le mouvement de soutien aux « Refuseniks », chargé des relations internationales de l’Académie des sciences, cheville ouvrière avec Pierre Léna et Georges Charpak de « La main à la pâte », on pouvait s’attendre, on pouvait espérer, qu’il écrive des mémoires riches, profonds, tissés de rencontres prestigieuses.
Ce n’est pas à cela que nous invite son nouvel ouvrage, mais à une promenade, à des rencontres, à des sourires, sous forme d’une collection d’historiettes, on pourrait même dire de fables.
Ces « fragments de vie » nous offrent un festival de sourires, touchants comme l’histoire de la couturière de Saint-Séverin, cocasses comme ce vieux marchand de vin qui lui propose de reprendre sa b o u t i q u e , saugrenus comme ce colonel altiste qui recherche fébrilement son régiment d’artillerie égaré en manœuvre, courtelinesque comme le diplôme d’horlogerie de son père, amusant comme cet enfant qui veut jouer du violoncelle, instrument d’homme qui a le privilège d’être assis, ou franchement comique comme cet aspirant qui recycle une oraison funèbre de Bossuet pour les obsèques d’un aviateur entraînant un irrépressible et incongru fou rire, ou poignant comme ce témoignage d’un vieil homme à la mémoire d’un physicien disparu dans les geôles d’une dictature. Mais d’autres sont des leçons de tolérance comme ce grand-père, instituteur, hussard de la République et chrétien, comme cette rencontre brutale avec la mort et le fanatisme à la libération de Commercy, ou comme ces très belles lignes en contrepoint d’un tableau de Corot.
Chacun lisant ce livre aura sa propre sélection de « doubles croches » favorites et s’apercevra en refermant l’ouvrage que ce ne sont pas des mémoires, mais bien une conversation avec l’auteur et une leçon d’humanité partagée qui lui auront été offertes, avec l’enjouement mêlé de gravité d’un quatuor de Haydn.