Jean Louchet (71), droit dans ses bottes
Une ascendance de réfractaires : « Mon grand-père maternel s’est installé au Maroc pour fuir l’ambiance délétère d’affrontement idéologique dans l’industrie en France dans les années 1910.
Ma grand-mère maternelle, à moitié espagnole, était la fille d’un technicien des chemins de fer français parti pour participer à la construction du réseau ferré espagnol.
Ma grand-mère paternelle était descendante de huguenots émigrés aux Pays- Bas à la suite de la révocation de l’édit de Nantes.
Mon père a quitté la France pour l’Afrique du Nord, par refus du joug national-socialiste et pour participer à la Libération avec la 5e armée américaine. »
D’où une indépendance d’esprit qui caractérise Jean Louchet.
LE TEMPS DES HUMANITÉS
Sa scolarité l’empreint, dès l’abord, des lettres classiques : « Le latin et le grec sont indispensables à l’autonomie intellectuelle, à la faculté de raisonner et créer. »
“ Le latin et le grec sont indispensables à l’autonomie intellectuelle, à la faculté de raisonner et créer ”
À Louis-le-Grand à partir de la seconde, il trouve ses premiers enseignants remarquables, tout particulièrement, en maths, Denis Gerll et André Warusfel, Jacques Lecarme en français.
Puis, ayant intégré l’École, en maths et physique, Roland Omnès, Laurent Schwartz, Bernard Gregory, Alain Guichardet : « De grands profs, le pied ! Mais pas seulement des enseignants.
Un exemple : Émile Canals, qui fut doyen de la faculté de pharmacie de Montpellier et le patron de thèse (génie des procédés) de mon père, mais surtout un exemple de passion pour la musique, qui n’était guère pratiquée dans ma famille. »
LE TEMPS DE LA MUSIQUE
Il se forme donc, pas seulement en maths et informatique, en musique aussi : rue Descartes, Patrice Holiner, professeur de piano dès 1972, le recrute dans sa chorale.
Dessin : Laurent SIMON
Ensuite, de 1976 à 2002, Jean Louchet chante dans l’Ensemble Bach de Paris, que dirige Justus von Websky (1932-), qui disait : « Avec un chœur d’amateurs, j’ai la possibilité de passer beaucoup plus de temps sur une partition, de travailler en profondeur, je peux créer mon propre style.
Avec des professionnels – je l’ai fait pendant des années… – je mets quinze jours à monter une œuvre. Avec les amateurs, il me faut six mois. Seulement le résultat est là. »
Autre citation de Websky, Messe en si (1999) Kyrie I : « On ne chante pas de l’opérette, ici, d’accord ! » Jean Louchet est choriste à partir de 2005 dans l’ensemble les Sorbonne Scholars. À partir de 1984, élève de G. Rabol, É. Joyé puis M. L. Barros, il tient le clavecin dans l’Orchestre de Brunoy.
LE TEMPS DE LA RECHERCHE
Parallèlement, entré dans le corps de l’Armement à sa sortie de l’X, il a des postes successifs de recherche et d’enseignement à l’Ensta, à l’Inria et dans plusieurs universités, en région parisienne surtout : synthèse d’images, traitement d’image numérique, évolution artificielle.
On lui doit l’algorithme FLY, représentation d’images par un ensemble évolutif de points dans l’espace 3D, des « mouches ». Cet algorithme connaît mainte utilisation, en reconstruction de clichés tomographiques, entre autres.
Il se passionne pour la photographie, et se constitue toute une collection d’appareils photos prénumériques.
CODA
Mais la musique de clavier le happe, il lui donne son enthousiasme, ses loisirs – autres que ceux du cyclotourisme –, et lui ouvre large l’éventail de ses savoirs.
Qu’on en juge : recherches sur la construction des cordophones ( principalement clavecins et pianos-forte) du XVIIe au XIXe siècle ; création d’un registre Web des pianos Pleyel des origines à 1930 ; création d’un logiciel commercial de calcul de plan de cordes (pour le design et la restauration des pianos et clavecins), « StringIt » ; écriture de livres et d’articles sur les principes physiques du cordage des instruments à clavier : The Keyboard Stringing Guide (2009) ; Le Guide du Cordage des pianos, clavecins, clavicordes (2009).
Faut-il mentionner outre sa collection de tels instruments, celle de vieilles Volvo ? Bref, Louchet est un homme-orchestre d’une impressionnante richesse d’ intérêts et de compétences reconnues.
Cette appétence, sa joie de vivre, à l’en croire, sont ancrées dans sa foi : un dominicain joua un grand rôle dans la mise en place de sa haute stature, pas seulement intellectuelle, morale aussi.