Droit maritime et océanique : la fin de l’aventure et de la liberté ?
Jusqu’à la découverte du Nouveau Monde, à la fin du XVe siècle, les humains ne connaissaient guère que la navigation côtière et les mers intérieures. Vinrent la découverte des océans, de la planète Mer, des périls de la mer, le développement des expéditions maritimes, du commerce international, des évolutions techniques. Vinrent le conteneur, le commandant Cousteau, Éric Tabarly. La mer s’est rétrécie, mondialisée, et l’aventure maritime semble s’être banalisée.
En illustration ci-dessus : Amoco Cadiz
REPÈRES
La Convention sur le droit de la mer des Nations unies, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, entrée en vigueur le 16 novembre 1994, renforce la liberté de la navigation et la liberté du commerce maritime. Elle fractionne l’espace marin dans un dégradé juridique.
L’océan n’a pas changé, mais la dimension que nous lui prêtons s’est fortement réduite. L’augmentation sans précédent des formes d’usage de l’océan, la fréquentation humaine du littoral et de la bande côtière, les évolutions techniques ont bouleversé les équilibres écologiques et économiques. Le droit s’efforce d’encadrer les activités anthropiques, dans des compromis économiques et internationaux, sans peut-être réussir à sauvegarder l’écosystème.
La mer » rétrécie »
Au fur et à mesure de l’éloignement de la côte, la souveraineté des États riverains laisse place à des compétences exclusives, mais finalisées, dans la Zone économique exclusive (ZEE). Nul ne peut s’approprier la haute mer, en dépit de l’emprise des États côtiers. L’extension des ZEE au plateau continental est en marche. Les grands fonds marins, patrimoine commun de l’humanité, sont administrés par une Autorité internationale, mais la Résolution 48⁄263 de l’Assemblée générale des Nations unies du 17 août 1994 a considérablement modifié l’équilibre originel. Les investisseurs pionniers ont été reconnus ; un code minier a été adopté par la Haute Autorité en 2000 ; l’intérêt pour les dépôts métallifères ou de sulfures des sources hydrothermales, l’intérêt pour la biodiversité marine profonde des invertébrés et des bactéries prend le pas sur la considération ancienne pour les nodules polymétalliques.
Les grands fonds marins sont administrés par une autorité internationale
Le littoral se densifie, rendant plus complexes les extensions portuaires, mais exigeant la protection de l’environnement marin. Le Livre vert maritime européen du 7 juin 2006, Vers une politique maritime de l’Union européenne : une vision européenne des mers et des océans, mettait l’accent sur la nécessité de » maximiser » la qualité de la vie dans les régions côtières. Le souhait de politiques maritimes intégrées, tant européennes que nationales, exprimé dans le Livre vert européen, puis bleu, dans le rapport du groupe Poséidon de décembre 2006 Une ambition maritime pour la France, semble se heurter à la dure continuité historique, mettant en lumière des mesures très sectorisées, très peu globales.
La mer mondialisée
Naufrages
Les naufrages de transbordeurs, Scandinavia, Herald of Free Entreprise, ont conduit à une » communautarisation » des conventions internationales de l’OMI, à partir de 1993. Les naufrages médiatiques des pétroliers Erika et Prestige ont accentué la pression européenne sur l’OMI, mais aussi par voie de conséquence sur les États membres. La France a découvert, lors du naufrage de l’Erika, en 1999, l’impossibilité de réduire son administration maritime, compte tenu de ses compétences et contrôles vis-à-vis des navires faisant escale dans nos ports, quel que soit leur lieu d’immatriculation. Il faut concilier les logiques de l’État du pavillon et celles de l’État riverain.
Les cadres juridiques nationaux des activités maritimes ont été beaucoup plus perturbés par la libre immatriculation des navires, produit inattendu de la décolonisation, que par la construction du marché communautaire. Les océans étant devenus pacifiques, l’immatriculation du navire n’est plus qu’un choix de gestion, de management, d’implantation commerciale et d’image de marque de l’armement. Les législations nationales sont mises en concurrence notamment dans le domaine social. L’articulation des contrôles publics de l’État du pavillon et des contrôles privés, effectués par les sociétés de classification, se trouble. La marine marchande est ainsi entrée dans un cercle vicieux, la pêche » illégale » a suivi son sillage. L’accès aux quotas nationaux de pêche a exceptionnellement donné un enjeu à l’immatriculation des navires de pêche, compte tenu de la communautarisation des ZEE des États membres et de la Politique commune des pêches (PCP). Il n’est pas raisonnable d’attendre du retour de la piraterie, ou d’atteintes à la sûreté, la nécessité d’une protection des navires par les marines nationales, de sorte que l’immatriculation soit à nouveau un enjeu majeur.
Le développement de conventions internationales dans le cadre de l’Organisation maritime internationale (OMI) – SOLAS, MARPOL, STCW – ou de l’Organisation internationale du travail (OIT) a nécessité que la logique de l’État du pavillon soit complétée par celle de l’État du port. Seul le Port state control assure la » traçabilité » du navire et de son management, la sécurité maritime et la sûreté portuaire et maritime, l’extension des normes internationales à la majorité de la flotte mondiale.
Il convient d’articuler les conventions internationales de l’OMI et de l’OIT, avec le droit régional européen et les droits nationaux. Cette évolution n’est nullement spécifique aux activités maritimes, mais elle y est plus intense. L’inertie d’États complaisants avait déséquilibré l’ensemble de l’encadrement juridique des activités en mer. Les défauts de veille à la passerelle, tant des navires marchands que de pêche, démontrent, à travers des abordages en haute mer, la complexité de l’articulation des compétences pénales, les risques d’impunité. Armateurs de France recherche les moyens de responsabiliser les États du pavillon. Faut-il préférer les pressions diplomatiques aux compétences des juridictions internationales, Cour internationale de justice et Tribunal international du droit de la mer de Hambourg ?
L’inertie d’États complaisants a déséquilibré l’encadrement juridique des activités en mer
Cette complexité juridique nécessite des compétences, à bord comme en mer, dans les administrations comme les juridictions, les cabinets d’avocats, comme les entreprises. Les activités maritimes ont subi depuis 1950 une très importante division internationale du travail, fort inquiétante pour les États maritimes et côtiers. Les États fournisseurs de main-d’oeuvre attendent les devises de leurs ressortissants nationaux qui vont en mer, mais ne leur assurent quasiment aucune protection. La pénurie mondiale d’officiers de marine marchande, annoncée par des études britanniques dès 1997, est-elle annonciatrice d’une pénurie de compétences maritimes, dans les activités » terriennes « , portuaires, industrielles et commerciales, administratives et juridictionnelles ?
Pollutions visibles
La protection de l’environnement, objectif notamment développé dans le traité d’Amsterdam de 1997, a amené l’apparition de compétences communautaires pénales, concernant notamment la pollution causée par les navires. Même si la pollution marine est à 80 % tellurique, l’accent est mis sur les pollutions visibles, provenant notamment des navires et des hydrocarbures. La Cour de justice a qualifié de déchet la cargaison d’un pétrolier cassé en mer et arrivant sur les côtes. Le droit de l’environnement poursuit, depuis les décisions intervenues aux États-Unis d’Amérique à la suite de naufrage de l’Amoco Cadiz, le 16 mars 1978, la transformation du droit maritime, ce que beaucoup perçoivent comme une sorte de destruction. La validité même de la Directive 2005/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires a été contestée, en raison d’exigences supérieures à la convention MARPOL de l’OMI : le recours effectué au Royaume-Uni par les armateurs de pétroliers et de cargos a été rejeté. La Communauté européenne n’est pas partie à la convention MARPOL, qui n’est pas intégrée au droit communautaire. La High Court of Justice de Londres n’est pas compétente pour mettre en question la validité de la directive communautaire. Sera-ce donc à l’avenir à l’OMI de s’adapter aux initiatives européennes ?
L’aventure maritime banalisée ?
Au XXe siècle, le particularisme du droit maritime a été rénové par les conventions internationales, quand ce particularisme était en voie de réduction dans les cadres nationaux. Puis la terre s’est protégée des marchandises dangereuses transportées en mer : les » pilleurs d’épaves » risquent de ramasser des détonateurs, des produits chimiques, des galettes de fuel. L’action de l’État en mer renforce sa dimension préventive, autant que son rayon d’action. La dernière aventure en mer reste-t-elle celle des coursiers du Vendée Globe ?
Le droit de l’environnement poursuit la transformation du droit maritime
Les périls de la mer et l’aventure maritime peuvent-ils encore justifier la limitation de responsabilité dont bénéficient les transporteurs maritimes ? La navigation maritime ainsi que les autres activités humaines en mer, intervenant dans un milieu spécifique, peuvent-elles relever d’un traitement spécifique notamment des responsabilités ? La limitation de responsabilité correspondait à une répartition des risques entre les acteurs de la filière maritime, l’infortune de mer. Elle pouvait être comparée au mode de rémunération à la part de pêche, aux profits éventuels, la fortune de mer. Peut-elle être imposée à des personnes étrangères à ce milieu, ne participant pas aux fruits de la bonne aventure, mais subissant leur part néfaste des risques maritimes ? Le développement de l’assurance a civilisé cette limitation de responsabilité, mais l’assurance maritime présente ses propres limites. L’appréhension de la mer par le droit suit l’histoire des évolutions techniques, la pêche, le transport maritime, l’exploitation des ressources minérales et vivantes, la mer étant un volume et pas seulement une surface. Il manque une approche synthétique, qui prenne en compte les spécificités du milieu marin, dans le cadre de principes généraux communs à toutes les activités humaines. La protection de la mer doit précéder les nouvelles explorations des humains.