Droit science, clonage
» Un spectre hante le monde « , du moins celui de la nouvelle biologie : le clonage, » Janus Bifrons « , ange et démon.
La diabolisation a pris les devants. Dès la naissance de Dolly, la peur des » boys from Brazil » a criminalisé le clonage reproductif en de nombreux pays.
Le socle conceptuel de cet interdit est hétérogène : imitation sacrilège de Dieu, atteinte à la personnalité, instrumentalisation, eugénisme, risques graves pour la santé du clone. Cette dernière raison peut apparaître comme la mieux justifiée par les données scientifiques.
Après 2000 se sont précisés les bienfaits thérapeutiques potentiels de la création d’embryons par clonage. Guérir l’Alzheimer, le diabète : l’enthousiasme s’est répandu, ignorant souvent les obstacles expérimentaux. L’arsenal normatif s’est alors diversifié.
Une première approche – appliquée par maints pays – bannit tout clonage, même thérapeutique. L’Allemagne1 et la Suisse2 font ici figure d’archétypes. La nouvelle loi française de bioéthique3 admet la recherche sur les seuls embryons issus de la fécondation in vitro à des conditions strictes, mais moins limitatives qu’en Allemagne.
Les États-Unis compléteront sans doute bientôt un virage à 180° de la liberté à l’interdiction. Durant plusieurs décennies, la Cour suprême avait proclamé en tant que droit constitutionnel la liberté de reproduction humaine4. Les nouvelles tendances conservatrices ont engendré un projet de loi fédérale contre toutes les formes de clonage, assorti de lourdes peines5. Face à cette loi, comment la Cour trancherait-elle : tradition libérale ou droit constitutionnel de l’embryon à la » vie » ?
Par contre, le Royaume-Uni6, tout en rejetant le clonage reproductif, permet les recherches thérapeutiques sur l’embryon. Si les buts licites de telles recherches sont formulés en termes souples, conditions et procédures sont très encadrées. Ainsi, il est interdit d’intervenir sur l’embryon cloné après le 14e jour depuis la fécondation. Chaque protocole est d’abord autorisé par un organisme public autonome d’experts. Son premier » feu vert » date seulement d’août 2004.
La Belgique7, la Corée du Sud8, les Pays-Bas9 Singapour10 ont des lois similaires, souvent plus restrictives. En d’autres pays – notamment asiatiques, tels la Chine11 et l’Inde12 -, le clonage thérapeutique semble accepté sur la base de directives de comités d’éthique gouvernementaux et – du moins pendant un certain temps – sans lois formelles.
Ces systèmes privilégient la liberté de recherche, jugée indispensable pour assurer à tous le meilleur état de santé possible. Cependant, face aux défenseurs du droit à la vie et à la dignité de l’embryon, restrictions et contrôles ont été multipliés.
Troisième voie : un moratoire sur le clonage reproductif – Israël13, Russie14 – ou thérapeutique – Pays-Bas15.
Certaines conventions de l’ONU sur les droits de l’homme éclairent implicitement quelques aspects de l’éthique du clonage, sans dégager aucune norme dominante16. Deux traités récents du Conseil de l’Europe interdisent le clonage reproductif sans s’opposer nécessairement aux recherches thérapeutiques17.
Que conclure de cette analyse ?
Par crainte de réveiller des débats conflictuels, les nouvelles législations, y compris celles admettant le clonage thérapeutique, tombent souvent dans le vague et l’ambiguïté. Face à l’incertitude juridique, la recherche demeure inhibée.
Soulignons enfin l’existence de zones majoritaires de » non-droit » dans le monde, où le clonage n’est pas réglementé du tout. La coexistence de ces trois statuts – interdit global, permission à but thérapeutique et » non-droit » – risque d’encourager l’exode des cerveaux, le tourisme du clonage et l’exploitation par des charlatans de la maladie et de la détresse humaines.
Ces dangereux blocages ne sauraient être surmontés par la reprise de guerres idéologiques. Chercheurs et juristes doivent de concert cultiver une vision éclairée de la science, interface plutôt qu’ennemie des droits de l’homme.
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1. Lois du 13 décembre 1990 sur l’embryon et de 2002 sur les cellules souches.
2. Article 119 § 2 de la Constitution fédérale suisse et loi du 1er janvier 2001.
3. Loi adoptée en juillet 2004, article 19.
4. Arrêts » Roe c. Wade « , Eisenstadt c. Baird, 405US438, 453 (1973) et Planned Parenthood c. Casey, 500US833, 851 (1992).
5. Projet de loi H. R. 534 adopté par la Chambre des Représentants en février 2003.
6. Loi de 1990 sur l’embryologie et la fécondation et loi sur le clonage de décembre 2001, ainsi qu’arrêt de la Cour d’appel de janvier 2002.
7. Loi du 11 mai 2003.
8. Loi du 20 décembre 2003.
9. Loi de juillet 2002 sur l’embryon.
10. Recommandations du Comité d’éthique approuvées par le gouvernement le 18 juillet 2002.
11. Recommandations du ministre de la Santé chinois d’août 2003.
12. Document gouvernemental sur la politique en matière de bioéthique et recommandations du Conseil de la recherche médicale de février 2000.
13. Loi de 1999 sur les interventions génétiques.
14. Loi sur l’interdiction temporaire du clonage d’avril 2002.
15. Loi précitée de juillet 2002.
16. Voir par exemple l’article 6 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques (1966) et le Préambule de la Convention sur les droits de l’enfant, et travaux préparatoires.
17. Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (1997), article 18, § 2, et Protocole de 1998 sur l’interdiction du clonage d’êtres humains.