Technologie dans l'éducation

Du bon usage de la technologie dans l’éducation

Dossier : ÉducationMagazine N°801 Janvier 2025
Par Aude GUÉNEAU

L’edtech, c’est-à-dire la tech­no­lo­gie au ser­vice de l’éducation, pâtit de l’image néga­tive atta­chée aux écrans dans les pra­tiques et le déve­lop­pe­ment de la jeu­nesse contem­po­raine. Ces tech­no­lo­gies sont pour­tant sus­cep­tibles d’apporter des ser­vices très appré­ciables au monde sco­laire et cer­taines expé­ri­men­ta­tions donnent des résul­tats posi­tifs. Encore fau­drait-il avoir une idée claire des fina­li­tés sco­laires et de la stra­té­gie à déve­lop­per en fonc­tion de cela pour les nou­velles tech­no­lo­gies à l’école. Et aus­si leur don­ner les moyens nécessaires.

L’usage de la tech­no­lo­gie dans l’éducation sou­lève bien des ques­tions, sur les plans tant péda­go­gique qu’éthique, social, mais aus­si éco­no­mique, dans un contexte de crise et de coupes dans les dépenses publiques. Éty­mo­lo­gi­que­ment, le mot « tech­no­lo­gie » vient du grec tekh­nê, signi­fiant « art » ou « métier », et logos, dési­gnant le dis­cours ou la connais­sance ; la tech­no­lo­gie se posi­tionne donc comme un savoir-faire tech­nique, un outil visant à trans­for­mer ou amé­lio­rer l’état de fait.

Amé­lio­rer l’existant, n’est-ce pas ce à quoi devrait viser l’éducation pour accom­pa­gner, faire émer­ger le poten­tiel de chaque élève ? Com­ment dans ce contexte se défier de l’usage de la tech­no­lo­gie dans l’éducation ? C’est pour­tant le cas de beau­coup de déci­deurs poli­tiques, qui réduisent cari­ca­tu­ra­le­ment la tech­no­lo­gie aux « écrans » et orga­nisent la dis­cus­sion autour de la cap­ta­tion de l’attention des réseaux sociaux et autres Gafam qui, il est vrai, façonnent le quo­ti­dien de nos enfants. Cette sim­pli­fi­ca­tion pola­rise le débat public dans un contexte dans lequel le Pré­sident de la Répu­blique lui-même a réuni une com­mis­sion écran pour sta­tuer avec des experts des usages tech­no­lo­giques à l’école, com­mis­sion dont les pré­co­ni­sa­tions ont conduit à une confu­sion cer­taine chez les acteurs institutionnels.

L’edtech : un potentiel sous-exploité

Il y a 540 entre­prises edtech en France. Cha­cune d’entre elles repré­sente une pro­messe immense pour trans­for­mer l’apprentissage en pro­fon­deur, en s’attelant à des pro­blé­ma­tiques d’enseignement spé­ci­fiques. Elles ont pour la plu­part en com­mun la volon­té de pro­po­ser aux ensei­gnants la dif­fé­ren­cia­tion péda­go­gique, si néces­saire à l’équité d’accès au savoir.

Un des atouts majeurs de l’edtech est sa capa­ci­té à per­son­na­li­ser les appren­tis­sages, en pro­po­sant des acti­vi­tés capables de s’ajuster en temps réel au niveau et au rythme de chaque élève. On peut citer quelques exemples. Domos­cio, pres­ta­taire fran­çais qui pro­pose à ses par­te­naires des solu­tions d’adap­tive lear­ning pour adap­ter leurs par­cours péda­go­giques ; Lali­lo, créé par les coor­don­na­teurs de ce dos­sier, un exer­ci­seur (logi­ciel géné­ra­teur d’exercices) qui indi­vi­dua­lise l’apprentissage de la lec­ture ; ou encore Evi­den­ceB, qui conçoit des par­cours du même type pour les mathé­ma­tiques, les langues.

Cela per­met non seule­ment de ren­for­cer les acquis des élèves en dif­fi­cul­té, mais aus­si de sti­mu­ler ceux qui ont besoin d’un appren­tis­sage plus avan­cé. De nom­breuses études sou­lignent l’impact signi­fi­ca­tif de ce genre de fonc­tion­na­li­tés, pour un faible coût, sans com­mune mesure avec les autres leviers d’amélioration du sys­tème éducatif.

Au-delà des contenus scolaires

Les outils edtech ne se limitent pas aux seuls conte­nus sco­laires. Les outils col­la­bo­ra­tifs per­mettent de créer des envi­ron­ne­ments d’apprentissage dyna­miques où les élèves peuvent inter­agir, cocons­truire des pro­jets et par­ta­ger leurs idées. On peut pen­ser à Kahoot, Woo­clap ou même Can­va. Cer­tains outils sont utiles pour l’orientation sco­laire (Jex­plore, Impa­la, Hel­lo Char­ly), pour le sou­tien des élèves à besoin édu­ca­tif par­ti­cu­lier (Can­too, Mobi­dys, Kar­di) ou bien même pour la col­la­bo­ra­tion de l’équipe péda­go­gique (Le p’tit obser­va­toire). Enfin, l’edtech pré­pare aus­si les élèves à un monde en pleine transformation.

Des outils pour l’initiation à la pro­gram­ma­tion (Magic Mar­kers) ou pour la modé­li­sa­tion 3D (Tin­ker­cad) per­mettent d’introduire des com­pé­tences clés dès le plus jeune âge. En inté­grant de tels outils dans l’enseignement, les éta­blis­se­ments donnent aux élèves une lon­gueur d’avance dans des domaines d’avenir, tout en leur per­met­tant de déve­lop­per une pen­sée cri­tique face à la tech­no­lo­gie. J’ai person­nellement créé une appli­ca­tion, Plume, qui pro­pose des acti­vi­tés d’écriture et un assis­tant rédac­tion­nel pour déve­lop­per le plai­sir d’écrire, l’autonomie et la créa­ti­vi­té. Nous nous appuyons sur un moteur d’IA pour carac­té­ri­ser les écrits des élèves, les « posi­tion­ner » en termes d’acquisitions (ce qui est extrê­me­ment com­plexe) et géné­rer des acti­vi­tés sur mesure pour les ensei­gnants, faci­li­tant ain­si la prise en charge de l’enseignement et sa per­for­mance. Mal­gré ces pers­pec­tives pro­met­teuses, la France n’exploite pas encore plei­ne­ment la puis­sance de l’edtech. Les rai­sons sont par­fois idéologiques.

La technologie en procès : charge contre les écrans dans l’éducation

Avant d’être une nou­velle donne de l’éducation, les écrans se retrouvent au cœur de dis­cours pola­ri­sés, dès lors qu’on ques­tionne leur place dans la vie des plus jeunes. « On oscille entre un opti­misme sans bornes lié à l’arrivée des nou­velles tech­no­lo­gies et une peur face au risque de perte de l’attention et celui – fan­tas­mé – d’addiction », note Ele­na Pas­qui­nel­li, cher­cheure en sciences cog­ni­tives, membre de la Fon­da­tion La main à la pâte et asso­ciée à l’Institut Jean-Nicod de l’ENS. Une ten­sion que l’on retrouve au niveau ins­ti­tu­tion­nel : l’utilisation des tech­no­lo­gies numé­riques se trouve tan­tôt encou­ra­gée, tan­tôt dépré­ciée dans le cadre scolaire.

Alors oui, la sur­con­som­ma­tion d’écrans est néfaste pour la san­té, mais il ne convient pas non plus d’en faire le bouc émis­saire de tous les maux de la socié­té, et ils sont nom­breux ! Une des dif­fi­cul­tés, c’est que la recherche sur les écrans ne nous donne pas un degré de cer­ti­tude com­pa­rable à celui qu’on trouve dans d’autres domaines : le phé­no­mène est encore trop récent et on manque de recul.

Ni optimisme ni catastrophisme

On doit sor­tir de ces visions mythiques un peu extrêmes : opti­misme ou catas­tro­phisme. Le rap­port aux écrans est com­plexe et éteindre ou inter­dire les écrans ne suf­fit pas. Le numé­rique sco­laire est sou­vent per­çu comme une force qui isole, rédui­sant les élèves à des indi­vi­dus connec­tés à leurs appa­reils plu­tôt qu’à une com­mu­nau­té d’apprenants enga­gés. Le rap­port PISA de l’OCDE en 2015 a révé­lé que les pays ayant inves­ti mas­si­ve­ment dans les équi­pe­ments numé­riques à l’école ne sont pas néces­sai­re­ment ceux obte­nant les meilleurs résultats.

Cette consta­ta­tion a ali­men­té les cri­tiques, posant la ques­tion de savoir si la tech­no­lo­gie aide véri­ta­ble­ment à amé­lio­rer l’apprentissage ou si elle ajoute une couche de com­plexi­té inutile aux méthodes péda­go­giques. La sur­re­pré­sen­ta­tion de la tech­no­lo­gie dans l’éducation conduit éga­le­ment à une dépen­dance coû­teuse aux infra­struc­tures et aux logi­ciels, au détri­ment des fon­da­men­taux péda­go­giques. Elle pose éga­le­ment le sujet de la sou­ve­rai­ne­té et du trai­te­ment (sen­sible) des don­nées de nos élèves. L’introduction d’appareils numé­riques dans les classes néces­site des dépenses en main­te­nance, en for­ma­tion et en mise à jour régu­lière, autant d’investissements qui échappent aux réa­li­tés bud­gé­taires de nom­breux éta­blis­se­ments scolaires.

Le numérique éducatif, un levier d’égalité

Bien que les écrans soient au cœur des polé­miques, il est impor­tant de dis­tin­guer l’usage de la tech­no­lo­gie édu­ca­tive du simple fait de « consom­mer » des écrans. La tech­no­lo­gie appli­quée au domaine édu­ca­tif pro­pose des outils visant l’engagement et l’apprentissage actif, per­met­tant d’adapter les conte­nus aux niveaux et besoins des élèves. Les pla­te­formes numé­riques, comme celles de Khan Aca­de­my ou d’autres acteurs de l’edtech, mettent à dis­po­si­tion des res­sources qui adaptent les par­cours péda­go­giques, et des études montrent qu’une telle per­son­na­li­sa­tion accroît la moti­va­tion et la réus­site des élèves.

“Offrir à chaque élève des moyens d’apprendre dans des conditions améliorées.”

Le numé­rique édu­ca­tif per­met aus­si de réduire les inéga­li­tés : il est sou­vent la seule voie d’accès aux savoirs pour des élèves dans des zones éloi­gnées ou dans des contextes défa­vo­ri­sés. En France, l’initiative Plan numé­rique pour l’éducation a cher­ché à mettre en place des classes connec­tées dans les éta­blis­se­ments situés en réseaux d’éducation prio­ri­taire (REP), afin de com­pen­ser les dis­pa­ri­tés d’accès aux outils péda­go­giques. Des pro­grammes de ce type ont mon­tré des résul­tats encou­ra­geants, dans la mesure où ils per­mettent d’offrir à chaque élève des moyens d’apprendre dans des condi­tions améliorées.

Relier l’école au monde du travail

Enfin, l’usage des tech­no­lo­gies peut contri­buer à réduire l’écart entre l’école et le monde du tra­vail. Dans une éco­no­mie de plus en plus numé­ri­sée, l’apprentissage des com­pé­tences tech­no­lo­giques dès le plus jeune âge devient un atout pour l’avenir des élèves. En pro­po­sant des modules de pro­gram­ma­tion, de robo­tique ou de réflexion cri­tique sur les don­nées et les réseaux sociaux, l’école pré­pare les élèves à un monde en pleine mutation.

En France, le pro­gramme PIX, por­té par le minis­tère de l’Éducation natio­nale et conçu en par­te­na­riat avec la Caisse des dépôts, pro­pose une pla­te­forme d’évaluation et de cer­ti­fi­ca­tion des com­pé­tences numé­riques pour les élèves, les étu­diants et les adultes. Avec PIX, les élèves déve­loppent des savoir-faire concrets : maî­trise des outils bureau­tiques, com­pré­hen­sion des ques­tions de sécu­ri­té en ligne ou encore esprit cri­tique face à l’information. Ce dis­po­si­tif, qui devient obli­ga­toire pour les col­lé­giens et les lycéens, offre une réponse concrète aux besoins de for­ma­tion dans une socié­té de plus en plus numé­ri­sée, tout en four­nis­sant un cadre struc­tu­ré et éga­li­taire pour l’acquisition de ces com­pé­tences essentielles.

L’absence d’une véritable vision politique

En France, le débat autour de la tech­no­lo­gie à l’école révèle une ques­tion de fond : à quoi l’école est-elle cen­sée ser­vir ? Culture com­mune, pro­fes­sion­na­li­sa­tion, épa­nouis­se­ment de l’individu ? C’est pré­ci­sé­ment parce que la tech­no­lo­gie bous­cule la socié­té que la tech­no­lo­gie devrait entrer à l’école.

Dans le pay­sage actuel, aucun acteur ins­ti­tu­tion­nel ne semble véri­ta­ble­ment « pen­ser » la tech­no­lo­gie édu­ca­tive de manière sys­té­ma­tique. Les déci­deurs poli­tiques manquent de vision et de moyens pour orches­trer une poli­tique cohé­rente sur l’intégration de la tech­no­lo­gie. Les ensei­gnants, quant à eux, sont sou­vent confron­tés à des injonc­tions contra­dic­toires : d’un côté, encou­ra­gés à inté­grer le numé­rique et, de l’autre, culpa­bi­li­sés par l’angoisse col­lec­tive autour des écrans. Ils font sou­vent fina­le­ment ce qu’ils peuvent avec leurs deniers per­son­nels et des éco­no­mies de bouts de chandelle.

La mise en œuvre d’une tech­no­lo­gie édu­ca­tive effi­cace néces­site un inves­tis­se­ment impor­tant, non seule­ment dans les infra­struc­tures, mais aus­si dans la for­ma­tion conti­nue des ensei­gnants. Les moyens font défaut et les ensei­gnants ne reçoivent pas les sou­tiens néces­saires pour inno­ver dans leur approche péda­go­gique. En consé­quence, beau­coup d’entre eux se retrouvent contraints de faire preuve d’inventivité pour contour­ner les limi­ta­tions bud­gé­taires ou les dis­po­si­tifs, quand ils ne se voient pas tout sim­ple­ment décou­ra­gés d’explorer de nou­velles pistes numé­riques avec des pra­tiques de poli­tiques publiques tota­le­ment incompréhensibles.

Question de stratégie

L’usage de la tech­no­lo­gie dans l’éducation fran­çaise est aujourd’hui un sujet pola­ri­sé et frag­men­té, influen­cé par des débats de socié­té qui reflètent notre rap­port col­lec­tif au pro­grès, à la péda­go­gie et à l’égalité. Ce que nous obser­vons est symp­to­ma­tique d’une inter­ro­ga­tion plus vaste : quel rôle doit jouer l’école dans une socié­té numé­ri­sée ? Sans réponse claire, il est dif­fi­cile de mettre en place une poli­tique qui allie­rait des objec­tifs péda­go­giques avec un usage réflé­chi de la tech­no­lo­gie. L’avenir de la tech­no­lo­gie dans l’éducation dépen­dra de notre capa­ci­té à aller au-delà des peurs et des cari­ca­tures, pour faire des choix éclai­rés, en ali­gnant les moyens et les objec­tifs d’une édu­ca­tion pen­sée pour le bien com­mun et pour l’avenir des géné­ra­tions à venir.

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