Du bon usage de la technologie dans l’éducation
L’edtech, c’est-à-dire la technologie au service de l’éducation, pâtit de l’image négative attachée aux écrans dans les pratiques et le développement de la jeunesse contemporaine. Ces technologies sont pourtant susceptibles d’apporter des services très appréciables au monde scolaire et certaines expérimentations donnent des résultats positifs. Encore faudrait-il avoir une idée claire des finalités scolaires et de la stratégie à développer en fonction de cela pour les nouvelles technologies à l’école. Et aussi leur donner les moyens nécessaires.
L’usage de la technologie dans l’éducation soulève bien des questions, sur les plans tant pédagogique qu’éthique, social, mais aussi économique, dans un contexte de crise et de coupes dans les dépenses publiques. Étymologiquement, le mot « technologie » vient du grec tekhnê, signifiant « art » ou « métier », et logos, désignant le discours ou la connaissance ; la technologie se positionne donc comme un savoir-faire technique, un outil visant à transformer ou améliorer l’état de fait.
Améliorer l’existant, n’est-ce pas ce à quoi devrait viser l’éducation pour accompagner, faire émerger le potentiel de chaque élève ? Comment dans ce contexte se défier de l’usage de la technologie dans l’éducation ? C’est pourtant le cas de beaucoup de décideurs politiques, qui réduisent caricaturalement la technologie aux « écrans » et organisent la discussion autour de la captation de l’attention des réseaux sociaux et autres Gafam qui, il est vrai, façonnent le quotidien de nos enfants. Cette simplification polarise le débat public dans un contexte dans lequel le Président de la République lui-même a réuni une commission écran pour statuer avec des experts des usages technologiques à l’école, commission dont les préconisations ont conduit à une confusion certaine chez les acteurs institutionnels.
L’edtech : un potentiel sous-exploité
Il y a 540 entreprises edtech en France. Chacune d’entre elles représente une promesse immense pour transformer l’apprentissage en profondeur, en s’attelant à des problématiques d’enseignement spécifiques. Elles ont pour la plupart en commun la volonté de proposer aux enseignants la différenciation pédagogique, si nécessaire à l’équité d’accès au savoir.
Un des atouts majeurs de l’edtech est sa capacité à personnaliser les apprentissages, en proposant des activités capables de s’ajuster en temps réel au niveau et au rythme de chaque élève. On peut citer quelques exemples. Domoscio, prestataire français qui propose à ses partenaires des solutions d’adaptive learning pour adapter leurs parcours pédagogiques ; Lalilo, créé par les coordonnateurs de ce dossier, un exerciseur (logiciel générateur d’exercices) qui individualise l’apprentissage de la lecture ; ou encore EvidenceB, qui conçoit des parcours du même type pour les mathématiques, les langues.
Cela permet non seulement de renforcer les acquis des élèves en difficulté, mais aussi de stimuler ceux qui ont besoin d’un apprentissage plus avancé. De nombreuses études soulignent l’impact significatif de ce genre de fonctionnalités, pour un faible coût, sans commune mesure avec les autres leviers d’amélioration du système éducatif.
Au-delà des contenus scolaires
Les outils edtech ne se limitent pas aux seuls contenus scolaires. Les outils collaboratifs permettent de créer des environnements d’apprentissage dynamiques où les élèves peuvent interagir, coconstruire des projets et partager leurs idées. On peut penser à Kahoot, Wooclap ou même Canva. Certains outils sont utiles pour l’orientation scolaire (Jexplore, Impala, Hello Charly), pour le soutien des élèves à besoin éducatif particulier (Cantoo, Mobidys, Kardi) ou bien même pour la collaboration de l’équipe pédagogique (Le p’tit observatoire). Enfin, l’edtech prépare aussi les élèves à un monde en pleine transformation.
Des outils pour l’initiation à la programmation (Magic Markers) ou pour la modélisation 3D (Tinkercad) permettent d’introduire des compétences clés dès le plus jeune âge. En intégrant de tels outils dans l’enseignement, les établissements donnent aux élèves une longueur d’avance dans des domaines d’avenir, tout en leur permettant de développer une pensée critique face à la technologie. J’ai personnellement créé une application, Plume, qui propose des activités d’écriture et un assistant rédactionnel pour développer le plaisir d’écrire, l’autonomie et la créativité. Nous nous appuyons sur un moteur d’IA pour caractériser les écrits des élèves, les « positionner » en termes d’acquisitions (ce qui est extrêmement complexe) et générer des activités sur mesure pour les enseignants, facilitant ainsi la prise en charge de l’enseignement et sa performance. Malgré ces perspectives prometteuses, la France n’exploite pas encore pleinement la puissance de l’edtech. Les raisons sont parfois idéologiques.
La technologie en procès : charge contre les écrans dans l’éducation
Avant d’être une nouvelle donne de l’éducation, les écrans se retrouvent au cœur de discours polarisés, dès lors qu’on questionne leur place dans la vie des plus jeunes. « On oscille entre un optimisme sans bornes lié à l’arrivée des nouvelles technologies et une peur face au risque de perte de l’attention et celui – fantasmé – d’addiction », note Elena Pasquinelli, chercheure en sciences cognitives, membre de la Fondation La main à la pâte et associée à l’Institut Jean-Nicod de l’ENS. Une tension que l’on retrouve au niveau institutionnel : l’utilisation des technologies numériques se trouve tantôt encouragée, tantôt dépréciée dans le cadre scolaire.
Alors oui, la surconsommation d’écrans est néfaste pour la santé, mais il ne convient pas non plus d’en faire le bouc émissaire de tous les maux de la société, et ils sont nombreux ! Une des difficultés, c’est que la recherche sur les écrans ne nous donne pas un degré de certitude comparable à celui qu’on trouve dans d’autres domaines : le phénomène est encore trop récent et on manque de recul.
Ni optimisme ni catastrophisme
On doit sortir de ces visions mythiques un peu extrêmes : optimisme ou catastrophisme. Le rapport aux écrans est complexe et éteindre ou interdire les écrans ne suffit pas. Le numérique scolaire est souvent perçu comme une force qui isole, réduisant les élèves à des individus connectés à leurs appareils plutôt qu’à une communauté d’apprenants engagés. Le rapport PISA de l’OCDE en 2015 a révélé que les pays ayant investi massivement dans les équipements numériques à l’école ne sont pas nécessairement ceux obtenant les meilleurs résultats.
Cette constatation a alimenté les critiques, posant la question de savoir si la technologie aide véritablement à améliorer l’apprentissage ou si elle ajoute une couche de complexité inutile aux méthodes pédagogiques. La surreprésentation de la technologie dans l’éducation conduit également à une dépendance coûteuse aux infrastructures et aux logiciels, au détriment des fondamentaux pédagogiques. Elle pose également le sujet de la souveraineté et du traitement (sensible) des données de nos élèves. L’introduction d’appareils numériques dans les classes nécessite des dépenses en maintenance, en formation et en mise à jour régulière, autant d’investissements qui échappent aux réalités budgétaires de nombreux établissements scolaires.
Le numérique éducatif, un levier d’égalité
Bien que les écrans soient au cœur des polémiques, il est important de distinguer l’usage de la technologie éducative du simple fait de « consommer » des écrans. La technologie appliquée au domaine éducatif propose des outils visant l’engagement et l’apprentissage actif, permettant d’adapter les contenus aux niveaux et besoins des élèves. Les plateformes numériques, comme celles de Khan Academy ou d’autres acteurs de l’edtech, mettent à disposition des ressources qui adaptent les parcours pédagogiques, et des études montrent qu’une telle personnalisation accroît la motivation et la réussite des élèves.
“Offrir à chaque élève des moyens d’apprendre dans des conditions améliorées.”
Le numérique éducatif permet aussi de réduire les inégalités : il est souvent la seule voie d’accès aux savoirs pour des élèves dans des zones éloignées ou dans des contextes défavorisés. En France, l’initiative Plan numérique pour l’éducation a cherché à mettre en place des classes connectées dans les établissements situés en réseaux d’éducation prioritaire (REP), afin de compenser les disparités d’accès aux outils pédagogiques. Des programmes de ce type ont montré des résultats encourageants, dans la mesure où ils permettent d’offrir à chaque élève des moyens d’apprendre dans des conditions améliorées.
Relier l’école au monde du travail
Enfin, l’usage des technologies peut contribuer à réduire l’écart entre l’école et le monde du travail. Dans une économie de plus en plus numérisée, l’apprentissage des compétences technologiques dès le plus jeune âge devient un atout pour l’avenir des élèves. En proposant des modules de programmation, de robotique ou de réflexion critique sur les données et les réseaux sociaux, l’école prépare les élèves à un monde en pleine mutation.
En France, le programme PIX, porté par le ministère de l’Éducation nationale et conçu en partenariat avec la Caisse des dépôts, propose une plateforme d’évaluation et de certification des compétences numériques pour les élèves, les étudiants et les adultes. Avec PIX, les élèves développent des savoir-faire concrets : maîtrise des outils bureautiques, compréhension des questions de sécurité en ligne ou encore esprit critique face à l’information. Ce dispositif, qui devient obligatoire pour les collégiens et les lycéens, offre une réponse concrète aux besoins de formation dans une société de plus en plus numérisée, tout en fournissant un cadre structuré et égalitaire pour l’acquisition de ces compétences essentielles.
L’absence d’une véritable vision politique
En France, le débat autour de la technologie à l’école révèle une question de fond : à quoi l’école est-elle censée servir ? Culture commune, professionnalisation, épanouissement de l’individu ? C’est précisément parce que la technologie bouscule la société que la technologie devrait entrer à l’école.
Dans le paysage actuel, aucun acteur institutionnel ne semble véritablement « penser » la technologie éducative de manière systématique. Les décideurs politiques manquent de vision et de moyens pour orchestrer une politique cohérente sur l’intégration de la technologie. Les enseignants, quant à eux, sont souvent confrontés à des injonctions contradictoires : d’un côté, encouragés à intégrer le numérique et, de l’autre, culpabilisés par l’angoisse collective autour des écrans. Ils font souvent finalement ce qu’ils peuvent avec leurs deniers personnels et des économies de bouts de chandelle.
La mise en œuvre d’une technologie éducative efficace nécessite un investissement important, non seulement dans les infrastructures, mais aussi dans la formation continue des enseignants. Les moyens font défaut et les enseignants ne reçoivent pas les soutiens nécessaires pour innover dans leur approche pédagogique. En conséquence, beaucoup d’entre eux se retrouvent contraints de faire preuve d’inventivité pour contourner les limitations budgétaires ou les dispositifs, quand ils ne se voient pas tout simplement découragés d’explorer de nouvelles pistes numériques avec des pratiques de politiques publiques totalement incompréhensibles.
Question de stratégie
L’usage de la technologie dans l’éducation française est aujourd’hui un sujet polarisé et fragmenté, influencé par des débats de société qui reflètent notre rapport collectif au progrès, à la pédagogie et à l’égalité. Ce que nous observons est symptomatique d’une interrogation plus vaste : quel rôle doit jouer l’école dans une société numérisée ? Sans réponse claire, il est difficile de mettre en place une politique qui allierait des objectifs pédagogiques avec un usage réfléchi de la technologie. L’avenir de la technologie dans l’éducation dépendra de notre capacité à aller au-delà des peurs et des caricatures, pour faire des choix éclairés, en alignant les moyens et les objectifs d’une éducation pensée pour le bien commun et pour l’avenir des générations à venir.