Du Collège royal au Prytanée militaire : quatre cents ans d’éducation à La Flèche
La fondation du Collège royal
La fondation du Collège royal
Au milieu du XVIe siècle, les grands-parents paternels de Henri IV possédaient un petit château à La Flèche, à la limite nord de l’Anjou, où, selon la tradition orale, ses parents, Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret, le conçurent, si bien que le Vert-Galant aurait été fléchois avant de naître palois en 1553 ! Un demi-siècle plus tard, Henri IV décida, par l’édit de Rouen (septembre 1603), de fonder à La Flèche un collège et d’en confier l’enseignement aux jésuites. Il faisait ainsi d’une pierre plusieurs coups : il se réconciliait avec Rome en autorisant le retour des jésuites expulsés du royaume en 1594, il faisait pièce au rayonnement de l’académie protestante de Saumur, et il favorisait la ville de La Flèche en y créant un grand collège qui » soit comme un séminaire général et universel, auquel ils [les jésuites] enseigneront toutes les sciences et facultés qu’ils ont accoutumé enseigner aux plus grands collèges et universités de leur compagnie… » Cet édit fut confirmé par celui de Fontainebleau (mai 1607). L’attachement de Henri IV à la ville de La Flèche était réel et se manifesta notamment par son désir qu’à leur mort son cœur et celui de la reine fussent conservés dans des urnes placées dans le chœur de la splendide chapelle du Collège.
Les premiers élèves arrivèrent en janvier 1604, en même temps que débutèrent les travaux ; assez vite, un magnifique ensemble de bâtiments vit le jour. La notoriété du Collège s’étendit rapidement à tout le royaume et même au-delà, au point que Descartes, son plus illustre ancien élève, put écrire, dans le Discours de la Méthode, qu’il avait étudié dans » l’une des plus célèbres écoles de l’Europe « .
En 1761, le Parlement de Paris ordonna la fermeture de tous les collèges dirigés par les jésuites, puis l’année suivante leur expulsion du royaume et leur dispersion. Cet événement causait un lourd préjudice à la ville de La Flèche qui vivait en grande partie grâce à son collège. Les édiles fléchois firent face en créant un petit collège municipal, mais il était évident que ce n’était qu’un palliatif. Ils se décidèrent à envoyer à Louis XV un long mémoire présentant tous les avantages de l’établissement de leur ville. Leur supplique fut entendue : en 1764, Choiseul créait à La Flèche un Collège royal militaire préparatoire à l’École militaire de Paris.
En 1776, le comte de Saint-Germain supprima l’exclusivité du collège de La Flèche, et créa douze Écoles royales militaires dépendant du ministère de la Guerre, mais confiées à diverses congrégations religieuses, les frères de la doctrine chrétienne en ce qui concerne La Flèche.
Vinrent la Révolution et tous les troubles qu’elle entraîna. Le Collège vivota jusqu’à la Terreur, puis fut fermé ; mais dès 1795 un établissement dénommé petit collège fut établi dans les bâtiments chargés de près de deux siècles d’histoire.
La création du Prytanée
Le 1er germinal an VIII (22 mars 1800), le ministre de l’Intérieur, Lucien Bonaparte, crée le Prytanée français, comportant quatre collèges installés à Paris, Fontainebleau, Versailles et Saint-Germain. Celui de Versailles occupait les locaux de la Maison d’éducation fondée par Madame de Maintenon à Saint-Cyr. Le 15 vendémiaire an XII (8 octobre 1803), un arrêté attribue au seul collège de Saint-Cyr le nom de Prytanée français. Le 13 fructidor an XIII (31 août 1805), depuis le camp de Boulogne, un décret est pris décidant que Saint-Cyr s’appellerait désormais Prytanée militaire français.
Pendant ce temps, à La Flèche, les conseillers municipaux se démenaient pour qu’un établissement important occupât les locaux de l’ancien collège royal ; ils contactèrent en particulier M. de Champagny, ancien élève du Collège royal militaire, ministre de l’Intérieur puis des Relations extérieures et le général Clarke, ministre de la Guerre et, lui aussi, ancien élève du Collège royal. Leurs vœux furent finalement comblés puisqu’à son retour à Paris, après la quatrième coalition, Napoléon décida le transfert de l’École spéciale militaire de Fontainebleau à Saint-Cyr et celui du Prytanée de Saint-Cyr à La Flèche qu’il ne devait plus quitter.
Tout au long du XIXe siècle, le nom de l’établissement changea selon les divers soubresauts politiques que connut la France, s’appelant École royale militaire préparatoire à la Restauration, Collège royal militaire sous la Monarchie de Juillet, Collège national militaire sous la seconde République, puis enfin, le 9 janvier 1853, Prytanée impérial militaire ; sa vocation militaire demeurait bien constante. À la chute du Second Empire, il devient Prytanée militaire, et plus récemment Prytanée national militaire.
Les anciens élèves du Prytanée
Pendant très longtemps et jusqu’aux années 1970 les anciens élèves du Prytanée ont pour la plupart fait des carrières militaires, souvent prestigieuses. Parmi les maréchaux de France Berwick, Clarke, Gallieni et quelques autres sous l’Ancien Régime étaient issus du Prytanée ; il en était de même pour les généraux Catroux, Massu et Simon, plus proches de nous, et c’est le cas de presque mille officiers généraux d’active ou de réserve qui sont vivants aujourd’hui, et parmi lesquels on compte un certain nombre d’ingénieurs généraux de l’armement issus de l’École polytechnique.
Moins illustres étaient le plus souvent les deux mille cinq cents anciens élèves qui, sous l’uniforme de ses armées, sont morts pour la France dans les combats des guerres des cent dernières années. Plus que tous les autres, ce sont eux qui ont donné au Prytanée ses titres de noblesse et de gloire ; et le culte de ces héros, toujours vivace à La Flèche, marque à jamais les anciens élèves de l’établissement.
À côté des militaires, et outre Descartes, de nombreux hommes célèbres ont été élèves du Collège royal ou du Prytanée. Bornons-nous à en citer quelques-uns : Le Royer de la Dauversière, l’un des fondateurs de Montréal, des hommes de lettres comme l’abbé Prévost, Kléber Haedens, des savants comme Borda, les frères Chappe, Ponte, des ecclésiastiques comme le cardinal Régnier, des marins comme Dupetit-Thouars, des ministres comme Nompère de Champagny, Missoffe, des acteurs comme Silvain, Brialy, et même des astronautes comme Baudry et le polytechnicien Clervoy. De très nombreux polytechniciens ont préparé l’X au Prytanée : Rossel, Guillaumat, Virlogeux, Caroline Aigle, première femme pilote de chasse, et, avec ou après eux, des hauts fonctionnaires des grands corps, des industriels, des dirigeants d’entreprise, comme Marcel Roulet (54), qui fut président de l’AX il y a quelques années, et bien d’autres qui ont de même servi le pays avec honneur.
Le Prytanée aujourd’hui
Depuis 1982, le Prytanée a perdu une partie de sa spécificité : il est devenu l’un des quatre lycées militaires placés sous la tutelle de l’État-major de l’armée de terre, avec ceux d’Autun, d’Aix-en-Provence et de Saint-Cyr-l’École. À la même époque les classes de la 6e à la 3e ont été supprimées, et des filles ont été admises ; elles représentent actuellement environ 20 % des quelque neuf cents élèves. Depuis lors on a assisté à une certaine démilitarisation de l’établissement : l’uniforme militaire a été remplacé par le blazer bleu marine et le pantalon gris clair qui se portent tête nue. Mais dans les grandes occasions le cérémonial militaire est respecté ; le drapeau de l’école, décoré de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre, est porté dignement par des élèves choisis par leurs condisciples et revêtus de la tenue de tradition, modernisée dans les années 1960, et toutes les classes s’alignent dans l’ordre rigoureux des grandes parades des armées.
Le Prytanée compte deux établissements géographiquement séparés où l’internat est le régime qui s’impose à tous les élèves :
- l’un, au centre de La Flèche, occupe les locaux historiques du Collège et accueille, sur dossier, les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles sans autre condition particulière de recrutement que celle de la volonté de préparer le concours d’entrée d’une grande école militaire. Il s’agit de l’aide au recrutement, les élèves s’engageant à servir l’État pendant un certain nombre d’années, ou à rembourser leurs frais d’études ;
- l’autre, à la périphérie de la ville, accueille environ 560 élèves de la seconde à la terminale, au titre de l’aide à la famille. Il s’agit d’enfants de militaires en activité ou en retraite, de fonctionnaires et de magistrats, sélectionnés également sur dossier.
Le Prytanée continue de justifier sa réputation d’école aux excellents résultats scolaires ; sa longue et brillante histoire et la vocation de ses dirigeants et anciens élèves de perpétuer le culte qu’on y sert de l’honneur et de la grandeur du service de la Nation marquent sans doute davantage la formation qui y est dispensée depuis quatre cents ans sous le regard des dirigeants du pays.
Un ouvrage portant le même titre que cet article a été édité par l’Association des anciens du Prytanée, 13, rue de Turin, 75008 Paris.