Du dégivrage des avions à la forme des glaçons
La formation de givre en hiver pose des problèmes majeurs pour les transports et certaines structures. Au LadHyX, laboratoire d’hydrodynamique de l’École polytechnique et du CNRS, des travaux sont menés sur les mécanismes couplant écoulement et solidification, en collaboration avec l’Institut d’Alembert (laboratoire de Sorbonne Université et du CNRS).
Si la compréhension du givrage ne pose pas apparemment de problèmes physiques fondamentaux, le contrôle de son apparition et de sa formation, de même que sa dynamique d’évolution, reste encore mal compris. En particulier, des questions aussi simples que l’épaisseur de givre formé ou les propriétés d’adhésion des structures de glace créées font intervenir le couplage entre plusieurs phases (essentiellement eau liquide et glace, mais quelquefois le taux d’humidité) ou les propriétés des matériaux sur lesquels le givre se forme. Les études sur la formation du givre et plus généralement sur le couplage entre solidification et écoulement ont connu un regain d’activité ces dernières années, motivées notamment par les enjeux de sécurité aérienne mais également par ceux liés au changement climatique, afin d’avoir une meilleure compréhension des échanges thermiques près des pôles en particulier.
REPÈRES
Au-delà du verglas qui perturbe la circulation, le givre peut clouer au sol un avion pour lequel le dégivrage sera long, impliquant souvent l’emploi de produits chimiques coûteux et polluants. En vol, il peut se former sur la carlingue et affecter l’aérodynamique de l’avion ou, plus grave encore, altérer les sondes de pression cruciales pour le bon fonctionnement de l’avion. Le dépôt de givre sur une éolienne conduit souvent à l’arrêt de celle-ci et là également il faut mettre en œuvre des dispositifs complexes et coûteux pour y remédier.
Dernier exemple, le givre ou le dépôt de neige constitue un risque climatique important de perturbation du réseau de transport électrique. Les mécanismes physiques à l’origine de la formation du givre peuvent varier suivant les cas et les circonstances, des gouttes d’eau en surfusion dans les nuages, qui solidifient au contact de l’avion, à la solidification lors du contact de l’eau sur une structure très froide ou lorsque l’atmosphère se refroidit rapidement.
Deux exemples
Pour illustrer simplement cette interaction entre hydrodynamique et solidification, on peut regarder comment une goutte d’eau déposée sur une surface très froide, par exemple un bloc de métal, gèle, conduisant à la formation inattendue d’une pointe de glace au sommet de la goutte ! Au début, on observe un front de solidification presque plat se propager dans la goutte à partir du substrat. La vitesse de propagation de ce front peut se comprendre simplement : la chaleur latente relâchée lors de la solidification est absorbée par le substrat par diffusion au travers de la couche de glace, ce qui conduit à une croissance en racine du temps de la couche de glace. Lors de cette croissance, c’est la condition de mouillage de l’eau sur la glace qui engendre la formation de la pointe de glace à la fin de la solidification. Ces pointes peuvent même s’observer quelquefois sur les glaçons de nos congélateurs !
Temps hydrodynamiques et thermiques
On peut comme second exemple s’intéresser aux structures de glace qui se forment lorsqu’une goutte d’eau impacte une surface très froide (par exemple une aile d’avion au sol ou une pale d’éolienne en hiver). La goutte d’eau s’étale lors de l’impact, alors qu’une mince couche de glace se forme au contact du substrat. Ensuite, après un temps de latence, le film d’eau non encore gelé se rétracte sur la couche de glace pour former in fine deux structures distinctes suivant, selon le cas étudié, la température de la plaque : à température moins basse, l’eau restante forme une goutte qui en solidifiant forme un dôme et l’allure finale de la goutte gelée ressemble à celle d’un œuf sur le plat. Mais attention ! Ce dôme n’est pas vraiment sphérique : il possède une pointe à son sommet, réminiscence de la dynamique de solidification décrite !
À température plus basse en revanche, le film liquide est stoppé lors de sa rétractation par le gel au centre du film et on observe la formation d’un demi-anneau de glace sur la couche fine de glace initiale. Cet exemple illustre ainsi simplement comment la différence entre les temps hydrodynamiques (rétractation du film liquide) et thermiques (croissance de la couche de glace) peut conduire à des structures glacées variées.
Pour aller plus loin…
Ces structures une fois formées, il reste à savoir si elles sont stables ou, plus précisément, si elles restent accrochées à la plaque ou si elles peuvent facilement s’en détacher, évitant ainsi l’altération des propriétés aérodynamiques du substrat par exemple. En effet, une fois gelée, la goutte reste au contact de la plaque, qui est à très basse température, et la glace continue donc de se refroidir, engendrant sa contraction. Cette contraction n’est pas compatible avec l’adhésion sur le substrat et on peut, suivant la température et la nature du substrat, obtenir la déstabilisation de la structure de deux manières très différentes. Dans certains cas en effet, plus précisément pour certains types de substrat, on peut observer à suffisamment basse température la délamination de la goutte de glace, c’est-à-dire son décrochage de la plaque.
Dans d’autres cas, on observe au contraire la formation de fissures, apparaissant plus ou moins brutalement suivant la température de la plaque. Si la première situation permet l’évacuation de la glace de la surface, la seconde au contraire laisse la glace accrochée et d’autant plus difficile à enlever !
Techniques de dégivrage
Pour finir, lorsque l’eau coule sur une surface très froide, la glace qui se forme est cette fois alimentée continûment par le filet d’eau qui va donc geler en s’écoulant. Cette situation peut se retrouver pendant les phases de dégivrage des ailes d’avion par exemple, où un chauffage est appliqué localement et entraîne la formation de filets liquides qui peuvent éventuellement regeler sur les zones plus froides (non chauffées) de l’aile. Dans ce cas, les échanges thermiques entre la paroi et le film liquide conduisent à l’évolution de la couche de glace via la chaleur relâchée par la solidification, et la formation d’une couche limite thermique dans le film liquide. Au fur et à mesure que l’eau dévale sur le substrat, la couche de glace s’épaissit, donnant lieu à un filin de glace dont l’épaisseur augmente linéairement le long de la paroi solide.
Pour conclure
Les géométries des structures de glace formées lorsqu’un écoulement est au contact d’une surface très froide varient donc fortement en fonction des paramètres à la fois de l’écoulement et du substrat. Leur compréhension impose de considérer le couplage entre thermique et mécanique des fluides et des solides, afin de pouvoir, par exemple, calculer leur stabilité mécanique. Au-delà des quelques exemples présentés ici, de nombreuses situations pourront être (re)considérées dans le futur, notamment en milieu naturel : de la formation des stalagmites et stalactites de glace le long des routes de montagne en hiver à la formation de cercles de glace dans les coudes des fleuves dans les régions nordiques.