Du produit au service – de l’usager au client
L’administration doit opérer une transformation équivalente à celle qu’ont connue les entreprises à partir de la fin des années soixante-dix : passer d’une logique d’offre (mettre à disposition un produit) à une logique de demande (fournir un service répondant aux attentes), dans laquelle l’usager est au centre de l’organisation.
Cette transformation ne doit pas être vécue comme une contrainte voulue par le politique pour s’inscrire “ dans l’air du temps ”.
Elle doit au contraire être perçue comme un des leviers principaux d’amélioration de l’action publique, en rappelant que la mission de service public n’est pas incompatible avec la notion de service au public.
Mais ce changement de paradigme demande de concilier une démarche “ lourde ” de changement en profondeur avec des projets à plus court terme fournissant des résultats concrets, même s’ils sont partiels.
La qualité du service rendu comme vecteur premier de la transformation de l’État
L’administration française souffre d’un paradoxe apparent : alors que dans de nombreux domaines la qualité intrinsèque de la prestation est élevée, sa perception est considérablement altérée par les conditions dans lesquelles cette prestation est délivrée.
De nombreux éléments peuvent ainsi nuire à l’efficacité globale perçue :
- les délais excessifs dans lesquels le service est rendu,
- la difficulté à identifier le bon organisme ou le bon interlocuteur,
- la lourdeur des démarches administratives demandées,
- les horaires d’ouverture restreints ou le temps d’attente au guichet,
- la difficulté à joindre une personne par téléphone…
Habitué en tant que consommateur à un niveau de service croissant, à la possibilité de changer de produit en cas d’insatisfaction, l’usager attend désormais de l’administration un niveau de performance équivalent à celui qu’il pense obtenir dans la sphère privée. Et de la même façon que son » expérience client » se forge sur l’ensemble de son acte d’achat et de consommation du produit, son » expérience d’administré » se construit sur l’ensemble de son acte de » consommation » de la démarche administrative. De fait, à travers les conditions insatisfaisantes dans lesquelles sa prestation est réalisée, l’usager se sentira le témoin de dysfonctionnements plus profonds de l’administration :
- la complexité interne,
- l’absence de logique de » performance « ,
- une culture de moyens plutôt que de résultats,
- une notion de service peu développée.
Il ne s’agit plus seulement de déterminer si la prestation rendue a été efficace, mais si les conditions dans lesquelles cette prestation a été rendue ont été satisfaisantes. L’amélioration du service rendu n’est plus la conséquence du changement mais la cause qui détermine quels changement opérer et comment les opérer. En (re)plaçant l’administré au cœur du système, c’est l’ensemble de l’organisation qui devra s’adapter pour trouver des solutions – court, moyen et long terme – pour améliorer son fonctionnement.
C’est le sens des démarches qualité qui apparaissent au niveau des collectivités locales, des hôpitaux ou des administrations centrales. Bien au-delà des déclarations de bonne intention, la fixation d’objectifs quantitatifs, parfois très simples (moins de X minutes d’attente au guichet, moins de N sonneries pour décrocher le téléphone…) permet de mobiliser l’ensemble des agents autour d’axes fédérateurs pour des évolutions plus profondes.
À cet égard, il est intéressant de constater qu’Internet a très rapidement été perçu dans le secteur public comme un levier particulièrement intéressant pour atteindre ces objectifs. Internet offre un support de la relation usager avec une accessibilité permanente et immédiate, permet de » gommer » la complexité interne de l’administration, automatise certains traitements… Le succès de la déclaration en ligne de l’impôt sur le revenu ou le trafic constaté sur service-public.fr témoignent de l’intérêt des usagers pour une relation et un accès simplifiés à l’administration.
L’amélioration du service rendu passe par une phase préalable de connaissance des besoins et des attentes dans une logique marketing
La satisfaction de l’usager passe par une phase indispensable de connaissance fine et régulière de ses critères de satisfaction et du niveau de performance qu’il attend sur chacun de ses critères de satisfaction. À l’intérieur du cadre général des missions et des objectifs du service public, dont la définition relève de la vision politique, la déclinaison » opérationnelle » de ces missions et objectifs » stratégiques » gagnera grandement en efficacité si elle est basée sur une connaissance préalable des populations, de leurs attentes et de leurs besoins. Il ne s’agit pas de consolider des appréciations ou ressentis personnels, notamment des acteurs du terrain, mais bien de mettre en place une démarche processée, rigoureuse et systématique d’analyse des attentes et des besoins des populations.
Pour reprendre l’analogie avec l’entreprise évoquée au début de cet article, il s’agit d’adopter une logique marketing basée sur des dispositifs d’étude (quantitatifs-qualitatifs) continus. Dans cet esprit, il est intéressant de constater dans certaines administrations l’utilisation du terme » client « , naguère banni, pour mieux caractériser la relation à développer entre l’administration et l’administré.
Cette connaissance acquise permet de mener trois types d’analyses.
- Segmenter les populations : à l’intérieur d’une même problématique générale (se faire soigner, trouver un emploi, rendre la justice…), on va trouver des situations différentes qui devront amener des réponses distinctes (exemple : pour l’accès aux soins, les besoins ne sont pas les mêmes pour une femme enceinte, un adolescent, une personne atteinte d’une maladie grave…).
- Développer des offres de services adaptées aux différents segments : la connaissance différenciée des attentes permet de construire des offres de services complètes et transversales, définies non plus en fonction d’une prestation que l’administration fournit mais en fonction d’une attente d’un segment de population sur une problématique donnée.
- Mesurer de manière objective la performance atteinte au regard d’objectifs fixés sur chacune des composantes de cette offre de services pour chaque segment de populations. L’enjeu est encore une fois, au-delà du débat politique et de la notion de service public qui relève d’une autre sphère, de déterminer comment il est possible de mettre en regard la performance rendue avec les attentes des populations.
Actionner les leviers du changement
La mise en place de cette » logique marketing » demande d’actionner un ensemble de leviers du changement en gérant conjointement deux échelles de temps : une approche à long terme pour aboutir aux réformes structurelles et une approche à court ou moyen terme pour donner une visibilité à ces chantiers à long terme. Plusieurs axes de réflexion peuvent être envisagés pour structurer cette approche.
- Créer des structures ayant des domaines de compétence transverses sur des segments de » publics » : l’organisation de l’administration est très verticalisée. Les structures transversales actuelles (interministériel, observatoires…) introduisent un premier niveau de transversalité, mais qui reste centré sur une problématique particulière. À quelque niveau que ce soit dans la fonction publique, il n’existe pas actuellement de structure ou d’organisme disposant d’une vision consolidée de l’ensemble des besoins ou des attentes par typologie de populations.
- Gérer la qualité du service rendu comme un programme global : de nombreux chantiers de réforme vont déjà dans le sens d’une amélioration du service rendu : e‑administration, centres de contacts interministériels, plates-formes de service… Il s’agit d’un vaste programme qui doit être géré en tant que tel avec une gestion de portefeuille et des cohérences et des priorités entre projets.
- Mobiliser les moyens adéquats pour réussir le changement culturel : la conduite du changement est probablement la condition la plus cruciale pour réussir la réforme. C’est un chantier à part entière, et probablement un des plus importants, pour lequel doivent être alloués des moyens proportionnels à l’ampleur des évolutions à venir en termes de fonctionnement, de management, de culture…
- Privilégier une mise en œuvre par étapes, en identifiant les domaines sur lesquels il est possible d’afficher des résultats rapides avec une valeur ajoutée perçue forte et immédiate : » Rome ne s’est pas construite en un jour « . Le succès d’une telle démarche dépend étroitement de sa capacité à produire des résultats tout au long de sa mise en œuvre, même si ces résultats sont partiels au regard de l’objectif final.
- Considérer que le système d’information peut être un accélérateur important de la diffusion d’une culture client : la constitution de bases de données et d’applicatifs intégrés permet souvent de matérialiser en interne une vision client et d’accélérer la refonte des processus et des organisations autour de cette vision intégrée.