Du rêve à la réalité
De par mon métier, j’accompagne les entreprises dans les phases d’émergence et de mise en oeuvre des projets innovants. C’est un formidable terrain d’observation où les idées éclosent, se nourrissent de multiples contributions, se métissent, prennent forme peu à peu pour devenir des idées présentables qui seront débattues, enrichies puis transformées en réalités opérationnelles.
L’auteur
Christine Fenouil dirige le Cabinet IDARED, spécialisé en innovation et transmission de compétences (www.idared.fr). Elle intervient auprès des décideurs et des équipes opérationnelles dans l’industrie et les services (Saint- Gobain , Lagardère, Rossignol, Atos Origin par exemple). Christine Fenouil a créé IDARED en 2006, après quinze ans d’expérience dans l’industrie, le conseil et la formation.
Quatre phases
Un processus d’innovation est un long cheminement, qui commence dans le monde imaginaire pour se terminer dans le monde réel. Il peut être segmenté en quatre phases successives.
Émergence
Dans la phase d’émergence, l’innovation n’existe que dans l’imaginaire des personnes qui la portent, d’abord un petit nombre de personnes puis de plus en plus. Cette phase est déterminante car bien que la qualité de mise en oeuvre d’une idée influe sensiblement sur le résultat final, il ne pourra sortir d’une idée médiocre qu’un projet de faible envergure.
Développement
La phase de développement commence lorsque l’organisation décide de dégager des moyens pour explorer cette nouvelle piste. L’innovation sort en quelque sorte de sa clandestinité. Au cours de cette phase, les équipes R&D et marketing sont en première ligne.
Mise en oeuvre
Dans la phase de mise en oeuvre, les caractéristiques de l’innovation sont figées et l’effort va porter sur sa « fabrication » à un coût acceptable avec une qualité reproductible et sur sa diffusion auprès de clients ou d’utilisateurs potentiels. Les équipes de production et les équipes commerciales prennent le relais.
Montée en puissance
Arrêter trop tôt une activité peut amener à se séparer de belles pépites
La dernière phase de l’innovation est la phase de montée en puissance de l’activité. Une innovation met toujours du temps à s’imposer sur un marché. La durée pendant laquelle la nouvelle activité bénéficie d’un traitement de faveur concernant les exigences de rentabilité opérationnelle est un paramètre déterminant. Décider trop tôt d’arrêter une activité peut amener l’organisation à se séparer de belles pépites. Cette phase est d’autant plus délicate à gérer que les jeunes activités sont financées par les activités matures, qui peuvent vivre comme une injustice cette différence de traitement.
Intuition
Revenons sur la phase d’émergence.
Apple
Quand, avant 1999, Steve Jobs demande à ses équipes de reconcevoir en profondeur le système d’exploitation MacOS pour le rendre compatible avec des produits issus du monde du logiciel libre, il n’a probablement pas encore en tête l’idée de vendre des téléphones. Quelques années plus tard, cette décision prise très tôt sur la base d’une intuition a permis à Apple de pénétrer en force le marché de la téléphonie mobile. Non seulement les applications développées par des tiers participent pour une part importante au succès de l’iPhone, mais Apple tire une nouvelle source de revenus de la commercialisation de ces applications.
L’intuition y joue un rôle central. Du point de vue de l’innovation, le cas d’Apple est relativement simple car c’est la même personne qui a l’intuition des nouvelles opportunités et qui décide in fine des choix d’investissement. Dans la majorité des cas, le processus est plus distribué. Une intuition naît chez un collaborateur.
Elle peut avoir pour origine une rencontre avec un client, des discussions avec des partenaires, un échange avec d’autres collaborateurs, la confrontation avec une nouvelle technologie, une observation. Ce collaborateur nourrit son intuition par des discussions avec des personnes en qui il a confiance, expérimente, recueille de nouvelles informations au gré de ses disponibilités.
Et ce n’est que lorsque ses réflexions sont suffisamment matures qu’il décide de construire un argumentaire pour convaincre des décideurs. Les décideurs, de leur côté, doivent faire le tri entre les différents projets qui leur sont soumis, sans avoir tous les éléments en main pour juger objectivement de la qualité intrinsèque des projets.
Stimuler la créativité
Les choix opérés par les décideurs sont rarement anodins sur le plan humain
Cette étape du processus est sensible et selon les contextes, elle sera plus ou moins naturelle et rapide. Elle est par essence incontrôlable car elle est officieuse et repose sur des initiatives individuelles.
Cependant, il existe des solutions pour la stimuler : planifier à échéances régulières des temps dédiés pour échanger autour des idées en dehors des contraintes opérationnelles, organiser des ateliers créatifs pour explorer des nouveaux sujets dans un contexte sécurisant et stimulant, confronter régulièrement les décideurs aux dernières avancées technologiques, créer des espaces d’expérimentation, accompagner les innovateurs pour promouvoir leur projet.
Prises de décision
Dans toutes les phases du processus d’innovation, les décideurs sont sollicités pour opérer des choix parmi les différentes options possibles. L’absence de prise de décision est d’ailleurs souvent citée comme un frein à l’innovation.
La force du rêve
Les équipes seront d’autant plus motivées pour atteindre un objectif que ce dernier les fait rêver. Un client achètera plus volontiers un produit s’il comporte une part de rêve. Un projet qui fait rêver un décideur aura plus de chances d’être retenu. Amorcer un processus d’innovation par une phase de rêve est un outil puissant pour fédérer les énergies et favoriser l’émergence de projets stratégiques. C’est également un moyen efficace pour désamorcer les jeux politiques qui sont un frein important à l’innovation.
Il est d’ailleurs toujours surprenant d’observer la qualité de réflexion d’un groupe qui a commencé par rêver.
L’autonomie des décideurs dans les étapes de sélection est un paramètre important. Diluer le processus de décision limite souvent la portée des innovations. En revanche, il est également important d’alimenter les réflexions des décideurs avec des éléments d’analyse les plus objectifs possible.
Les choix opérés par les décideurs sont rarement anodins sur le plan humain, et de nombreux paramètres biaisent la rationalité des débats : jeux politiques, conflits d’ego, logiques de défense d’intérêts particuliers. Il n’est pas rare, par exemple, que des débats d’apparence technique soient motivés par des enjeux personnels.
Innovations perturbatrices
Les biais sont d’autant plus importants que l’innovation est perturbatrice à l’égard de l’organisation : innovations qui impliquent une redéfinition des frontières entre les différents métiers, innovations transversales à plusieurs entités, innovations qui remettent en question les compétences des équipes en place, par exemple. Dans ce cas, l’apport d’un consultant extérieur est particulièrement utile pour optimiser le processus de décision. Cette intervention pourra prendre des formes variées : animation des réunions pour garantir la rationalité des débats, animation d’un groupe de réflexion transversal pour favoriser une logique de construction commune, recueils de points de vues en face à face, enquêtes terrain, construction de grilles d’analyse ad hoc, par exemple.
Aboutir au succès
L’innovation est un processus transversal qui implique tous les métiers et s’enrichit de multiples contributions. C’est aussi une zone de friction où se côtoient des acteurs de cultures différentes. Mettre en scène les rencontres qui émaillent la vie d’un projet innovant est un paramètre important pour que les richesses portées par les différents acteurs de l’innovation se complètent pour aboutir à un succès.