Du spatial à la mobilité, ArianeGroup accompagne la filière hydrogène
ArianeGroup utilise l’hydrogène liquide pour propulser les lanceurs Ariane. Alors que l’intérêt pour l’hydrogène s’intensifie notamment pour des applications de mobilité routière, aéronautique et maritime, le groupe franco-allemand, filiale commune d’Airbus et de Safran, met son expérience et son expertise au service des industriels et des états contribuant ainsi à la souveraineté européenne. Explications d’André-Hubert Roussel, CEO d’ArianeGroup.
ArianeGroup est un acteur historique de la filière hydrogène. Comment votre expertise en la matière s’est-elle renforcée au cours des dernières décennies ?
Nous utilisons l’hydrogène comme carburant pour notre lanceur Ariane depuis plus de 40 ans. Ce choix a été motivé par les caractéristiques de cette molécule assez unique. Disponible en abondance, l’hydrogène est l’élément le plus présent dans l’Univers et sur Terre. Cette molécule est par nature décarbonée et, quand elle est associée à l’oxygène, on obtient de l’eau. En termes de performance, elle est très légère mais trois fois plus énergétique que les hydrocarbures, des avantages clés dans le domaine de la propulsion.
L’hydrogène gazeux est très volumineux à stocker et nécessiterait de le contenir compressé à très forte pression, dans des réservoirs très lourds. C’est pourquoi nous l’utilisons à bord d’Ariane sous sa forme liquéfiée à ‑252°C. L’hydrogène liquide prend en effet 800 fois moins de place que sa forme gazeuse. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous utilisons donc la propulsion à oxygène et hydrogène liquides pour l’étage principal et pour l’étage supérieur de notre fusée.
Plus particulièrement, quels sont vos expertises et vos principaux savoir-faire dans ce domaine ?
Au fil des décennies, nous avons développé un savoir-faire unique en termes de conception, de production, de test et d’exploitation d’un véhicule alimenté à l’hydrogène liquide.
Au sein du groupe, nous comptons plus de 1 500 personnes en France et en Allemagne dédiées à cette activité dont plusieurs anciens élèves diplômés de l’École polytechnique, notamment la directrice de cette activité, Nadège Vissière, qui nous a rejoints récemment.
Nos compétences couvrent tout le cycle de vie du produit : le ravitaillement, le stockage, les circuits de distribution, les équipements, la combustion… auxquelles s’ajoutent des compétences transverses : caractérisation des matériaux, sécurité, essais…
Autant d’expertises et de savoir-faire que nous pouvons mettre à disposition des industriels qui, dans ce contexte de décarbonation et de transition énergétique, sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à cette molécule.
ArianeGroup dispose également d’un site unique au service des autres industries françaises et européennes. Quelles sont ses caractéristiques et ses leviers de différenciation dans le secteur de l’hydrogène ?
Le site de Vernon en Normandie est le « vaisseau amiral » de notre expertise dans ce domaine. C’est le centre où nous avons historiquement développé, produit et testé les moteurs de nos fusées. Vernon rassemble ainsi toutes les compétences autour de l’hydrogène. C’est aussi le plus grand site d’essai en Europe. D’une surface de 130 hectares, Vernon est un incroyable site pour tous les industriels et les entreprises qui veulent expérimenter l’hydrogène en toute sécurité. Vernon est, en effet, un site SEVESO seuil haut où il est possible de mener des expérimentations dans des conditions de sécurité optimales. Les capacités déployées à Vernon dans le cadre du développement d’Ariane ont été essentiellement financées par l’État. Il est donc parfaitement logique que nous rendions le site accessible à tous les acteurs qui souhaitent développer leurs activités liées à l’hydrogène.
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Quelles sont les principales industries qui vous font confiance ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?
On retrouve bien évidemment nos actionnaires, Airbus et Safran, qui ont des objectifs ambitieux en termes de transport aéronautique durable. Dans ce cadre, nous travaillons sur plusieurs projets en commun. On peut notamment citer le programme Hyperion, lancé en 2021, qui est une coopération entre ArianeGroup, Airbus et Safran, et qui est déployé avec le soutien de la DGAC afin d’étudier un ensemble propulsif intégré pour un avion de ligne à l’hydrogène. En parallèle, plusieurs projets sont menés autour des réservoirs, de la distribution, des équipements et des essais. Et pour accélérer le développement de l’avion zéro émission, nous avons signé avec Airbus et Safran un accord de coopération. Ces applications de l’hydrogène liquide intéressent aussi les acteurs de la mobilité à longue distance et de forte puissance, notamment dans le maritime, le fluvial, le routier, ou le ferroviaire, pour accélérer leur transition énergétique en capitalisant sur nos 40 ans d’expérience et d’expertise de l’hydrogène.
Comment contribuer au développement de cette filière hydrogène aussi bien en France qu’en Europe ? Quelles sont vos ambitions ?
Depuis notre création, notre activité est au service de la souveraineté européenne en matière de lanceurs civils et militaires.
Aujourd’hui, nous sommes au service de sa souveraineté énergétique et de l’atteinte de ses objectifs ambitieux en termes de décarbonation et de neutralité carbone.
Dans cette démarche, notre rôle est de mettre nos compétences et nos expertises au service de la France et des pays européens, mais aussi de leurs industriels. Au-delà, c’est aussi une opportunité pour ArianeGroup de créer un échange d’expertise avec d’autres industriels et de les appliquer à notre cœur de métier, le spatial, pour réduire nos coûts, allonger la durée de vie de nos produits…
Sur ces sujets et enjeux, quels sont vos axes de développement ?
Nous cherchons à développer l’activité hydrogène autour de différents axes, tels que les infrastructures sols, les équipements et sous-systèmes, ou encore les services d’essais, et à positionner notre site de Vernon comme un hub européen dédié à l’hydrogène. Dans cette démarche, nous bénéficions du soutien de nos actionnaires, de la Région Normandie, des agences spatiales (CNES, ESA…) et de nombreux autres acteurs de la filière. Nous sommes aussi membres de différents écosystèmes régionaux, nationaux et européens comme France Hydrogène. Au-delà, cette expertise nous permet de développer une activité nouvelle et complémentaire au spatial, d’élargir nos compétences et de proposer à nos équipes des projets toujours plus passionnants.
Focus innovation
par Jean-Christophe Henoux, VP en charge des Programmes Futurs au sein d’ArianeGroup.
En plus de l’hydrogène, l’utilisation du méthane est une alternative pertinente pour le carburant des lanceurs de demain. Qu’en est-il concrètement sur le plan opérationnel ?
Depuis plus de 40 ans, nous avons développé un savoir-faire avéré en matière de propulsion à l’hydrogène liquide pour notre lanceur Ariane. Aujourd’hui, nous nous intéressons aussi au méthane qui est moins coûteux, pratique et facile à manipuler avec notamment une liquéfaction qui s’opère à – 182°C. Sur le plan opérationnel, le recours au méthane permet de simplifier l’architecture des moteurs, le stockage des ergols à bord des fusées, mais aussi d’éliminer les systèmes de pressurisation complexes et coûteux à base d’hélium.
En outre, le méthane est 6 fois plus dense que l’hydrogène. Il prend donc moins de place.
La propulsion au méthane permet donc de fabriquer des fusées compactes et réutilisables.
Nous travaillons aujourd’hui sur Prométheus, un démonstrateur de moteur de nouvelle génération, réutilisable et fonctionnant à l’oxygène et au méthane liquides. C’est un moteur fabriqué en très grande partie en impression 3D métallique dont l’objectif est d’avoir un coût de production très bas. Une version de ce moteur fonctionnant à l’hydrogène est également en développement. Ce projet va nous permettre de simplifier les moteurs, de réduire les coûts, avec, in fine, la possibilité de choisir entre le méthane, pour des missions où un lanceur réutilisable est pertinent, et l’hydrogène pour des missions plus lourdes, comme l’exploration lointaine de l’espace, pour lesquelles on a besoin de plus d’énergie sur des lanceurs de type Ariane. En parallèle, nous travaillons avec les autres acteurs de la filière, et notamment le CNES au centre spatial guyanais, pour ne plus dépendre des énergies fossiles pour la production de ces carburants.
En termes d’innovation, quels sont les autres sujets qui vous mobilisent ?
Nous explorons plusieurs pistes :
- L’impression 3D : le moteur de Prometheus est imprimé à 70 % en 3D (ALM – Additive Layer Manufacturing). L’objectif est d’atteindre 100 % sur le moyen terme ;
- L’intelligence artificielle (IA) : Prometheus embarque de l’intelligence grâce à un calculateur dans le moteur, une technique usuelle dans l’aéronautique, mais une première dans le spatial. Cela nous ouvre de nouvelles perspectives en matière d’innovation et de maintenance prédictive ;
- Les composites : nous développons des réservoirs cryogéniques en composite pour stocker de l’hydrogène et de l’oxygène liquides, pour économiser de la masse sur le lanceur. Actuellement, nous ne savons pas encore stocker de l’hydrogène dans des réservoirs en composite sans perte à cause de la volatilité de l’hydrogène. Un démonstrateur est en cours en Allemagne pour maîtriser cette technologie d’ici 2025 et l’embarquer dès 2030 dans un nouvel étage supérieur d’Ariane appelé Icarus (Innovative Carbon ARiane Upper Stage) ;
- Des étages de fusées réutilisables pour réduire les coûts, c’est l’objet du programme de démonstration Themis que l’ESA a confié à ArianeGroup.