Du vent dans les branches de sassafras
Il est doux de médire du cinéma américain et plus encore de trouver, tout cuits, des aliments propres à rafraîchir cette médisance. Ces considérations expliquent sans doute, au moins en partie, le succès obtenu par la reprise récente d’une désopilante pièce de Obaldia, Du vent dans les branches de sassafras, d’abord au Théâtre du Ranelagh puis, pour les dernières représentations, au Petit Théâtre de Paris.
Le sassafras est une façon de laurier d’Amérique du Nord, utilisé là-bas non pas pour couronner des vainqueurs de jeux littéraires, mais plus prosaïquement pour ses vertus aromatiques. Peu importe d’ailleurs, et la pièce de Obaldia nous présente, à la manière d’un western foireux, avec méchants Indiens et putain au grand coeur, les tribulations d’un fermier besogneux du Middle West, nommé Rockefeller par antinomie, doté d’une épouse voyante à ses heures, d’un fils et d’une fille légitimes et endiablés, d’un ami médecin et alcoolique, d’un passé impur qui ressurgit au pire moment, assiégé en sa ferme par les Indiens, tout ce monde sauvé in extremis des tortures les plus atroces par l’arrivée d’un shérif à la générosité ombrageuse.
L’ensemble, enrichi par la langue somptueuse et cocasse de Obaldia, était fort bien joué par Maurice Barrier en Rockefeller essoufflé, naïf et sûr de soi, bien que totalement dépassé par les événements, et une troupe d’un exquis burlesque.
À de certains moments, surtout vers la fin, on retrouvait des accents à la Grenier-Hussenot et Frères Jacques quand, du côté de Saint-Germain-des-Prés, ils interprétaient Orion le tueur, charge, non pas d’un western, mais d’un mélodrame à la française, bien horrible façon Boulevard du Crime. Le très grand théâtre, versant comique, n’est donc pas mort !
La mise en scène était de Le Douarec, qui avait monté l’an dernier au Théâtre Quatorze des Obaldiableries dont je vous avais entretenus en leur temps dans ces colonnes. Je serais tenté de formuler à propos de ce Vent dans les branches de sassafras des réserves comparables à celles que j’émettais alors : un peu trop d’agitations, dansées cette fois. Certes il arrive aux mauvais westerns de verser dans le music-hall pour compenser l’inanité du sujet et occuper les spectateurs en leur montrant une large gamme des possibilités offertes par l’art cinématographique. Il en fallait donc pour magnifier la gratuite niaiserie de cette histoire à dormir debout.
En l’occurrence, j’aurais préféré que ces danses fussent plus grotesques et surtout moins longuettes. Comme elles intervenaient plutôt au début, on en retirait le sentiment d’une mise en branle tant soit peu laborieuse, qui pourtant n’est pas dans le texte.
Puisque nous en sommes à rire, pardonnez-moi de sauter du coq à l’âne, encore que restant dans une veine comique, cette fois involontaire mais que goûteront les lecteurs ayant naguère peiné en classe de sixième sur l’Epitome historiae graecae. Je viens de lire dans une biographie fort sérieuse et richement documentée de Rimbaud, publiée récemment par un des plus grands éditeurs parisiens, que le jeune Arthur avait, à la pension Rossat de Charleville, étudié l’histoire des Grecs d’Epitome. O tempora, o mores !