Dynamique des écosystèmes terrestres
La diversité d’un paysage s’explique déjà par une logique spatiale liée aux variations des conditions de station (topographie, sol.…). Un paysage est une mosaïque de compartiments stationnels qui possèdent chacun des caractères écologiques propres ; ils sont caractérisés par des communautés végétales et animales dotées d’un fonctionnement spécifique (écosystèmes).
Mais tout paysage répond aussi et surtout à une logique dynamique d’ordre temporel. Le tapis végétal est en mouvance générale et permanente. Plusieurs phénomènes sont à l’origine de cette mouvance :
- des processus progressifs, lents, qui interviennent sans arrêt au sein du tapis végétal : la croissance et la mortalité des individus, la concurrence intra et surtout interspécifique (pour l’espace, la lumière, la nourriture…) ;
- des perturbations ou catastrophes, phénomènes brutaux, imprévisibles, aléatoires, pouvant concerner de vastes espaces (tempêtes, incendies, éruptions volcaniques, crues brutales, attaques d’insectes…), à l’origine de phénomènes régressifs qui réactivent de nouveaux processus progressifs (voir photos page suivante)…
Les actions anthropiques développées depuis des millénaires marquent profondément de leur empreinte les paysages actuels ; elles sont ainsi à l’origine de la diversification des trajectoires dynamiques observées. Certaines activités (agropastorales…) se traduisent par contre par des blocages de la dynamique. Des mutations récentes (déprise agricole) provoquent la levée de ces blocages : entraînant la transformation des paysages dans de nombreuses régions.
Ces phénomènes dynamiques induisent des modifications des populations (dynamique démographique des populations d’espèces végétales, par exemple), des communautés végétales (transformation progressive d’une communauté en une autre), de certaines conditions stationnelles (sols, conditions microclimatiques…), des peuplements animaux…<>
Quelques bases conceptuelles
Successions
Partons d’un champ labouré et abandonné : y apparaissent rapidement des germinations de diverses espèces dont l’origine est variée (banque de semences du sol, apports par dissémination avec le vent, les animaux…). La composition de la flore initiale est donc le résultat de multiples hasards.
Puis, les espèces sont confrontées aux conditions du milieu ; certaines non adaptées aux conditions réunies localement sont éliminées. Peu à peu le couvert végétal se densifie avec concurrence intra et interspécifique conduisant là encore à la disparition de nouvelles espèces.
Il en résulte une communauté végétale avec un certain cortège floristique, momentanément stable, cortège qui évolue progressivement avec l’apport de nouvelles semences. Après une période où le hasard joue un rôle très important s’instaure une logique qui peut cependant être remise en cause par les impacts d’une perturbation.
La succession est la transformation progressive du tapis végétal vers le plus haut degré de maturation que permettent localement le sol et le climat. Elle se réalise par étapes ou stades caractérisés par des formations végétales différentes (au niveau du champ : stade pionnier à annuelles et bisannuelles dispersées, stade pelouse fermée, stade fruticée1, stade forestier). Chaque stade est caractérisé par des phases (le stade forestier peut par exemple commencer par une phase pionnière à érable, frêne, puis passer à une phase transitoire à chêne et enfin atteindre une phase de maturité à hêtre) et chaque phase par des états de croissance (semis, fourrés, futaie mûre pour la phase de maturité à hêtre par exemple).
À gauche, exemple de perturbation : éruption du piton de la Fournaise à la Réunion, provoquant la destruction de lambeaux forestiers. À droite, sur les coulées de laves, quelques années après, s’installent des lichens, puis des fougères et enfin le bois de remparts. Il faudra cependant attendre un certain nombre de siècles avant que le sol antérieur se reconstitue ainsi que la forêt d’origine !
Climax et blocages
Le plus haut degré de maturation (dénommé généralement le climax) est variable selon le territoire ou au sein d’un même territoire. En fonction des facteurs climatiques (précipitations, durée de la période de végétation…), la végétation régionale peut évoluer vers un stade forestier ou être bloquée à un stade antérieur : pelouses (étage alpin, steppes des milieux arides d’Europe centrale ou froids de Patagonie), semi-arboré, fruticée ou lande à la limite de la taïga et de la toundra.
Au sein d’une région où le climax est forestier dans des conditions écologiques favorables, des facteurs écologiques particuliers (sols superficiels à très faible réserve en eau, milieux aquatiques…) peuvent bloquer la dynamique au stade pionnier, au stade pelouse ou fruticée.
Les activités pastorales bloquent la végétation au stade pelouse ou prairie, empêchant les régénérations ligneuses de se développer. Certains espaces de pelouses ou de landes couvrant les sommets de montagnes peu élevées (Vosges, Massif central) semblent » primaires » à certains écologues, du fait du climat drastique qui y règne. Or, des enquêtes menées dans les Vosges après des périodes de troubles, à la fin du XIXe siècle, montrent qu’une forêt » rabougrie » y avait repris ses droits…
Pour définir les stade de maturité de la végétation il convient donc d’analyser finement non seulement les données écologiques mais aussi et surtout les données anthropiques historiques…
Une succession est dite primaire quand la dynamique se développe à partir d’espaces dénudés (moraines glaciaires dégagées par la décrue du glacier…). Le plus souvent elle est secondaire correspondant à la reconstitution de la végétation après destruction totale ou partielle d’une communauté végétale préexistante ou après levée de blocage (arrêt du pâturage par exemple). Dans ces deux cas la dynamique est progressive.
On parle de succession régressive lorsque la végétation retourne à une phase ou un stade de moindre maturation, soit brusquement, cas le plus fréquent après une perturbation, soit lentement (par action du pâturage en forêt conduisant à une forêt claire et finalement à une pelouse, par l’effet d’une surpopulation de grands mammifères (ongulés), ou tout simplement par une gestion forestière dégradante).
Dynamique des écosystèmes forestiers
Elle est caractérisée par des cycles qui peuvent être appréhendés à des échelles temporelles et spatiales très différentes.
Ainsi, un cycle interglaciaire s’étale sur plusieurs dizaines de milliers d’années et concerne un continent ; on y observe la réinstallation lente de la forêt puis sa disparition au profit d’une steppe, d’une toundra ou de glaciers. Les variations de température et plus globalement du climat sont le moteur de ces processus.
Les phénomènes qui suivent l’abandon des activités anthropiques s’étalent sur quelques siècles, à l’échelle d’un paysage.
Cycles sylvigenétiques
Une forêt sauvage (non exploitée par l’homme) présente des cycles dits sylvigenétiques qui caractérisent la dynamique interne des milieux forestiers.
À l’échelle d’une trouée forestière, l’ensemble des semis qui se développent constitue une unité de régénération. La dynamique y est liée à la compétition interindividuelle (croissance en diamètre et en hauteur, élimination de certains individus, mise en place progressive des futurs statuts des arbres : dominants et dominés).
À l’échelle de l’espace vital d’un arbre s’observent de nombreuses modifications au cours de sa croissance. Les phénomènes dynamiques (variations de l’humus, du tapis herbacé…) sont en relation avec le développement du modèle architectural de l’espèce, contrarié par les effets de la compétition mis en œuvre par les individus voisins (multiples réitérations).
Quelle que soit l’échelle considérée, les essences forestières possèdent un certain nombre d’invariants à l’origine de logiques dynamiques identiques.
Nous préciserons deux de ces invariants : les stratégies adaptatives des essences (et les groupes fonctionnels d’essences qui en découlent), et les potentiels de semences.
Par stratégie adaptative on entend des caractères héréditaires ayant valeur adaptative, favorisant telle ou telle espèce, à un moment de la succession.
Les stratégies de reproduction, de compétition, le comportement juvénile des semis vis-à-vis de la lumière jouent un rôle considérable et expliquent en grande partie les modalités de la dynamique des populations des différentes essences et leur participation à une phase déterminée de la succession.
Selon les espèces, l’investissement dans la reproduction (fourniture de semences) est plus ou moins important. Par ailleurs interviennent également : la précocité de la maturité sexuelle, la longévité des arbres, de leur fécondité, la fréquence des bonnes années à fruits, le nombre de graines viables, les moyens de dissémination plus ou moins performants, les distances moyennes de dispersion, la durée de survie des semences dans le sol, les processus de levée de dormance…
Certaines essences sont dotées d’un fort pouvoir dynamique qui leur assure la dominance presque absolue dans la strate supérieure de la forêt, ceci lorsqu’elles se trouvent dans des conditions optimales pour leur développement (exemple le hêtre ou le sapin).
Essences d’ombre et de lumière
Le comportement des germinations et des régénérations (stades juvéniles) vis-à-vis de la lumière est capital pour expliquer les logiques dynamiques qui s’instaurent. Les espèces de pleine lumière au stade juvénile s’installent directement en plein découvert. Les espèces d’ombre qui exigent une ambiance tamisée pour se développer s’installent ensuite dans les espaces laissés ouverts ou sous couvert. Il est ainsi possible d’élaborer des gradients des tempéraments photiques2 juvéniles des différentes essences ; ces gradients permettent de comprendre aisément les modalités de la dynamique forestière.
Groupes d’espèces
Des espèces possédant des caractères assez identiques sont rassemblées dans des groupes fonctionnels :
- le groupe des pionnières, essences à courte durée de vie, héliophiles pour leur germination et le développement des semis, souvent à bois tendres, produisant un grand nombre de graines, créant des conditions favorables à l’installation d’essences des autres groupes fonctionnels par l’amélioration des propriétés du sol ou surtout par l’ambiance microclimatique engendrée (phénomènes de facilitation) ; dans ce groupe on peut citer : les bouleaux, les trembles, les saules, les aulnes, les cytises… ;
- le groupe des postpionnières, essences plus longévives, à bois durs, plus ou moins héliophiles ; dans cet ensemble entrent les érables, les frênes, les ormes, les tilleuls, les chênes, les merisiers, les sorbiers, les pins, les mélèzes ;
- le groupe des dryades, à grande longévité, à bois dur, plus ou moins sciaphiles3, qui caractérisent les phases de maturité dans certaines conditions climatiques (bilan hydrique favorable) ; la flore dendrologique européenne ne compte que trois dryades : le sapin, l’épicéa, le hêtre (alors que les forêts équatoriales en possèdent des centaines…) ;
- le groupe des nomades : espèces opportunistes des groupes des postpionnières (frêne, érable, merisier, sorbier, chêne, pin, mélèze…) ou des dryades (l’épicéa seulement), capables de s’installer directement avec ou à la place des pionnières.
Provenance des semences
Certaines graines sont apportées après une perturbation par le vent : potentiel advectif (graines légères ou dotées d’organes favorisant leur dispersion), par les animaux, oiseaux frugivores ou granivores par exemple (nos forêts comptent de nombreux » reboiseurs » : geai, grive, mésange, merle noir, sittelle…). D’autres sont déposées au sol avant la perturbation, à l’état de dormance, attendant justement une perturbation pour se développer (banque de semences du sol). Enfin il faut ajouter le recrû végétatif, c’est-à-dire les régénérations déjà obtenues en sous-bois, issues d’essences dryades (sapin…).
La dernière reconquête postglaciaire
Les variations climatiques de l’Holocène ont entraîné de multiples migrations des espèces à l’origine des flores et forêts actuelles. Les cortèges floristiques des communautés forestières se sont élaborés progressivement :
- 12 000 ans : bouleau, pin sylvestre ;
- 9 000 ans : noisetier, chêne, orme, frêne, tilleul, érable ;
- 5 500 ans : hêtre, sapin… puis épicéa à des périodes différentes, selon les régions.
Nos forêts proviennent donc d’une maturation sylvigenétique progressive qui s’est réalisée par arrivée successive de nouvelles essences depuis leurs refuges glaciaires4. Ces successions sont conformes aux règles définies précédemment :
- ordonnancement des essences selon leurs stratégies adaptatives (pionnières, puis nomades, puis postpionnières et enfin dryades) ; installation de nouvelles essences avec parfois disparition des essences antérieures (sapinière – hêtraie montagnarde se substituant à la chênaie antérieure…) ;
- redistribution différente des essences selon les régions et le tempérament des essences (hêtre assurant au cours de sa migration la maturation de nombreuses chênaies collinéennes préexistantes lorsque les précipitations sont suffisantes, les chênes restant en phase transitoire) ;
- spécialisation stationnelle de certaines espèces se réfugiant en situation marginale là où les espèces plus récentes ne sont pas compétitives (maintien de végétations relictuelles comme le genévrier thurifère sur les falaises des Alpes du Sud, de chênaies pubescentes sur les adrets secs du Nord-Est).
On observe ainsi une maturation de plus en plus accentuée des sylvigenèses régionales, en relation avec l’amélioration des conditions climatiques. Le degré d’évolution d’une sylvigenèse dépend de la nature des groupes fonctionnels qui entrent dans son développement. Ainsi à l’échelle européenne, on peut considérer la hêtraie sapinière à épicéa montagnarde comme l’écosystème le plus évolué (présence des trois dryades).
Et à l’échelle de la planète ? Ce sont les forêts ombrophiles équatoriales qui offrent le degré maximum d’évolution, avec parfois des centaines de dryades (on vérifie l’influence du bilan hydrique sur le degré d’évolution des sylvigenèses !).
Par contre, les saulaies riveraines, composées des seules essences pionnières, offrent une sylvigenèse peu évoluée. En règle générale les sylvigenèses les plus évoluées s’observent dans les conditions stationnelles les plus favorables et plus les conditions deviennent marginales, plus la sylvigenèse, par blocage, est simplifiée.
Influence des activités anthropiques anciennes
Dans certaines régions siliceuses (Vosges, Ouest…), les actions anthropiques développées sous forme de culture temporaire sur brûlis, de pâturage, d’utilisation des litières ou du tapis herbacé forestier pour la fumure des cultures ont entraîné une acidification accrue des sols et leur dégradation parfois irréversible. On est passé ainsi de sols bruns acides encore riches en éléments minéraux à des sols podzoliques appauvris, ce qui a conduit :
- à la disparition de certaines essences nécessitant une bonne richesse trophique ;
- au remplacement irréversible du climax forestier par des landes, ceci lorsque la dégradation est très poussée (podzol à alios). On parle de para-climax pour désigner ces formations végétales bloquées dans leur évolution vers la forêt (exemple les landes du plateau de Fréhel en Bretagne).
La dynamique des forêts sauvages
Dans le cas d’une forêt gérée, la pérennité de l’état boisé est assurée par le forestier qui opère la régénération (naturelle ou artificielle par plantations).
Quels sont les processus qui entretiennent cette pérennité, à travers le temps dans une forêt » sauvage » non gérée ? Pour étudier cette dynamique cyclique, il faut s’intéresser aux forêts naturelles (non ou très peu modifiées par l’homme et ayant donc gardé tous les caractères primitifs) ou sub-naturelles (abandonnées par l’homme depuis longtemps ou peu influencées par celui-ci) :
- forêts boréales européennes, nord-américaines ;
- forêts de montagne inaccessibles ou abandonnées depuis longtemps ;
quelques rares forêts tempérées européennes en réserve intégrale ; - forêts tropicales ou équatoriales (forêts primaires qui n’ont pas fait l’objet de destruction anthropique par opposition aux forêts secondaires, reconstituées après déforestation).
Ces forêts sont le siège d’un processus fondamental : la régénération ; toute surface boisée est soumise à deux phases qui alternent en discontinuité dans l’espace et dans le temps :
- phase de croissance avec prédominance de phénomènes lents (croissance, maturation, vieillissement sans changements importants dans l’écosystème) ;
- phase de rajeunissement courte qui démarre par une rupture plus ou moins brutale, plus ou moins étendue de la canopée à l’occasion d’un chablis (imprévisible) ou simplement de la mort d’un arbre (prévisible) donc d’une trouée.
Selon la taille de la trouée, l’état préexistant des essences présentes (à l’état adulte, recrû végétatif, potentiels de semences) le peuplement d’avenir va se reconstituer par cicatrisation avec les arbres voisins de la trouée, par développement du recrû (germination des semences présentes dans le sol ou apportées).
Cartographie des peuplements naturels en hêtraie (réserve biologique de la Tillaie en forêt de Fontainebleau) : mosaïque d’unités sylvigenétiques (d’après Bouchon et al. 1973).
Une ouverture du peuplement favorise la pénétration du rayonnement solaire qui contribue au rajeunissement de la forêt, à sa régénération en favorisant la colonisation par les semis.
Au cours de cette phase de réorganisation, les éléments qui s’installent freinent ou sélectionnent par des inhibitions ou des facilitations physiques ou biologiques l’arrivée de nouveaux occupants. La voûte se ferme, se cicatrise et un nouveau cycle recommence.
L’ouverture de la trouée entraîne un traumatisme passager ; l’évolution du peuplement qui en est issu dépend de sa dimension et de l’époque de la perturbation. Une petite ouverture qui correspond à un arbre qui meurt et un chablis de quelques centaines d’hectares n’auront pas les mêmes effets…
Les résultats seront différents selon que la trouée survient à une époque de fructification ou est en avance ou en retard sur celle-ci. Elle provoque de brusques changements dans les conditions écologiques, avec des différences notables selon les caractères stationnels (modification du microclimat, de l’humus, du sol lorsque les arbres sont déracinés, de la végétation herbacée). Dans les petites trouées, la végétation herbacée forestière se maintient, sans gêne pour la régénération. Par contre, dans les grandes trouées peuvent se développer des espèces sociales (sur sols acides, sols hydromorphes) qui retardent le retour des ligneux par la concurrence exercée. Quelles sont les logiques des essences forestières à l’intérieur de ces ouvertures ?
Les grandes trouées sont colonisées par les espèces pionnières (bouleau, saules, peupliers, aulnes, cytises en région tempérée et sous les tropiques par des euphorbiacées, malvacées, ulmacées, mimosées…). Elles montrent une croissance rapide, restent de dimensions modestes ; elles sont issues souvent de la banque de semences du sol où elles sont capables d’une longue dormance (à l’exception des saules à dormance très courte).
Beaucoup de lianes en font partie (renonculacées, bignoniacées, sapindacées). Le cycle biologique de ces plantes se réalise entièrement dans les grandes trouées (ou en lisières) : on parle d’une stratégie de type trouée-trouée. Ainsi les grands fleuves européens non endigués, lors des crues exceptionnelles connaissent de grands chablis suivis par la régénération des saules et peupliers, remplaçant momentanément les forêts à bois durs détruites (à orme, frêne…). Les immenses ouvertures de la sapinière québécoise touchée par un incendie sont réoccupées dans un premier temps par une phase pionnière à bouleaux, trembles…
Les espèces postpionnières succèdent aux pionnières ou les accompagnent ou s’installent directement dans des trouées plus réduites. Elles renforcent l’édifice forestier grâce à leur structure imposante. Elles sont transportées là où elles germent. Leur persistance dans le temps a un effet considérable dans la charpente forestière. Leur longévité leur garantit de meilleures chances de régénération notamment si les conditions favorables à la germination et au développement juvénile sont trop aléatoires. Typiquement ces espèces ne présentent pas de régénération durable en sous-bois et apparaissent par vague dans les trouées. Leur stratégie est du type forêt-trouée. Elles participent aux phases pionnières et transitoires (chêne, frêne, érable, orme, tilleul, pin, araucaria, mélèze…).
Les dryades ont une stratégie de type forêt-forêt. Ces espèces se recrutent souvent au niveau du recrû végétatif (plantules ou arbres juvéniles ayant germé et poussé lentement à l’ombre plus ou moins dense d’un sous-bois). Un minimum de lumière filtrée est requis pour la germination de leurs graines à viabilité fréquemment réduite, à réserves nutritives importantes. Les graines ont besoin d’une bonne humidité au niveau du sol. Leur photosynthèse est effective à faible niveau radiatif ; la croissance est favorisée par l’ouverture de petites trouées au microclimat tamponné. Si l’ouverture se referme la croissance se ralentit. L’arbre entre en dormance dans l’attente de conditions meilleures, parfois sur de longues durées (sapin). Peu à peu les exigences en lumière augmentent : la croissance dans une » cheminée » créée par un arbre mort est un parcours habituel jusqu’à l’émergence dans la voûte : il y a substitution de l’arbre mort par un jeune arbre en attente. On observe ces phénomènes dans nos sapinières, dans les forêts d’érables à sucre du bord du Saint-Laurent, en forêt tropicale atlantique brésilienne avec un ocotea (lauracées).
Les essences des forêts tempérées et froides sont dominées par les pionnières et postpionnières, avec peu de dryades. Les grands réservoirs de dryades se trouvent dans les derniers retranchements intacts des forêts tropicales. Les perturbations de la voûte forestière sont plus ponctuelles qu’ailleurs, sauf dans les régions balayées par les cyclones. Mais cet état change cependant rapidement : avec la destruction massive des forêts de par le monde et la secondarisation généralisée des paysages tropicaux, les pionnières et les nomades postpionnières s’étendent au détriment des dryades.
Mais la forêt sauvage n’est pas faite que de trouées ! Elle est un emboîtement d’état de croissance et de mélanges non fortuits d’espèces en continuel flux dans le temps. L’organisation spatiale est un réseau d’éléments de taille variable dont la limite inférieure est déterminée par la trouée créée par un arbre mourant.
Le couvert forestier est une mosaïque en perpétuelle mouvance. L’intrication étroite des processus de rajeunissement et de sénescence, la coexistence de la vie et de la mort, le recyclage complet des substances organiques et minérales à travers le flux d’énergie et de matière, dans lesquels s’insèrent les organismes en réseaux alimentaires complexes, traduisent une organisation d’essence supérieure du plus haut niveau que puisse atteindre un écosystème terrestre.
La fréquence, la dimension, le moment de l’occurrence des chablis sont déterminants pour le type de sylvigenèse :
- autorégénération : le potentiel d’avenir s’auto-entretient,
- anticipation : le potentiel d’avenir passe à une phase plus évoluée,
- régression : le potentiel d’avenir retourne à une phase moins évoluée.
La phase de maturité forestière est souvent considérée comme le » climax « , auquel on associe les caractères de stabilité et de complexité maximale. Qu’en est-il réellement ? Compte tenu de la longévité des arbres, la stabilité est fugace et illusoire, remise en cause fréquemment par les perturbations. Il est donc nécessaire de substituer à la notion de stabilité celle de résilience, c’est-à-dire la capacité d’autorégénération, de cicatrisation, que possède une forêt naturelle, ceci quelle que soit la taille des trouées ouvertes, au bout d’un temps plus ou moins long. La résilience est la résultante de la coexistence, dans la mosaïque forestière, de l’ensemble des groupes fonctionnels d’essences, capables d’intervenir quels que soient les effets d’une perturbation.
En ce qui concerne la complexité ? Une phase de maturité offre souvent une simplicité déconcertante (hêtraie, sapinière…).
Le concept de climax est donc à revoir ! Il s’applique en priorité aux forêts sauvages, livrées à une dynamique naturelle. Il y est atteint quand, sur la surface du massif, se rencontrent les différentes phases de la sylvigenèse et en particulier les phases transitoire et de maturité (cette dernière ne pouvant être franchie du fait des blocages imposés par le climat actuel et le sol). Le climax ainsi conçu comme une mosaïque spatiotemporelle de phases sylvigenétiques, comme un équilibre dynamique ouvert dans l’espace et dans le temps est une entité qui possède une grande résilience face aux diverses perturbations qui peuvent se produire.
> La dynamique induite par la déprise agricole
La surface boisée en France progresse surtout par les conséquences de la dynamique naturelle qui s’opère aux dépens d’espaces pastoraux. La déprise agricole concerne de nombreuses régions, où par ailleurs s’observent fréquemment les traces de déprises anciennes qui se sont succédé pendant les deux derniers siècles écoulés. L’abandon de ces espaces entraîne une reconquête forestière à partir des potentiels de semences présents dans le paysage.
Cet abandon peut être brutal ou progressif (par passage de l’intensif à l’extensif, avec des périodes d’arrêt et de reprise) ; il en découle des états différents du tapis végétal au moment de l’abandon définitif pouvant induire des logiques dynamiques ultérieures très variables.
Prenons l’exemple des plateaux calcaires collinéens. Lorsqu’une pression faible de pâturage subsiste, les semences apportées par les oiseaux produisent de petits fourrés qui s’installent par nucléation. Ils sont constitués d’arbrisseaux épineux ou à rameaux durs, capables de résister aux agressions du bétail (prunellier, églantier…). C’est à l’abri de ces épineux protecteurs que se développent les ligneux plus fragiles (noisetier, charme, frêne, érable, alisier, chêne) : on observe là un modèle de facilitation évident.
Après un arrêt brutal du pâturage, le tapis végétal peut être envahi par une espèce herbacée monopoliste, à multiplication clonale (par développement des rhizomes) par exemple le brachypode penné (graminée fréquente sur les substrats calcaires ou faiblement acides). Il possède un pouvoir de compétition très élevé et élimine, peu à peu, la plupart des espèces préexistantes. Le potentiel de semences est issu des lisières (ou écotones), des bordures de parcelles et éventuellement de noyaux déjà installés dans la pelouse (zones de refus). La progression des populations se fait par colonisation frontale et par dispersion, puis nucléation. Le feu survenant dans ces milieux provoque une perturbation brutale qui détruit les plantes en touffes mais épargne les espèces à rhizome : le brachypode bénéficie alors de cette perturbation (« pyrophyte ») et la succession redémarre à son seul profit.
Le tapis végétal est devenu une pelouse préforestière. Les conditions sont réunies pour l’arrivée des ligneux, arbustifs souvent d’abord, offrant des microsites favorables à l’installation des premiers semis d’arbres ou directement des arbres (modèle de tolérance), par exemple le pin sylvestre.
On passe ainsi peu à peu au stade forestier. La phase pionnière peut être très variée : bouleau, tremble, pin sylvestre, orme champêtre, érable champêtre, chêne pédonculé, chêne pubescent.
Toutes ces essences (pionnières ou nomades) ont pour point commun d’être intolérantes à l’ombrage ; ces diverses modalités se réalisent en fonction des potentiels de semences présents dans le paysage et répondent à des logiques stationnelles (frêne, érable sycomore, merisier s’installent sur des sols riches, le chêne pubescent intervient en pionnier très fréquemment sous le climat doux du Bassin aquitain…).
Que deviennent ces différentes phases pionnières ? Elles peuvent être utilisées par l’homme (en taillis pour le bois de feu), ce qui conduit à un blocage de l’évolution ultérieure (accrus à frêne, érable, à chêne pédonculé pérennisé).
Le blocage est aussi souvent lié à l’absence, au moins momentanée localement, de potentiels de semences des groupes fonctionnels plus forestiers.
L’évolution en conditions non perturbées conduit à une phase transitoire dominée par le chêne pédonculé, le charme. Puis apparaissent le chêne sessile, un peu plus tolérant à l’ombrage et surtout le hêtre, espèce sciaphile à l’état juvénile et à fort pouvoir dynamique. Il assure la dominance de la phase de maturité. Là encore, le hasard, important en phase pionnière (et encore les essences qui interviennent appartiennent au paysage !), fait place à une logique commandée par les comportements juvéniles (tolérance à l’ombrage, densité de régénération, pouvoir dynamique).
Avec ces accrus les forêts » anciennes » se trouvent parfois ceinturées par plusieurs enveloppes concentriques boisées, qui correspondent à des phases dynamiques différentes.
Compte tenu des multiples déprises que nos territoires ont connues, l’ancienneté du retour à l’état boisé de certains massifs est très variable. Certaines grandes forêts qui semblent avoir toujours existé, sans discontinuité, étaient en réalité totalement déboisées à l’époque gallo-romaine comme en témoignent les vestiges qui les parsèment.
Il résulte de ce qui précède que la connaissance du stock dendrologique5 régional, des potentiels de semences du paysage, des stratégies des essences permet de prédire les modalités possibles et probables de la succession forestière et surtout la composition de la phase de maturité ou végétation potentielle.
Par végétation potentielle nous entendons la composition dendrologique prédictible de la phase de maturité d’un espace ne l’ayant pas encore atteint. Pour qu’elle se réalise, les potentiels de semences doivent être présents, à proximité de la parcelle abandonnée (mais… le forestier peut les installer !) ; les hasards des perturbations peuvent remettre en question, au moins temporairement, le passage au » climax « .
Que faire de ces accrus couvrant une superficie non négligeable ? Il s’agit, avant d’établir une stratégie, de définir déjà les trajectoires dynamiques avec la composition hypothétique des phases successives.
Une phase pionnière composée d’érable sycomore, frêne, merisier (trois feuillus précieux…) est à valoriser par quelques interventions appropriées et donc à pérenniser.
Un peuplement pionnier de pin sylvestre (dans le Trièves par exemple) peut procurer une ombre bénéfique à des plantations de hêtres ou de sapins. On utilise ainsi les principes de la dynamique des essences, en accélérant les processus pour obtenir plus rapidement une forêt productive. » Imiter la nature et hâter son œuvre « …
Quelles peuvent être les utilisations de ces connaissances pour la gestion des espaces ?
Les applications sont multiples dans les divers domaines de la gestion des milieux naturels.
Gestion forestière
Pour mener à bien leurs travaux, les gestionnaires ont besoin d’outils fabriqués par les chercheurs. L’un de ceux-ci est la typologie régionale des stations forestières qui permet l’identification des principaux types d’écosystèmes d’une région naturelle et qui précise les données fonctionnelles fondamentales et les potentialités en essences utilisables avec profit.
Pour chaque unité stationnelle il est important de préciser le plus haut degré de maturation que la végétation forestière peut atteindre, compte tenu des conditions stationnelles. Pour le gestionnaire, qui hérite de forêts plus ou moins dégradées par des siècles de mauvais traitements ou qui dispose de surfaces récemment en accrus, se pose la question de la renaturation, de la regradation de ces peuplements et donc de la connaissance de l’hypothétique terme ultime des successions dans les différentes situations stationnelles.
Il n’est pas certain que la combinaison » climacique » soit toujours la meilleure solution à reconstituer, actuellement, sur le plan économique (ainsi sur des limons profonds où le hêtre représente la phase de maturité, il est généralement conseillé de perpétuer le chêne sessile de la phase transitoire, chêne qui donnera là des produits de haute valeur), mais sa détermination est capitale pour connaître les conditions écologiques qui lui sont liées et agir en conséquence.
Pour illustrer cette nécessité de connaître la » végétation potentielle » nous rappellerons l’exemple du chêne pédonculé. Dans de nombreuses régions la dominance du chêne pédonculé dans les peuplements est le résultat de la gestion en taillis sous futaie ou de la reconquête d’espaces agricoles, phénomènes favorisant le chêne le plus héliophile. La végétation potentielle est le plus souvent une chênaie sessiliflore6 ou une hêtraie chênaie sessiliflore. La sensibilité de ces peuplements appauvris aux stress hydriques vient confirmer le diagnostic phyto-dynamique et il est urgent de remettre en place la végétation potentielle !
Dans le cadre de ces typologies il est donc important de caractériser chaque compartiment stationnel par son système dynamique de végétation (phases progressives forestières, phases régressives issues de la gestion passée, et éventuellement stades non forestiers sur lesquels le gestionnaire peut avoir à intervenir).
Le forestier rencontre parfois des difficultés pour régénérer naturellement certains peuplements. C’est le cas par exemple des mélézins alpins. Nous sommes en présence d’une espèce nomade qui constitue des phases pionnières…
Il est difficile de perpétuer des phases pionnières qui ont tendance à évoluer vers une phase de maturité (sapinière ou cembraie dans ce cas). Il s’agit de reconstituer les conditions d’installation d’une phase pionnière par de grandes éclaircies.
Les sapinières pures vosgiennes installées sur des sols riches ont de grandes difficultés à se perpétuer, mais si des hêtres ou des épicéas ont été épargnés s’observent alors sous leur couvert des semis de sapin… La forêt naturelle montagnarde est diversifiée : avec dominance du sapin, accompagné de hêtres et d’épicéas, et elle se caractérise par une alternance, dans le temps, des essences au sein des peuplements assurant l’évitement des inhibitions d’ordre chimique (allélopathie) qui sont à l’origine de la dégénérescence des semis de sapin en forêt monospécifique.
Reconstitution des forêts après la tempête de 1999
La reconstitution de la forêt après la tempête de 1999 démontre parfaitement la nécessité de ces connaissances. On est au cœur d’une perturbation qui a entraîné des dommages très sérieux sur un territoire étendu.
Elle est à l’origine de trouées plus ou moins importantes (grandes trouées, peuplements mités, ou éclaircis). Comme nous l’avons vu, dans les conditions naturelles, en l’absence de forestiers, elle est suivie de processus de régénération naturelle obtenue à partir des divers potentiels de semences (semenciers épargnés, proches ou lointains, présents dans l’environnement, de régénérations déjà installées, de graines dormantes dans la banque de semences du sol).
L’idée fondamentale, pour la reconstitution est, si possible, d’attendre deux à cinq ans ou plus, l’expression de ces potentiels de semences et d’établir en fonction de la composition de ces régénérations la stratégie la plus appropriée pour reconstituer les peuplements de demain.
Attention ! Attendre ne veut pas dire ne rien faire ! Rapidement des diagnostics sont à réaliser. La reconstitution doit allier patience et méthode.
Dans certains cas, ces diagnostics conduisent à la nécessité d’actions immédiates (interventions sur les sols, les rémanents, le tapis herbacé ; préventions des dégâts occasionnés par les ongulés, les ravageurs ; plantations…).
Il faut observer la régénération naturelle en cours d’installation et l’assister : agir en temps voulu pour l’accompagner (avec des interventions menées au moment opportun : compléments, plantations, dégagements), mesurer les éventuelles menaces (gibiers, ravageurs, plantes sociales concurrentes…).
L’utilisation de la régénération naturelle pour la reconstitution, solution que nous préconisons, présente de multiples intérêts sur les plans économique et écologique.
Les destructions observées doivent être également l’occasion d’une réflexion approfondie sur la forêt que l’on souhaite pour demain, réflexion intégrant un examen critique de la forêt sinistrée… Forêt multifonctionnelle, diversifiée en essences, en structure, présentant une plus grande stabilité, une forte résilience (en cas de nouvelle perturbation), avec des essences adaptées aux stress climatiques (cf. changements durables).
Les méthodes utilisées, la composition, la structure et la gestion de la forêt du futur doivent s’inscrire totalement et parfaitement dans le cadre des exigences internationales de gestion forestière durable.
Les actions menées à court et moyen terme doivent se fondre dans la réalisation du projet ainsi établi » une nouvelle forêt pour demain « .
Pour ce faire les gestionnaires ont besoin de disposer, pour chaque grand type stationnel, des trajectoires dynamiques prédictibles.
Comment rendre une forêt plus résiliente à l’avenir ? Il s’agit de regarder les forêts sauvages… La résilience est fonction de la diversité des groupes fonctionnels et de leur richesse en essences. Ne peut-on profiter de la catastrophe pour » métamorphoser » quelques hêtraies monospécifiques, peu résilientes… ?
Il s’agit de garder en lisière quelques pionnières, d’utiliser les sols plus profonds pour installer des parquets de chêne sessile, et de garder par bouquet, en liaison avec le cloisonnement, au sein de la future hêtraie des bouquets de nomades (érable, frêne, merisier).
Cette forêt de demain sera très productive, plus stable et plus résiliente, plus apte à héberger une faune et une flore variées, peut-être aussi plus agréable à parcourir pour le promeneur… On peut rêver…
En haute montagne
La gestion forestière devient souvent difficile compte tenu des problèmes d’exploitation (accessibilité délicate) ou de valorisation des bois. Ne serait-il pas préférable parfois de passer à une gestion très extensive ou, parfois même d’abandonner toutes interventions.
Mais peut-on abandonner sans risque des massifs qui jouent fréquemment un rôle essentiel de protection des sols contre l’érosion ou vis-à-vis des activités humaines contre les glissements de terrain ou les avalanches ?
Que se passera-t-il si l’abandon est décidé ? Les peuplements actuels ont-ils atteint une phase et une structure de maturité qui leur assurent une stabilité réelle et surtout une solide résilience face aux multiples perturbations qui peuvent les toucher ?
N’est-il pas nécessaire dans un premier temps d’irrégulariser ces peuplements pour les rendre plus stables ? La connaissance des modalités de la dynamique et de son terme, dans chaque situation, est nécessaire mais aussi et surtout les types de structure et de fonctionnement des forêts sauvages ou subnaturelles qui peuvent se rencontrer dans ces situations.
On comprend le grand intérêt de disposer d’un réseau de réserves intégrales dans chaque grande situation écologique, véritable laboratoire permettant de rassembler divers enseignements sur la dynamique cyclique des forêts naturelles et leur pouvoir d’autorégénération face à une perturbation.
Par ailleurs, au siècle dernier diverses plantations résineuses ont été réalisées dans les Alpes pour fixer les sols touchés par l’érosion (travaux de » restauration des terrains de montagne »). Ces peuplements arrivent à maturité ; souvent le prix de vente est faible ou le gestionnaire se heurte à des difficultés sérieuses pour régénérer naturellement ces peuplements. Pourquoi ne pas se servir de nos connaissances dynamiques en réintroduisant peu à peu des essences autochtones des divers groupes fonctionnels ? On peut ainsi obtenir à moyen et long terme des peuplements résilients capables de s’auto-entretenir et d’assumer dans la durée la fonction de protection. Il est grand temps d’ailleurs de prendre des décisions et d’agir sur ces peuplements vieillissants !
Gestion des paysages
Avec les difficultés croissantes frappant certains secteurs agricoles, les phénomènes de déprise s’accentuent. Les élus et les responsables de l’aménagement du territoire multiplient les questions. Que se passera-t-il si l’homme n’intervient pas ? Quelles seront les modalités et les vitesses de la reconquête forestière ? Est-il possible d’accélérer la dynamique naturelle pour obtenir plus rapidement une forêt productive ? Certains espaces ouverts possèdent une grande qualité écologique ou paysagère qui impose leur maintien en l’état. Dans ce cas quel type de gestion préconiser pour assurer un blocage du tapis végétal ? Après exploitation agricole les caractères stationnels ont pu être modifiés ; la dynamique naturelle ne peut-elle contribuer à restaurer la qualité des terrains ?
L’écologue au fait des phénomènes dynamiques peut apporter quelques réponses : déterminer les zones sensibles sur le plan paysager, les espaces de grande valeur pour la biodiversité et proposer des règles de gestion pour en assurer la pérennité, définir les trajectoires dynamiques et leur vitesse, déterminer les potentialités forestières pour les initier au niveau des accrus, appréhender les potentialités réelles pastorales et culturales afin que l’on soutienne ces activités dans les meilleures conditions… On est là au cœur des problèmes de l’aménagement de l’espace rural.
Gestion des éléments de la biodiversité
La pérennité d’une population d’une espèce forestière protégée passe par une connaissance précise de son comportement dans la dynamique de la végétation, lié à ses exigences photiques.
Si on prend l’exemple d’une espèce emblématique comme le sabot de Vénus (orchidées), son optimum se situe en lisière et en clairière forestière, à la rigueur sous des peuplements relativement clairs qui laissent passer suffisamment de lumière au sol. La pérennité de ses populations exige déjà des précautions au niveau des lisières (éviter les dépôts de bois), ensuite la gestion doit assurer le maintien de peuplements suffisamment clairs. Si une clairière se ferme, il est possible d’en ouvrir une autre à proximité… Les mêmes mesures sont à prendre pour les pivoines sauvages, la fraxinelle…
La conservation de nombreux milieux (pelouses, prairies, certains marais) nécessite de rechercher les anciens modes de gestion qui ont permis par le passé de les maintenir en état. Ce sont ces techniques qu’il convient de remettre en œuvre pour y éviter des processus dynamiques qui feraient disparaître leur intérêt patrimonial.
Les forêts gérées sont exploitées bien avant l’âge biologique des essences. Il en résulte que, dans la plupart des massifs exploités, le groupe fonctionnel des saproxylophages (êtres vivants se nourrissant des divers dérivés du bois mort) a pratiquement disparu. Une gestion écologique de la forêt entraîne la conservation d’une certaine densité de vieux bois qui mourront et se décomposeront en forêt servant d’abris, de nourriture à diverses espèces, comme dans les forêts sauvages. Mais une bonne solution réside dans la constitution d’îlots de vieillissement où l’âge d’exploitabilité est doublé (des cavités apparaissant à la place des vieilles branches mortes sont occupées par des chauve-souris ; les pics reviennent trouvant une nourriture abondante dans ces arbres…).
La tâche du forestier se complique énormément pour assumer toutes ses responsabilités… et satisfaire pleinement aux impératifs de gestion durable…
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1. Plantes à tiges ligneuses ; arbrisseaux.
2. Vis-à-vis de l’éclairement.
3. Aimant l’ombre.
4. La migration vers le Sud (refuges) en début de glaciation a été limitée en Europe par l’orientation est-ouest des chaînes de montagnes. Leur orientation nord-sud en Amérique du Nord a facilité des allers retours qui expliquent une plus grande variété actuelle des essences.
5. La dendrologie est la partie de la botanique qui a pour objet l’étude des arbres.
6. Le chêne pédonculé (quercus pedonculata – glands attachés par un pédoncule) supporte moins bien le couvert des semis, est plus exigeant pour la qualité des sols et plus sensible à la sécheresse que le chêne rouvre dit aussi chêne sessile (quercus sessiliflora – glands sans pédoncule).
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Dynamique des écosystèmes pastoraux
Article très succinct et complet