Eau, énergie, matériaux :

Dossier : Le Grand Paris : Les territoires, espaces d‘anticipationMagazine N°676 Juin/Juillet 2012
Par Bernard DOROSZCZUK

REPÈRES

REPÈRES
Le pro­jet du Grand Paris vise à faire du cœur de l’Île-de-France une métro­pole de taille mon­diale dura­ble­ment com­pé­ti­tive. Il s’appuie sur une volon­té forte de déve­lop­pe­ment d’activités à haute valeur ajou­tée et d’une offre de loge­ment arti­cu­lée autour de la créa­tion d’un réseau de trans­port struc­tu­rant. Il inclut un objec­tif d’accroissement de la popu­la­tion de près d’un mil­lion et demi à l’horizon 2030. Cette dyna­mique, por­teuse d’avenir, sou­lève un ensemble de ques­tions à carac­tère trans­ver­sal, liées à la « sou­te­na­bi­li­té » du Grand Paris, dont l’anticipation est indis­pen­sable au bon abou­tis­se­ment des pro­jets. C’est par­ti­cu­liè­re­ment le cas en matière de res­sources et d’énergie, au-delà du cadre régle­men­taire qu’il convien­dra bien évi­dem­ment de respecter.

Com­ment faire en sorte que les maté­riaux néces­saires aux construc­tions du futur Grand Paris soient pro­duits et ache­mi­nés en quan­ti­té suf­fi­sante au plus près des zones d’aménagement, dans des condi­tions sou­te­nables, alors que la région importe déjà plus de la moi­tié des maté­riaux qui lui sont néces­saires pour construire 40 000 loge­ments par an ? Quelles adap­ta­tions du sys­tème élec­trique pro­gram­mer pour qu’il puisse sup­por­ter la demande nou­velle de puis­sance (accrois­se­ment de la popu­la­tion, data cen­ters, véhi­cules élec­triques, etc.), tout en fai­sant face aux situa­tions de pointe ? Com­ment fia­bi­li­ser l’accès à la res­source en eau potable, bien com­mun par­ta­gé par tous en Île-de-France et au-delà, et garan­tir les per­for­mances d’assainissement face à l’augmentation de la fré­quence, de l’amplitude et de la durée des étiages sévères des cours d’eau et des nappes ? Autant de ques­tions appa­rem­ment tech­niques qui, au bout du compte, influe­ront sur la qua­li­té de vie de chaque Fran­ci­lien et sur l’efficacité éco­no­mique de la région.

Les trois enjeux de l’eau

Autant de ques­tions tech­niques qui influe­ront sur la qua­li­té de vie de chaque Francilien

En ce qui concerne la ges­tion de l’eau, le pro­jet du Grand Paris s’insère dans un contexte contraint qui résulte de dyna­miques de long terme en matière de dis­po­ni­bi­li­té de la res­source, de qua­li­té de l’eau et des milieux aqua­tiques, et de capa­ci­tés en adduc­tion d’eau potable et d’assainissement.

Des pre­mières réflexions enga­gées, il res­sort que, pour l’eau potable, le dimen­sion­ne­ment des ins­tal­la­tions actuelles n’est pas en ques­tion, mais que la contrainte prin­ci­pale pour­rait peser sur la dis­po­ni­bi­li­té de la res­source (quan­ti­té, qua­li­té, vul­né­ra­bi­li­té et répar­ti­tion ter­ri­to­riale). Pour l’assainissement, le Grand Paris condui­ra vrai­sem­bla­ble­ment à appro­cher, plus vite que pré­vu, de la satu­ra­tion des équi­pe­ments existants.

Trois enjeux majeurs se des­sinent. De façon glo­bale, en ce qui concerne les besoins en eau potable, la ten­dance actuelle est à la baisse, notam­ment du fait de la dimi­nu­tion forte de la consom­ma­tion des par­ti­cu­liers. Le Grand Paris intro­duit une dyna­mique inverse qui devrait sta­bi­li­ser voire com­pen­ser l’évolution observée.

Ressource sous tension

Le cycle de l’eau
Comme tout pro­jet d’urbanisation, les amé­na­ge­ments du Grand Paris vont modi­fier le cycle local de l’eau. La prin­ci­pale ques­tion à moyen terme sera celle des rejets en temps de pluie. Les nou­veaux amé­na­ge­ments devront être conçus de façon à ne pas aggra­ver la situa­tion exis­tante. Si la ques­tion du trai­te­ment des effluents peut être trai­tée par un petit nombre d’acteurs, la maî­trise des apports d’eaux plu­viales dans les réseaux de col­lecte repose sur une gou­ver­nance com­plexe, ce qui rend l’exercice difficile.

À l’échelle de la région, les infra­struc­tures de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion d’eau potable sont lar­ge­ment suf­fi­santes pour cou­vrir de nou­veaux besoins. Tou­te­fois, la res­source est sous ten­sion, que ce soit du point de vue qua­li­ta­tif à l’échelle de toute l’Île-de-France, ou quan­ti­ta­tif de façon plus loca­li­sée. Elle dépend for­te­ment du sou­tien d’étiage des grands lacs de Seine, à l’amont du bas­sin. Les modi­fi­ca­tions du régime hydro­géo­lo­gique dues au chan­ge­ment cli­ma­tique vont pro­fon­dé­ment modi­fier le fra­gile équi­libre actuel : baisse du débit des grands axes en été, aug­men­ta­tion sai­son­nière des besoins en par­ti­cu­lier agri­coles, hausse des tem­pé­ra­tures et de l’évapotranspiration, etc. Le pre­mier enjeu qui appa­raît est donc de confron­ter les besoins du Grand Paris avec les res­sources dis­po­nibles à terme et les capa­ci­tés de pro­duc­tion, et d’examiner les pos­si­bi­li­tés de secours entre les dif­fé­rents opé­ra­teurs, d’autant plus que le Grand Paris va induire des aug­men­ta­tions loca­li­sées des besoins.

Changement climatique

Les choix d’aménagement qui seront effec­tués dans le cadre du Grand Paris seront donc déci­sifs. Le second enjeu qui se dégage à ce stade est d’orienter ces choix par un haut niveau de règles d’aménagement, de façon per­ti­nente et effi­cace. À plus long terme, les consé­quences du chan­ge­ment cli­ma­tique sur la capa­ci­té de dilu­tion des exu­toires seront un fac­teur pré­pon­dé­rant – les tra­vaux du PIREN (Pro­gramme inter­dis­ci­pli­naire de recherche sur l’environnement de la Seine) conduisent à esti­mer une baisse du débit d’étiage de la Seine qui pour­rait aller jusqu’à 30 % à l’horizon 2050. Il sou­lève des ques­tions d’optimum de trai­te­ment d’assainissement compte tenu des tech­no­lo­gies dis­po­nibles, de leur coût et des autres postes du bilan envi­ron­ne­men­tal – consom­ma­tion de réac­tifs et d’énergie, émis­sion de gaz à effet de serre, etc.

Les choix d’aménagement effec­tués dans le cadre du Grand Paris seront décisifs

Des efforts en matière de recherche et d’innovation, mais aus­si d’éventuelles « rup­tures » du sys­tème d’assainissement que les pro­jets du Grand Paris per­met­traient de tes­ter et de mettre en valeur, dans un objec­tif d’excellence envi­ron­ne­men­tale, consti­tuent le troi­sième enjeu qui se dégage d’un Grand Paris sou­te­nable dans le domaine de l’eau.

L’énergie, nouveaux défis

En matière d’alimentation élec­trique, le pro­jet du Grand Paris s’insère dans un contexte à la fois de forte dépen­dance de la région Îlede- France, qui importe 85 % de son éner­gie élec­trique, mais aus­si de forte volon­té de maî­tri­ser les consom­ma­tions et de réduire cette dépen­dance dans le cadre des tra­vaux en cours sur l’élaboration du Sché­ma régio­nal du cli­mat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) et des Plans du cli­mat et de l’énergie ter­ri­to­riaux (PCET) des collectivités.

Cou­loirs électriques
La réponse aux besoins élec­triques implique de faire par­ta­ger le carac­tère stra­té­gique du réseau de trans­port exis­tant (liai­sons 400 kV, péné­trantes 225 kV) et des postes sources (inter­face THT et MT) avec les acteurs de l’aménagement du ter­ri­toire compte tenu des pres­sions fon­cières de manière à pré­ser­ver les cou­loirs de trans­port et pré­voir l’implantation des postes sources au sein des ter­ri­toires de projet.

Trois enjeux majeurs se des­sinent à l’issue des pre­mières réflexions enga­gées dans le domaine de l’alimentation élec­trique. Ces pre­miers enjeux devront encore être affi­nés au vu du futur SRCAE.

Le pre­mier enjeu est de pré­voir une aug­men­ta­tion des capa­ci­tés des réseaux de trans­port et de dis­tri­bu­tion per­met­tant de faire face à un sur­croît de puis­sance appe­lée. L’accélération de la construc­tion de loge­ments et d’immeubles de bureaux entraî­ne­ra un dou­ble­ment des opé­ra­tions de rac­cor­de­ment élec­trique et une aug­men­ta­tion de près de 1,6 % par an de la puis­sance deman­dée à la pointe (le soir, en hiver) liée au pro­jet du Grand Paris.

La volon­té affi­chée de déve­lop­per les acti­vi­tés high-tech condui­ra à un accrois­se­ment du nombre de data cen­ters qui sont for­te­ment consom­ma­teurs d’électricité (+100 MW par an de 2015 à 2025), ce qui aura un impact local très impor­tant sur le déve­lop­pe­ment du réseau de dis­tri­bu­tion. L’impact de la recharge des véhi­cules élec­triques pour­ra être maî­tri­sé à condi­tion que la charge lente soit pri­vi­lé­giée de manière à limi­ter l’utilisation d’électricité « car­bo­née » et le dimen­sion­ne­ment des réseaux.

Glo­ba­le­ment néan­moins, avec l’accroissement de la popu­la­tion, les besoins en puis­sance sup­plé­men­taire à ache­mi­ner vers la région capi­tale sont éva­lués à ce stade à 3300 MW à l’horizon 2020, ce qui ren­dra la capa­ci­té des réseaux prépondérante.

Nouvelles unités de production

Il se des­sine clai­re­ment la néces­si­té de nou­velles approches coopé­ra­tives entre acteurs publics

Le second enjeu concerne les moyens loca­li­sés de pro­duc­tion. En effet, au vu des réflexions enga­gées, il appa­raît essen­tiel pour l’économie du sys­tème élec­trique, ain­si que pour l’équilibre glo­bal offre-demande et la sécu­ri­té de l’alimentation de la région, que les moyens de pro­duc­tion pour la pointe, et à un degré moindre la semi-base, soient implan­tés au plus près des consom­ma­tions. Or en Île-de-France, le parc ther­mique clas­sique qui assure cette fonc­tion actuel­le­ment devrait connaître une forte évo­lu­tion afin de res­pec­ter les nou­velles normes envi­ron­ne­men­tales en termes d’émissions de pol­luants atmo­sphé­riques. Cette évo­lu­tion est une oppor­tu­ni­té pour recon­ver­tir des zones indus­trielles situées en zone dense en zone d’aménagement à condi­tion de trou­ver les moyens d’implantation des nou­veaux moyens de pointe (tur­bine à com­bus­tion, cycle com­bi­né gaz) à proxi­mi­té et pour adap­ter ces moyens à la pro­duc­tion de cha­leur néces­saire au déve­lop­pe­ment des réseaux de chauf­fage urbain.

Technologies communicantes

Les pre­mières réflexions enga­gées ont per­mis enfin de sou­li­gner com­bien l’utilisation des nou­velles tech­no­lo­gies com­mu­ni­cantes (comp­teur Lin­ky, smart grids, etc.) et des ENR élec­triques seront des oppor­tu­ni­tés pour sou­la­ger les impor­ta­tions, rendre sou­te­nable la pointe de consom­ma­tion élec­trique et faire des ter­ri­toires du Grand Paris des démons­tra­teurs. Le troi­sième enjeu est donc de créer un contexte favo­rable à l’innovation « élec­trique » dans les ter­ri­toires de pro­jet du Grand Paris.

Matériaux et construction : des jalons à poser

En matière de maté­riaux, les besoins pour les pro­jets d’équipements publics et d’infrastructures ajou­tés au qua­si-dou­ble­ment, pen­dant plus de quinze ans, du rythme de construc­tion de loge­ments consti­tuent un défi consi­dé­rable pour l’industrie des car­rières et du béton.

Une forte demande en béton
Selon les pre­mières esti­ma­tions faites dans le cadre des réflexions enga­gées, la demande totale de bétons prêts à l’emploi (BPE) par an devrait connaître une aug­men­ta­tion de l’ordre de 70% par rap­port à la consom­ma­tion de 2008 qui a été la der­nière année à forte acti­vi­té avec satu­ra­tion des capa­ci­tés en Île-de-France. Aux dires des experts, la réa­li­sa­tion opti­male du Grand Paris pour­rait néces­si­ter, en pre­mière approxi­ma­tion, jusqu’à 40 mil­lions de tonnes par an de gra­nu­lats, à com­pa­rer aux 30 mil­lions de tonnes consom­mées en 2010, alors que la région Île-de-France est déjà lour­de­ment défi­ci­taire (près de 50% des gra­nu­lats sont importés).

Le pre­mier enjeu est donc de satis­faire la demande en gra­nu­lats et en bétons prêts à l’emploi, ce qui va néces­si­ter de gros efforts de la part des exploi­tants de car­rière et des pro­duc­teurs de béton afin de trou­ver de nou­veaux gise­ments et d’adapter leur outil de pro­duc­tion dans des condi­tions accep­tables vu les pres­sions sur l’environnement et le fon­cier qu’ils génèrent, tant en Île-de-France que dans les régions expor­ta­trices de maté­riaux. Les besoins consi­dé­rables en maté­riaux nou­veaux comme la pro­duc­tion, au cœur des ter­ri­toires de pro­jet, de déblais et de déchets de chan­tiers liés à la décons­truc­tion géné­re­ront des besoins nou­veaux de logis­tique sous forme de plates-formes mul­ti­mo­dales per­met­tant l’arrivée mas­sive des maté­riaux, leur sto­ckage et leur dis­tri­bu­tion au sein de la zone dense, de plates-formes de pré­pa­ra­tion des bétons prêts à l’emploi au plus près des zones de pro­jet, ou encore de plates-formes de tri et de valo­ri­sa­tion des déchets du BTP.

Ces plates-formes en zone cen­trale se trou­ve­ront en concur­rence avec d’autres pro­jets dans le cadre du Grand Paris (recon­quête des berges de Paris, den­si­fi­ca­tion urbaine, etc.). La créa­tion ou la réser­va­tion de telles pla­tes­formes au sein de ter­ri­toires de pro­jet du Grand Paris, et notam­ment à proxi­mi­té des axes flu­viaux, consti­tue le second enjeu iden­ti­fié à ce stade des réflexions.

Besoins en main‑d’œuvre

Au-delà des ques­tions liées aux besoins en maté­riaux et à la chaîne logis­tique, les pro­jets de construc­tion du Grand Paris s’inscrivent dans une logique de filière éco­no­mique dans laquelle se pose la ques­tion essen­tielle de l’emploi. Aujourd’hui 98% des 70000 entre­prises de bâti­ment d’Île-de-France emploient moins de 20 sala­riés. Les pos­si­bi­li­tés de recru­te­ment de ces petites socié­tés sont incer­taines dans un mar­ché de l’emploi de plus en plus mar­qué par le manque de main‑d’œuvre qua­li­fiée (départ à la retraite des baby-boo­mers). Cette dimen­sion rend aujourd’hui scep­tique cer­tains entre­pre­neurs sur la capa­ci­té à sou­te­nir dura­ble­ment le rythme de construc­tion de 70 000 loge­ments par an alors que le rythme maxi­mal consta­té en Île-de-France n’a jamais dépas­sé 40000. Il s’agit là du troi­sième enjeu iden­ti­fié à ce stade des réflexions sur les maté­riaux et la construction.

Mais, der­rière les ques­tions tech­niques, de conflit d’usage du fon­cier, d’innovation et d’emploi que sou­lèvent ces exemples d’accompagnement du Grand Paris, se des­sine clai­re­ment la néces­si­té de nou­velles approches coopé­ra­tives entre acteurs publics. C’est un débat majeur et struc­tu­rant des ter­ri­toires. L’intérêt du Grand Paris est de l’avoir ouvert. C’est ce qui le rend passionnant.

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