Éclectisme
… En hiver aussi, et en musique tout comme en littérature : vous musardez autour des rayons de votre bibliothèque, hésitant pour vous accompagner avant de trouver le sommeil entre Tristes tropiques, L’Éducation sentimentale et Du côté de Guermantes, tous cent fois lus et relus, et vous allez prendre, en définitive, un Raymond Chandler aperçu par hasard et dont vous feignez d’avoir oublié le déroulement. De même, vous songiez à l’Art de la fugue, et vous allez écouter Nino Rota…
Nino Rota et quelques autres
Vous avez des réminiscences d’Amarcord et autres Huit et demi, ou du Molière imaginaire pour le ballet de Béjart, et vous allez trouver une manière de Poulenc italien, savant et plein de charme, dans le CD qui réunit le Concerto soirée, la Danse pour petit orchestre, la Sonate pour orchestre de chambre, et la Fantaisie sur douze notes de Don Giovanni1, avec Danielle Laval au piano. Heureux de votre découverte, vous allez vous tourner à présent vers du plus connu, en essayant les Nuits d’été de Berlioz, par Susan Graham, mezzo-soprano2 : une petite merveille, avec une voix fraîche et bien en situation, qui limite les vibratos au strict nécessaire, et un orchestre d’opéra, donc léger, celui du Royal Opera House, dirigé par John Nelson. Sur le même CD, des airs de la Damnation, des Troyens…Vivent les Anglaises !
Les trois derniers quatuors de Haydn vous attendent un peu plus loin, par L’Archibudelli, quatuor qui joue sur des instruments d’époque, de manière décontractée et familière3 : ce n’est ni Mozart ni Beethoven, simplement de la musique raffinée, pour le plaisir d’un hédoniste.
Baroques
Ainsi mis en appétit, vous allez décider de donner une dimension intellectuelle à votre plaisir, avec une ambitieuse Histoire de la musique baroque, sous-titre la Voie profane (il y a aussi deux autres volumes, le Domaine sacré et le Monde instrumental), en cinq CD (le Madrigal, la Naissance de l’opéra, L’Angleterre au XVIIe siècle, Un siècle d’opéra français, Le règne de l’opéra seria) et un livret très savant doté d’un glossaire, dans une présentation superbe qui donne effectivement envie d’en savoir plus4.
Et vous allez ainsi errer, au gré de votre fantaisie, de Lassus à Campra, de Monteverdi à Vivaldi, avec des noms moins familiers comme Bottrigari, Cavalli, Lawes, Lambert, Graun, etc. Et vous jouirez non seulement du bonheur de l’écoute d’une musique extraordinairement diverse d’une époque foisonnante, mais de la satisfaction que procure, à tout être doté de raison, l’acquisition de la connaissance.
Vous pourrez alors écouter autrement qu’en dilettante le volume 5 des œuvres pour luth de John Dowland, toujours jouées par Paul O’Dette5, et le choix de motets, sonates, canzoni de Noël, de Schütz et de Gabrieli, par l’Academy of Ancient Music (6) : un petit régal pour l’aficionado du baroque. Au passage, vous vous demanderez pourquoi les Anglais sont parmi les meilleurs, aujourd’hui, dans l’univers de la musique baroque.
Concertos
On attendait avec impatience, après le disque des Concertos n°1 de Prokofiev et Chostakovich (il faut se faire à cette orthographe imposée par les Anglo-Saxons) par Maxim Vengerov et le London Symphony dirigé par Rostropovich, disque fabuleux que l’on n’est pas prêt d’oublier, les Concertos n°2 des mêmes, par les mêmes : c’est chose faite7. Vengerov s’est assagi, mais pas trop, heureusement, et il reste, pour nous, l’interprète de tous les superlatifs pour ces œuvres phares du XXe siècle.
Dans un autre registre, évidemment, Murray Perahia joue l’intégrale des œuvres pour piano et orchestre de Schumann, avec le Philharmonique de Berlin dirigé par Claudio Abbado8. Il y a le Concerto, bien sûr, merveilleux de rigueur technique et de romantisme contrôlé (ah ! ce léger retenu dans l’ineffable petit thème de valse, à apparition unique, de la fin du dernier mouvement !) ; mais il y a aussi les deux Konzertstücke, beaucoup moins joués, et qui ne méritent pas cet oubli.
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Pour terminer, un de ces petits disques qui réchauffent le cœur et l’âme : le Quatuor n°9 et le Quintette avec piano, de Dvorak, par le Melos Quartett et Karl Engel au piano9. Le Quintette est le plus fortement émouvant des trois grands (les deux autres étant ceux de Schumann et Brahms). Mais la surprise, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le 9e Quatuor : courez l’écouter, et soyez heureux que la musique existe, avec trois ou quatre autres choses, le travail, l’amour, l’amitié, la cuisine, pour que la vie vaille la peine d’être vécue.
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1. 1 CD Auvidis K 1034.
2. 1 CD Sony SK 62730.
3. 1 CD Sony SK 62731.
4. 5 CD Harmonia Mundi HMX 2908001.
5. 1 CD Harmonia Mundi 907164.
6. 1 CD Harmonia Mundi USA HMU 907 202.
7. 1 CD Teldec 0630 13150 2.
8. 1 CD Sony SK 64577.
9. 1 CD Harmonia Mundi 901510.