Économie circulaire : le recyclage ne fera pas tout !
Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du BRGM, revient pour nous sur les enjeux du recyclage, de l’économie circulaire et plus largement de l’empreinte carbone. Dans cette interview, il dresse pour nous un état des lieux et partage ses principales pistes de réflexion. Entretien.
Aujourd’hui, l’économie circulaire représente un enjeu stratégique dans un contexte marqué par l’accélération des transitions. Comment définissez-vous ce concept ?
L’économie circulaire est à la fois un vecteur de progrès et de lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité. En parallèle, elle permet aussi de prendre en compte la finitude du monde dans lequel nous vivons et de préserver le mieux possible les ressources existantes et notre environnement au sens large. Au-delà dans notre accès aux ressources, nous devons également essayer de limiter au maximum notre empreinte environnementale. Il devient ainsi de plus en plus évident que les objets en fin de vie et les rebus industriels doivent dorénavant être considérés comme des sources de matière à revaloriser. Ce sont des sujets dont le BRGM s’est emparé il y a déjà plus de trois décennies avec de nombreuses études sur le recyclage et l’économie circulaire, et notamment leur impact d’un point de vue environnemental et économique. Dans cette démarche, nous avons développé une importante expertise et testé de nombreux procédés innovants et une méthode d’évaluation environnementale.
Nous avons également tiré de nombreux constats. Tout d’abord, il me semble important de rappeler que le recyclage n’est pas vertueux par essence. Selon le procédé de recyclage et la typologie du produit que l’on cherche à recycler, on peut en effet se retrouver avec un processus de recyclage ou une boucle d’économie circulaire dont l’impact environnemental dépasse largement celui d’un produit fabriqué à partir de nouvelles ressources extraites du sous-sol. Aller récupérer une ressource minérale ou un métal qui est dilué en très petite quantité dans un objet peut coûter très cher et nécessiter plus d’énergie et d’intrants chimiques que de produire du neuf ! Il y a donc des limites au recyclage et à l’économie circulaire, ce qui devra sûrement nous faire réfléchir à une organisation rationnelle des usages successifs et à la nécessaire écoconception des objets.
Dans un monde en forte croissance économique et démographique, le recyclage ne pourra pas répondre à une demande qui a vocation à continuer d’augmenter sous l’effet notamment des transitions énergétiques, numériques et du rattrapage économique des pays en développement. Par ailleurs, nous recyclons aujourd’hui des objets qui ont été produits il y a 10, 20 ou 30 ans et qui ont été fabriqués avec des ressources minérales différentes et moins nombreuses. Il y a donc un réel décalage entre ce que nous valorisons via ce recyclage et nos besoins actuels.
L’économie circulaire et le recyclage jouent un rôle certes fondamental et leur déploiement doit être accéléré et facilité, mais l’accès à de nouvelles ressources reste également indispensable, ce qui ne pourra se faire que par l’ouverture de nouvelles mines, y compris en France et en Europe. Et ce déploiement n’aura de sens qu’en développant des procédés de recyclage ayant une empreinte environnementale réduite tout en restant rentables.
Dans ce cadre, quelles sont les pistes que vous explorez et les thématiques sur lesquelles vous travaillez pour contribuer à lever ces freins ?
Nous travaillons sur le développement de procédés de recyclage performants et à faible empreinte environnementale. Concrètement, le recyclage est un processus qui s’articule autour de diverses étapes. Il faut d’abord accéder à la matière qui est dans les objets ce qui implique tout un travail de préparation de la matière, de broyage, de concassage, de déchiquetage…, des opérations mécaniques qui représentent une part importante de l’énergie consommée. Nous essayons donc de rendre ces étapes « plus intelligentes » et efficaces pour réduire cette consommation.
Ces premières étapes sont suivies par la phase de tri et de séparation des matières, puis d’une phase de métallurgie extractive. Pour ce faire, une diversité de technologies peut être mise en œuvre. Au sein du BRGM, nous nous intéressons notamment à la biolixiviation qui permet de valoriser les déchets miniers et électroniques par l’action de bactéries pour extraire du cuivre, de l’or, du cobalt, du zinc ou encore du nickel. Nous sommes ainsi capables de tester ces procédés de recyclage jusqu’à l’échelle de quelques tonnes. Ces travaux sont menés principalement dans le cadre de projets financés par l’État ou l’Europe, mais aussi par des industriels, afin de tester, valider, qualifier des procédés qui ont vocation à être déployés à l’échelle industrielle. Si le BRGM est avant tout un établissement de recherche et de développement, les résultats des travaux menés par ses ingénieurs-chercheurs ont vocation à être transférés vers le monde industriel.
Nous travaillons aussi le développement de méthodologies pour l’analyse globale de l’empreinte environnementale d’un système. Dans ce cadre, on parle d’analyse de cycle de vie. Dans cette démarche, nous cherchons à évaluer les émissions de GES mais aussi à évaluer l’impact sur la biodiversité ou encore la ressource en eau.
Le BRGM développe ainsi des outils numériques et des bases de données pour réaliser ces évaluations. Nous mettons l’ensemble de ces développements au service de nos partenaires publics et privés, notamment les industriels.
Enfin, parce que le recyclage ne permettra pas de couvrir l’intégralité des besoins, nous travaillons aussi sur une vision globale, voire systémique des chaînes de valeur et d’approvisionnement pour avoir une meilleure visibilité sur les besoins, sur les volumes qui pourront être récupérés via le recyclage, ceux qu’il faudra aller extraire des mines, en France ou ailleurs afin d’éclairer et d’objectiver les choix que les investisseurs, les pouvoirs publics et les industriels vont être amenés à faire. C’est dans cette perspective que nous avons créé fin 2022 avec 5 autres établissements publics l’observatoire OFREMI sur les métaux stratégiques, et que nous travaillons à un nouvel inventaire des ressources minérales présentes dans le sous-sol français.
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nous sur ces enjeux et ces sujets ?
Sur le court et le moyen terme, nous devons apprendre à mieux recycler. Nous devons adapter nos stratégies de recyclage de manière à optimiser le coût énergétique, environnemental et économique et ne pas forcément chercher à récupérer des métaux purs si des usages peuvent se satisfaire de la présence d’autres éléments.
Cette optimisation pourra aussi conduire à réfléchir à une nouvelle organisation des chaînes d’utilisation entre les différentes filières industrielles afin d’identifier les applications ou les usages qui requièrent des niveaux de pureté et de spécifications les plus exigeants. L’idée serait ainsi d’utiliser la matière pure extraite du sol sur des usages où elle est nécessaire et ne peut être substituée.
“Dans un monde de pénuries et face à la finitude des ressources, préserver les ressources disponibles à des usages indispensables doit être un critère décisif dans les prises de décisions.”
En parallèle, nous devons aussi apprendre à mieux concevoir nos produits. C’est ce qu’on appelle l’éco-conception. Lors de la conception d’un produit, comme un smartphone, par exemple, il n’est aujourd’hui pas raisonnable et durable de ne prendre en compte que sa performance technique sans intégrer sa recyclabilité. Pour développer l’économie circulaire et le recyclage, il nous faut aussi développer une industrie de purification et de transformation pour récupérer les matières, les réutiliser… C’est un enjeu qui entre finalement en résonnance forte avec le besoin de réindustrialisation et de souveraineté économique de notre pays.
Enfin, se pose aussi la question de la sobriété : même si nous cherchons à développer de nouvelles technologies et filières, il nous faut systématiquement réfléchir à la pertinence et à la réelle nécessité des usages (nécessaire ou superflu…), ce qui revient à s’interroger sur le meilleur usage possible des ressources extraites du sous-sol. Dans un monde de pénuries et face à la finitude des ressources, préserver les ressources disponibles à des usages indispensables doit être un critère décisif dans les prises de décisions.