Économiste, mais pas trop !
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Sébastien Postic est un X qui a choisi l’économie et la solidarité tout en même temps, une économie pratique et appliquée, une économie qui lui permet de concilier engagement, vie professionnelle et vie personnelle. Il raconte comment on peut trouver un équilibre que peu arrivent à bâtir. Il donne envie de signer !
Je m’appelle Sébastien, je fais partie de la promo 2008 et je suis chercheur à l’Institut de l’économie pour le climat (ou I4CE, pour Institute for Climate Economics), un think tank qui contribue au débat sur les politiques publiques liées au changement climatique et à leur mise en œuvre. J’accompagne les ministères des Finances, en particulier ceux de pays en développement, sur l’intégration d’objectifs climatiques nationaux dans leurs outils de gestion et de planification des finances publiques.
Les hasards de la carrière
Je suis arrivé dans la recherche un peu par hasard, et dans l’économie, beaucoup. Et même le climat, ça n’était pas vraiment prévu… Ma première motivation était la solidarité internationale. Quelques années avant l’X, j’avais découvert avec les scouts que l’enfance à Antsampanimahazo, Madagascar, avait peu à voir avec celle que je connaissais, ou même que j’imaginais, et que mes perspectives auraient été bien différentes si je n’avais pas eu la chance de naître dans un pays proposant un accès assez large à une éducation gratuite de qualité. J’avais aussi constaté que la bonne volonté a ses limites et qu’investir trois mois de petits boulots pour se payer un billet d’avion et aller donner des cours de français à 15 élèves de primaire-collège pendant leurs deux semaines de vacances, c’était se tromper sur l’échelle du problème, et de solution.
Les vertus de l’expérience
À l’époque de mon passage à Palaiseau, mon grand sujet était l’accès à l’énergie. En stage ouvrier, j’installais des panneaux solaires en Bolivie. Sur un de nos projets, je découvre un jour un groupe électrogène flambant neuf à l’abandon dans le cabanon qui doit accueillir nos batteries. Incompréhension… Renseignements pris, cet équipement avait été installé dans le cadre d’un programme européen et, à la suite d’une inauguration en grande pompe, il avait fonctionné en tout et pour tout… un mois. Au premier incident, on s’était aperçu qu’aucun technicien n’était formé pour le réparer, que les installateurs étaient injoignables… Le générateur avait été laissé là à rouiller et le village avait candidaté à un autre programme. Cinq ans plus tard.
Deux leçons
De cet épisode, j’ai retenu deux choses. Premièrement, dans le développement l’argent n’est qu’une variante de la bonne volonté : on peut en avoir beaucoup et l’utiliser très mal. Surtout si l’on téléguide des investissements de l’autre côté de l’océan, sans s’appuyer sur des capacités et des besoins locaux et sans accompagner les projets dans la durée. Et, deuxièmement, le plus difficile dans un projet de ce type est rarement son volet technologique, même s’il est crucial et plus visible, mais plutôt l’existence de filières, de modèles d’affaires, d’intervenants qualifiés, d’institutions, de réglementations… Une nouveauté, dans mon tout récent parcours d’ingénieur.
La part du climat
J’ai enchaîné après les années à l’X sur une thèse de planification énergétique au Chili au moment de l’Accord de Paris, et le climat s’est invité dans mon paysage. Jusqu’alors, je classais plutôt les éoliennes dans la catégorie « problème de riches »… et puis j’ai réalisé qu’en fait non, que l’accès à l’énergie c’est important ; mais que les voitures en France et le charbon en Chine, ça prépare les inondations en Bolivie et les sécheresses au Chili. Que 60 degrés ressentis à Rio ou la salinisation des régions côtières du Bangladesh, ça ne peut qu’aggraver les tensions territoriales, les migrations, les inégalités. Que, si l’on ignore ce sujet, on peut remporter des victoires aujourd’hui mais on est sûr de perdre la bataille demain.
Une économie concrète
Alors, de fil en aiguille, je suis arrivé à I4CE. L’économie théorique de mes (rares) cours de l’X m’avait pourtant laissé plutôt sceptique, avec ses problèmes sur mesure où l’on empile des hypothèses parfois discutables pour tomber sur la formalisation qui permettra de faire de belles mathématiques… Mais, à I4CE, l’économie c’est surtout de la recherche appliquée pour trouver des solutions pragmatiques à des problèmes économiques certes, mais parfaitement concrets, dans un contexte géographique, social, institutionnel, précis.
“Le bon équilibre entre parcours professionnel, engagement et vie personnelle.”
Cet engagement s’est avéré pour moi jusqu’à aujourd’hui le bon équilibre entre parcours professionnel, engagement et vie personnelle. J’ai des activités bénévoles par ailleurs, mais il m’était plus facile de m’engager professionnellement que bénévolement sur ce sujet, pour au moins quatre raisons.
Gratifiant !
Premièrement, la lutte contre le dérèglement climatique demande de l’argent et du temps, mais aussi beaucoup d’intelligence et de compétences. Sur le financement de la transition écologique, comme sur l’éducation à Madagascar ou l’électrification en Bolivie, la bonne volonté ou l’argent seuls trouvent vite leurs limites et il me paraît difficile de maintenir dans la durée l’expertise nécessaire pour participer aux discussions internationales à ce sujet sur une base uniquement bénévole. En échange, mon poste actuel m’offre un contexte professionnel qui inclut un défi intellectuel permanent, des perspectives d’apprentissage très riches et le sentiment de se confronter à des problèmes compliqués pour de bonnes raisons. Anxiogène, mais gratifiant…
L’importance d’être payé
Deuxièmement, je trouve important d’être payé pour travailler sur ces sujets. Sur le terrain des politiques publiques climatiques, les bénévoles (organismes ou individus) peuvent vite être classés soit en « rêveurs », soit en « énervés ». Le fait de devoir faire financer notre travail et en vivre nous confère une certaine respectabilité, nous donne accès à des interlocuteurs qui ne nous auraient pas considérés sinon et garantit que les payeurs de nos travaux, au moins, s’intéresseront à leurs résultats et à leurs impacts.
Préserver son temps libre
Troisièmement, je veux pouvoir faire ce que je souhaite de mon temps libre, sans négocier avec ma conscience. Autant j’ai besoin de croire que mes journées contribuent même juste un peu à « laisser le monde un peu meilleur que je l’ai trouvé », autant j’ai un tas d’activités de montagne, de temps avec ma famille, mes amis, d’autres activités bénévoles… que je ne veux pas embarquer entièrement dans une logique militante. Mon activité professionnelle est un fil rouge qui fournit un squelette à mon engagement sans nécessiter un « effort additionnel ».
Choisir ses collègues
Et, quatrièmement, j’adore mes collègues ! Pour moi, une activité professionnelle « engagée », c’est aussi une façon de choisir mon cadre de travail et les gens qui m’entourent. Dans un think tank, à mi-chemin entre le conseil et l’association, les gens viennent par conviction et au prix de concessions – un coup d’œil aux grilles salariales, elles aussi « à mi-chemin », suffit à le vérifier – travailler sur des sujets à forte complexité. La dynamique collective que ces engagements individuels créent et la sensation de travailler avec des collègues dont je respecte à la fois l’envergure intellectuelle et les convictions me plaît bien autant que la perspective de l’impact au bout du chemin.
J’ai un super cadre de travail, j’apprends, et j’ai de bonnes raisons d’espérer être utile… Je suis arrivé par hasard, mais je sais pourquoi je suis resté !