EDF : devenir une entreprise chinoise en Chine
Pourquoi s’intéresser au marché énergétique en Chine ?
Pourquoi un électricien « au long nez » peut-il s’intéresser au secteur de l’énergie en Chine, surtout quand son marché traditionnel est l’Europe ? Il n’y a pas d’interconnexion avec le parc européen, le secteur de la distribution électrique reste fermé et EDF n’y possède encore qu’une capacité de production de quelques milliers de mégawatts.
Penser hors de l’Unité n’est pas penser chinois
Ce serait oublier la croissance moyenne annuelle de 10 % depuis vingt ans, soit un doublement tous les sept ans. De plus, cette croissance s’accompagne d’une évolution socio-politique réellement plus ouverte et pragmatique que ce qui est perçu habituellement hors de Chine.
La stabilité politique d’un ensemble de 1 milliard 300 millions d’habitants fondée sur l’accès à la consommation, la fierté nationale et l’accès au savoir. L’univers de la diversité et des écarts : il suffit de regarder les livreurs transportant des carcasses de cochons sur le porte-bagages de leur vélo, le téléphone mobile collé à l’oreille. Mais c’est aussi l’univers de la cohésion : 1,3 milliard de personnes utilisent la même langue… Cette notion d’unité a conduit les grandes orientations de la Chine au cours des derniers millénaires et fait partie intégrante du mode de pensée de chacun. C’est l’empire du Centre, du Milieu. Penser hors de l’Unité n’est pas penser chinois.
Un modèle politique et social en train de s’inventer, à partir d’une approche humaniste liée à une identité culturelle chinoise largement répandue en Asie. Le trait fondamental de la Chine est l’Unité, mais c’est aussi la coexistence d’une multitude de réalités qui enrichissent l’identité nationale. C’est aussi l’apport d’une diaspora qui a injecté plus de 200 milliards de dollars en investissements directs dans la Chine continentale.
L’environnement est identifié comme une cause politique importante car sa perception par le citoyen chinois est liée à l’amélioration de sa qualité de vie. La Chine vient d’ailleurs de ratifier le protocole de Kyoto.
Il faut donc voir là les raisons d’un positionnement pour l’avenir.
Un pays développé ou en voie de développement ?
La Chine est désormais très consciente de son potentiel humain, culturel et industriel, et elle entend le faire fructifier pour acquérir une position qui la mette définitivement hors des dangers liés à la pauvreté. Le PIB par habitant est pourtant 20 fois moins élevé que celui d’un pays industrialisé.
Si une partie de la population est désormais dans la classe « aisée », la Chine reste toutefois un pays en voie de développement, souffrant d’un déséquilibre entre la côte Est, centre de développement et de croissance et l’intérieur ou l’Ouest qui ne reçoit que 3 % des investissements étrangers contre 78 % pour la côte Est.
Dans ce contexte, les attentes de la Chine vis-à-vis des acteurs étrangers concernent la maîtrise technologique (transferts), l’amélioration du management, la rigueur de gestion et la qualité. Les coopérations avec les entreprises étrangères leaders sont les bienvenues à cet égard, mais aux conditions chinoises, y compris un appui pour le développement hors Chine.
La voie est l’engagement dans une logique de développement local
La voie est donc l’engagement dans le développement local, au plus près des besoins de ses partenaires et de ses clients. Il faut devenir une entreprise chinoise en Chine.
Le poids économique de la Chine au XXe siècle était anormalement bas. Va-t-il bientôt retrouver sa position historique ? (source Banque Mondiale).
La Chine se situe désormais au centre de gravité du monde. Son entrée dans l’OMC et les jeux Olympiques à Pékin en 2008 en sont des signes clairs. Il ne s’agit pas seulement d’une considération économique, mais de la prise en compte d’un mouvement d’ensemble politique, culturel et social, dynamique, et cohérent.
Dans cette Chine ouverte, en marche, une entreprise doit représenter bien plus qu’une somme de projets ; c’est un état d’esprit, une présence, une attitude.
L’état d’esprit, c’est la confiance que donnent la vision du développement et la prise en compte de sa réalité : les entreprises chinoises n’ont plus seulement besoin de capitaux et de technologies étrangers. En fait, un grand nombre a franchi ce seuil de maturité au cours des trois dernières années. Beaucoup d’autres vont suivre rapidement, du fait de l’entrée de la Chine dans l’OMC, et des contraintes que cela impose. La Chine accède ainsi à l’autonomie qu’elle s’est fixée comme objectif. Mais l’autonomie, ce peut être la tentation, toujours présente, de la fermeture.
La présence est la conséquence logique de ce changement fondamental. D’une certaine manière, l’entrée dans l’OMC est une caution d’ouverture durable que la Chine se donne à elle-même, pour conjurer ses regrets. La présence des étrangers dans les projets chinois relève de la même précaution. Elle se mérite, par l’excellence des savoir-faire, dans le développement international, par la qualité et la rigueur de la gestion et du management, par la maîtrise et les avancées techniques. Cette présence est donc aussi, pour les Chinois, la garantie d’une contribution à l’amélioration des performances.
L’attitude qui découle de cette volonté d’accéder à la présence par le mérite est donc celle qui permet de mettre en évidence la valeur ajoutée dans les domaines évoqués, et sa contribution aux performances des projets. C’est une attitude qui consiste à faire évoluer le partenariat, en l’inscrivant dans l’utilité, la réciprocité et la durée.
C’est avec la conviction que le sens du développement durable est de réintégrer l’économie dans la nature et l’humanité que les équipes doivent œuvrer localement. Cette philosophie est la condition de la réussite dans la durée.
Un parc électrique français construit tous les cinq ans
La politique énergétique du Xe plan quinquennal est structurée selon trois axes :
1) produire l’électricité à l’Ouest (barrages hydrauliques, centrales thermiques près des mines de charbon) et la transporter à l’Est,
2) transporter le gaz vers l’Est à partir des champs gaziers de l’Ouest,
3) acheminer au Nord l’eau du Sud pour faire face à la désertification.
Pour comprendre l’ampleur de la tâche, il faut s’imaginer le changement radical qui est en train de s’opérer.
Entre 1990 et 2001, la puissance électrique installée en Chine est passée de 138 000 MW à 338 000 MW et la croissance ne fléchira pas dans le futur ! Pour donner une idée, rappelons que la capacité totale implantée en France est d’un peu plus de 100 000 MW, c’est-à-dire ce que la Chine construit en cinq ans !
Entrée de la centrale nucléaire de Daya Bay. PHOTO EDF
Pourtant, la consommation par habitant est seulement de 1 300 kWh/ personne en 2001, soit 5 fois moins qu’en Europe, 10 fois moins qu’aux États-Unis, ce qui laisse donc de belles perspectives au secteur électrique. Trente millions de Chinois n’ont toujours pas accès à l’électricité.
En outre, de grosses disparités existent entre les provinces chinoises et il faut distinguer la situation des moins développées économiquement (dans le Nord-Est ou le Nord-Ouest par exemple) mais richement dotées en ressources énergétiques, des régions côtières qui doivent importer des régions voisines.
Par exemple, la province du Guangdong (Canton, Shenzhen…), dont le PNB est deux fois le total de ses trois provinces voisines de l’Ouest : Guangxi, Yunnan et Guizhou, ne possède que 3,5 % de leurs ressources énergétiques et importe 90 % de son énergie.
Ce déséquilibre conjugué à une sous-estimation des besoins dans le Xe plan quinquennal amène la question de l’approvisionnement énergétique de la Chine sur l’agenda du gouvernement.
Le développement de l’énergie nucléaire de façon « appropriée à sa situation »
La centrale nucléaire de Daya Bay, de fourniture Framatome et Alstom principalement. EDF qui avait assuré la direction technique de la construction entretient un partenariat avec l’exploitant chinois qui obtient d’excellentes performances.
PHOTO EDF
La Chine est très riche en charbon qui lui fournit 75 % de son énergie, mais les infrastructures sont saturées : les deux tiers des chemins de fer transportent du charbon ou des matériaux de construction.
L’énergie nucléaire occupe pour le moment une place marginale, limitée aux régions les plus développées économiquement : l’énergie nucléaire représente 1,2 % de la production totale d’électricité de la Chine et les prévisions pour 2020 font état de 3 à 5 %.
En valeur absolue cela représente des puissances nouvelles notables, de 30 000 à 50 000 MW à l’horizon 2020. La France, dont le parc nucléaire est une référence mondiale, « n’a que » 63 000 MW.
Si les estimations fluctuent selon les sources, il est toutefois acquis que la croissance énergétique ne pourra se faire sans le nucléaire, surtout après la ratification du protocole de Kyoto.
Quel avenir pour le système énergétique chinois ?
La restructuration du système électrique chinois est engagée. La transparence du marché et la protection de l’environnement y prennent de plus en plus d’importance.
Non seulement la Chine construit l’équivalent d’un parc français tous les cinq ans, mais en plus elle déclasse ses plus vieilles centrales (-14 GW en cinq ans). Cela correspond à une double préoccupation : d’une part l’amélioration des performances économiques (40 % du parc est constitué de centrales de puissance inférieure à 200 MW) et d’autre part à un contrôle des dommages écologiques.
150 milliards d’euros d’actifs et 1,4 million d’employés à allouer dans la réforme du secteur électrique.
En 2002, le gouvernement a amorcé la réforme du secteur électrique : le monopole d’État, la State Power, est scindé en deux gestionnaires de réseaux et cinq producteurs nationaux. L’événement est à l’échelle du pays : 150 milliards d’euros d’actifs et 1,4 million d’employés sont à allouer entre les nouvelles sociétés.
Dans les moyens de production, la politique gouvernementale est de développer en priorité l’hydraulique qui porte aussi les enjeux de l’alimentation en eau du nord de la Chine, en second lieu le nucléaire, en augmentant les localisations industrielles et l’autonomie dans la conception et l’ingénierie des centrales en exploitation.
La spécificité du système électrique français intéresse les autorités chinoises. Elles veulent tirer profit de ses meilleures caractéristiques, dans la recherche de leur propre mode d’organisation : chaque année, 300 à 400 ingénieurs, managers et décideurs chinois se rendent en France pour travailler sur le sujet. Outre les questions purement techniques, les principaux sujets de discussions sont :
- les rapports EDF-État,
- le marché européen de l’électricité,
- la gestion des ressources humaines,
- le service public et le service du client.
Il y a quelques années, au moment où cela était favorable pour son développement, la Chine a utilisé le modèle BOT (Built Operate and Transfer). Dans ce modèle, le gouvernement garantit un taux de retour via le tarif et le volume acheté, et les investisseurs financent la centrale par un financement dit « de projet » à recours limité.
Trouver sa voie.
Aujourd’hui cette phase est terminée. La Chine n’est plus intéressée par un modèle unique, fondé sur un système qui porte ses propres limites.
La centrale nucléaire de Ling Ao, une étape vers l’autonomie. LANPC, la société chinoise propriétaire, a dirigé la construction qui a comporté une part locale de plus en plus importante grâce à l’expérience acquise avec EDF à Daya Bay. PHOTO EDF
La Chine est consciente de la contradiction entre la rentabilité des investissements et la nécessité de faire baisser le prix du kWh, qui est une variable sociale importante. Entre ces contradictions, elle essaye de trouver sa voie. Le choix de conserver ensemble le transport et la distribution est l’indication de sa volonté de rechercher une solution propre, une solution chinoise qui se démarque des pratiques essayées ailleurs dans le monde.
Dorénavant, pour les nouveaux projets, il n’y aura plus de garantie de retour sur investissement fixe. La Chine préfère faire appel à des partenariats industriels durables impliquant des participations de type « corporate » et des emprunts en monnaie locale.
Le chantier de la réforme est immense : il faut restructurer les organisations et sociétés actuelles, construire de nouvelles capacités de production, apprendre à gérer un nouveau profil de consommateurs, imprévisibles, générant des pics de consommation. Ce ne sont plus les grands clients étatiques qui consommaient en base 24 heures sur 24 heures 365 jours par an. Il y a un impact direct sur le parc de production notamment avec l’importance accrue de la gestion prévisionnelle du réseau, des stations de pompage-turbinage.
Pour protéger l’environnement, la Chine implantera progressivement des équipements de désulfuration pour les centrales à charbon, mettra en service de nouvelles technologies charbon plus propres et renforcera la part du nucléaire. La Chine, en route vers la maîtrise industrielle d’un programme nucléaire national, peut s’appuyer sur l’industrie française qui y a conquis une place prépondérante au travers de ses partenariats.
Schema : Le poids économique de la Chine au XXème siècle était anormalement bas. Va-t-il bientôt retrouver sa position historique ? (source Banque Mondiale).
Photographies : Entrée de la centrale nucléaire de Daya Bay. La centrale nucléaire de Daya Bay, de fourniture Framatome et Alstom principalement. EDF qui avait assuré la direction technique de la construction entretient un partenariat avec l’exploitant chinois qui obtient d’excellentes performances. La centrale nucléaire de Ling Ao, une étape vers l’autonomie. LANPC, la société chinoise propriétaire, a dirigé la construction qui a comporté une part locale de plus en plus importante grâce à l’expérience acquise avec EDF à Daya Bay.