Editorial

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007
Par Michel MEYER (69)

Rio de Janeiro

De même que 2005 fut « l’an­née du Bré­sil en France », l’an­née pro­chaine sera « l’an­née de la France au Bré­sil ». Soit exac­te­ment deux siècles après que dom João VI, sous la pres­sion des troupes de Napo­léon qui venaient d’en­va­hir le Por­tu­gal, déci­da de quit­ter Lis­bonne, pour s’é­ta­blir à Rio de Janei­ro (1808), emme­nant une Cour de 15 000 sujets. « Avec le fran­co­phile Anto­nio de Arau­jo réins­tal­lé au pou­voir, le rôle cultu­rel de la France fut acti­ve­ment encou­ra­gé par la Cour. On ver­sa des pen­sions à la « Mis­sion Artis­tique Fran­çaise » (créée en 1816) – un groupe de peintres, sculp­teurs et archi­tectes sous la hou­lette de Joa­chim Lebre­ton, appe­lés à Rio pour y fon­der une aca­dé­mie des beaux-arts. » (P. Wil­cken, Impe­rio a deri­va : a Corte por­tu­gue­sa no Rio de Janei­ro, 1808–1821, Rio, Objec­ti­va, 2005). Le Néo­clas­si­cisme fran­çais devint le style offi­ciel de l’Em­pire avec l’ar­chi­tecte Grand­jean de Mon­ti­gny, qui chan­gea la face de la capi­tale et ins­ti­tua au Bré­sil l’en­sei­gne­ment de l’architecture.

Jean-Bap­tiste Debret : La famille royale arrive à Rio, et : Sao Pau­lo en 1827

Peintre fran­çais de la Mis­sion, Jean-Bap­tiste Debret, dis­ciple de David, immor­ta­li­sa avec bon­heur, pré­ci­sion et humour la socié­té cario­ca et la vie quo­ti­dienne de cette époque. Aus­si, les trois volumes de ses innom­brables gra­vures et estampes (Voyage pit­to­resque et his­to­rique au Bré­sil, ou : séjour d’un artiste fran­çais au Bré­sil, depuis 1816 jus­qu’en 1831, Paris, Fir­min Didot Frères, 1834) ont-ils pris pour nous une valeur his­to­rique irrem­pla­çable. Com­ment le São Pau­lo en 1827 a‑il pu deve­nir l’une des pre­mières méga­poles du monde en 2007 ?


Rio de Janaeiro

Indif­fé­rents au trai­té de Tor­de­sillas signé en 1494 entre le Por­tu­gal et l’Es­pagne pour se répar­tir les terres à décou­vrir de part et d’autre d’une ligne allant des îles du Cap Vert au pôle, les Fran­çais — encore eux — éta­blis­saient aux XVIe et XVIIe siècles deux colo­nies éphé­mères sur les côtes bré­si­liennes. D’a­bord, la « France antarc­tique » dans la baie de Gua­na­ba­ra en 1555 avec le vice-ami­ral de Bre­tagne Nico­las Durand de Vil­le­ga­gnon et ses hugue­nots, alliés aux indiens tupi-gua­ra­nis : la saga est rela­tée par Jean de Léry (His­toire d’un voyage faict en la terre du Bré­sil, 1578) et par son enne­mi juré André The­vet (Les sin­gu­la­ri­tés de la France antarc­tique, 1557), sans par­ler du Gon­court 2001 obte­nu par J.-C. Ruf­fin pour Rouge Bré­sil. Puis, en 1612, la « France équi­noxiale » au Maranhão et la fon­da­tion de la ville de São Luis (en l’hon­neur de Louis XIII, roi de France), avec Daniel la Touche de la Ravar­dière, « lieu­te­nant géné­ral du Roy es Amé­riques » et cinq cents Français.

Mais, dépas­sant ces chas­sés-croi­sés his­to­riques, la rela­tion entre nos deux peuples va au fil des deux der­niers siècles s’en­ra­ci­ner pro­fon­dé­ment dans une lati­ni­té, une culture et des valeurs par­ta­gées. À com­men­cer par l’in­fluence d’Au­guste Comte et des « posi­ti­vistes », dont le Bré­sil, ren­ver­sant dom Pedro II (le fils de Pedro Ier qui l’a­vait ren­du indé­pen­dant du Por­tu­gal en 1822), accro­cha en même temps pour tou­jours la devise « Ordem e Pro­gre­so » au centre de son dra­peau « auro e verde » (le vert sym­bo­lise les forêts, le jaune la richesse natio­nale) sur la sphère bleu du ciel, celui de la nuit de la pro­cla­ma­tion de la Répu­blique le 15 novembre 1889 (où chaque étoile repré­sente l’un des 27 états de la Fédération).

« On pour­rait com­prendre le suc­cès du posi­ti­visme chez nous » explique l’his­to­rien bré­si­lien Ser­gio Buarque de Holan­da (Racines du Bré­sil, Rio, 1933) « pré­ci­sé­ment par ce repos qu’offrent à l’es­prit les défi­ni­tions irré­cu­sables et impé­ra­tives du sys­tème d’Au­guste Comte. Pour ses adeptes, la gran­deur, l’im­por­tance de ce sys­tème tient très exac­te­ment dans sa capa­ci­té à résis­ter à la flui­di­té et à la mobi­li­té de la vie. La cer­ti­tude où étaient ces hommes du triomphe final des nou­velles idées est vrai­ment très édifiante. […]

L’ap­pa­reil scien­ti­fique et intel­lec­tuel que le Maître a légué à l’Hu­ma­ni­té serait suf­fi­sant pour répondre dans tous les temps et dans tous les pays à de telles néces­si­tés. Et notre his­toire, notre tra­di­tion seraient recréées en accord avec ces prin­cipes inflexibles. » Sans sur­prise, la nou­velle Consti­tu­tion de la Répu­blique, pro­mul­guée en 1891, sera donc d’ins­pi­ra­tion fran­çaise. Et ses concep­teurs, qui ont choi­si « La Mar­seillaise » pour hymne, ins­taurent en 1892 le 14 juillet comme « fête natio­nale de l’é­man­ci­pa­tion des peuples ». Ce sont les mêmes répu­bli­cains qui pré­voient déjà la construc­tion d’une future capi­tale au centre du pays, à laquelle l’ar­chi­tecte Oscar Nie­meyer, élève du Fran­çais Le Cor­bu­sier, et l’ur­ba­niste Lucio Cos­ta don­ne­ront le jour soixante-dix années plus tard : Brasilia.

Quem foi que inven­tou o Brasil ?
Foi seu Cabral,
Foi seu Cabral,
No dia 21 de Abril,
Dois meses depois do carnaval.
Qui c’est qui a inven­té le Brésil ?
C’est m’sieu Cabral,
C’est m’sieu Cabral,
Au jour du 21 avril,
Deux mois après le carnaval.

Avec le pro­lixe com­po­si­teur de sam­ba-enre­do Lamar­tine Babo et son His­to­ria do Bra­sil (1934, ci-des­sus), « la mar­chin­ha va loin dans la car­na­va­li­sa­tion de l’His­toire du Bré­sil et de ses icones. […] La date qui fonde la nation, célé­brée le 21 avril, date à laquelle la flotte com­man­dée par l’a­mi­ral por­tu­gais Pedro Alvares Cabral décou­vrit le Bré­sil en 1500, est comi­que­ment rabais­sée au sta­tut d’é­vé­ne­ment pos­té­rieur de deux mois à un autre évé­ne­ment, qui devient du même coup, pre­mier et fon­da­teur. Et qui n’est autre que le car­na­val. » (Wal­nice Noguei­ra Galvão, Le car­na­val de Rio, Paris, Chan­deigne, 2000).

Dans ce pays jeune et métis­sé qui a – depuis la fin du XIXe siècle sur­tout (abo­li­tion de l’es­cla­vage en 1888) – inté­gré des cultures et des groupes humains divers (+ 3.5 mil­lions d’im­mi­grés – sur­tout euro­péens – de 1871 à 1920) pour créer une socié­té contras­tée et convi­viale, une puis­sante culture popu­laire a ger­mé dans les ports, tou­jours pro­pices à la fer­ti­li­sa­tion de genres musi­caux nouveaux.

Comme le jazz à Nou­velle-Orléans, le fado à Lis­bonne, le tan­go à Mon­te­vi­deo et Bue­nos Aires, la sam­ba vit le jour à Rio (A. Fil­ho, cidade mara­vil­ho­sa… ber­ço do sam­ba, 1935). De même, la MPB, la musi­ca popu­lar bra­si­lei­ra, est le fruit de l’ac­cul­tu­ra­tion de mul­tiples contri­bu­tions afro-euro­péennes : son évo­lu­tion per­ma­nente accom­pagne au plus près l’é­vo­lu­tion cultu­relle du pays et son pou­voir d’in­té­gra­tion des élé­ments inter­na­tio­naux, jus­qu’au « tro­pi­ca­lisme » déchaî­né du ministre de la culture de Lula, Gil­ber­to Gil, met­tant le feu à notre place de la Bas­tille le 14 juillet 2005 avec des larmes de joie.

Et la France du début du XXIe siècle n’au­rait-elle pas beau­coup à réap­prendre de la fraî­cheur et de l’éner­gie vitale de ce Bré­sil si spon­ta­né et si créa­teur ? Et pour­quoi pas dans de nom­breux domaines ? Puisse ce dos­sier spé­cial Bré­sil de La Jaune et la Rouge, fruit de la par­ti­ci­pa­tion d’au­teurs Fran­çais (dont une dou­zaine de l’E­cole) et Bré­si­lien, réunis ici par une pas­sion com­mune et un vécu per­son­nel (voire une sau­dade) du Bré­sil, vous appor­ter ce que vous ne sau­riez trou­ver ailleurs sur cette « grande démo­cra­tie métis­sée et média­trice dont le monde du troi­sième mil­lé­naire a besoin. » (A. Rou­quié, Le Bré­sil au XXIe siècle : nais­sance d’un nou­veau grand, 2006).

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