Éditorial
Dans une récente histoire de l’École polytechnique, les auteurs avaient placé les X juristes dans les vocations singulières, hors du champ des activités économiques, juste après les musiciens, les peintres et les hommes de lettres et juste avant les religieux… Cette classification qui fait des juristes, semble-t-il, des hommes d’esprit, voire des artistes peut être jugée sympathique. Elle est surtout révélatrice de la perplexité des scientifiques et des ingénieurs vis-à-vis du droit.
Dans une récente histoire de l’École polytechnique, les auteurs avaient placé les X juristes dans les vocations singulières, hors du champ des activités économiques, juste après les musiciens, les peintres et les hommes de lettres et juste avant les religieux… activités des plus honorables mais dont on saisit mal le lien avec les milieux juridiques.
Cette classification qui fait des juristes, semble-t-il, des hommes d’esprit, voire des artistes peut être jugée sympathique. Elle est surtout révélatrice de la perplexité des scientifiques et des ingénieurs vis-à-vis du droit.
Le droit est en effet perturbant pour un scientifique et peut sembler peu rigoureux et aléatoire. Certains textes manquent de clarté. D’autres se contredisent. En partant des mêmes textes, les tribunaux peuvent prendre des décisions à l’opposé les unes des autres ; la position d’une même juridiction peut varier avec le temps alors que le texte de référence, lui, n’a pas changé.
Certes, il existe aussi en sciences des incertitudes mais lorsque des scientifiques y sont confrontés, comme en mécanique quantique, ils en font un principe avec des équations et des fonctions. Il y a donc des incertitudes mais elles sont encadrées. Au pire on ajoute des probabilités. Du côté des juristes, il y a aussi des incertitudes. Mais il est douteux que personne ait réussi à les mettre en équations. Ou alors ce n’était pas un juriste.
Associer les X et le Droit est donc une association assez inattendue, presque l’alliance de l’eau et du feu.
Négliger pourtant le droit serait une erreur. Il ne s’agit pas d’une activité mineure ou secondaire. On laissera de côté ici la question essentielle des libertés et de la sécurité qui ne peuvent se passer du droit et on en restera aux questions purement économiques.
En premier lieu, il s’agit d’une activité économique au sens propre du terme qui compte, si on se limite aux seuls avocats, environ 40 000 professionnels en France. À cela s’ajoute les autres professions juridiques (magistrats, notaires, huissiers…) et le personnel employé. Au regard d’un certain nombre de multinationales, ces chiffres peuvent paraître moyens mais ils ne sont pas négligeables pour autant.
Mais surtout le droit constitue au moins un outil, voire une véritable arme économique. Dans une négociation entre deux parties de nationalités différentes, le choix de la norme juridique est une question majeure. Celui qui se soumet à une norme étrangère sera inévitablement désavantagé. Il pourra bien sûr être assisté par des avocats qui la maîtrisent mais, moins habitué à cette norme, des nuances pourront lui échapper et, plus grave, des risques d’incompréhensions voire d’erreurs pourront surgir, y compris dans ses rapports avec ses propres conseils. Et naturellement cette adaptation à une norme étrangère aura un coût, y compris en temps passé.
Plus généralement, dans la compétition internationale, un pays est aussi jugé sur son système juridique et les différentes règles sont mises en concurrence. C’est le sens des rapports » Doing Business » préparés par la Banque Mondiale qui évaluent les réglementations commerciales et leur mise en oeuvre. Au bout du compte est établi un classement qui a certes été contesté mais qui ne plaçait la France qu’en 47e rang en 2005 et au 35e rang en 2006.
Les X ne peuvent donc pas se désintéresser du droit, et ce d’autant plus qu’ils y sont mieux préparés qu’ils ne l’imaginent souvent. Il y a une rigueur dans le raisonnement scientifique, comme il y a une rigueur dans le raisonnement juridique. Aussi bien pour le conseil que pour le contentieux, il faut choisir une règle, démontrer que la règle choisie correspond bien à la situation examinée et en tirer les conséquences logiques.
Dans ce dossier apparaissent différents aspects du droit dans lequel des X interviennent : juges au tribunal de commerce, conseils en propriété industrielle, officiers de gendarmerie et avocats…