Editorial
Bonne santé ! Ce vœu traditionnel s’adresse à vous, amis et lecteurs de La Jaune et la Rouge, en ce début d’année et de siècle ! Il prend tout son sens dans ce numéro consacré à la Santé et la Médecine à l’aube du XXIe siècle !
La maladie, le handicap et le vieillissement sont éternels, font partie de la vie, et appellent à recourir à la médecine. Que son origine remonte à Asclépios ou à Hippocrate, la médecine est fort ancienne. Son histoire a été laborieuse et mouvementée. Aujourd’hui on sait traiter presque toutes les pathologies, soulager la souffrance, compenser partiellement le handicap, allonger sensiblement la durée de la vie, bien que l’on ne puisse guérir totalement qu’un tiers environ des pathologies connues. Mais, il y a moins d’un siècle, les pratiques médicales efficaces étaient rares et peu de diagnostics étaient solidement établis. C’était une médecine de » compassion « .
Progressivement, les pays développés ont mis en œuvre des systèmes de santé dotés de financement, de structures de soins toujours plus nombreuses et plus efficaces, de professionnels de plus en plus formés et compétents. De là date la généralisation de l’accès aux soins fondée notamment sur le principe de l’assurance maladie obligatoire. La médecine est devenue de plus en plus efficace et la recherche, à son tour, a changé de dimension.
Hôpital Saint-Louis, Service de greffe de mœlle osseuse,
chambre à flux laminaire. © ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS
Dans les laboratoires des hôpitaux, des universités et organismes scientifiques, de l’industrie du médicament ou du dispositif médical, de nouvelles avancées enrichissent en permanence les connaissances fondamentales, les pratiques médicales et les thérapeutiques. Les progrès sont étonnants et souvent admirables.
L’annonce récente d’une thérapie génique réussie sur un nouveau-né dépourvu de système immunitaire, réalisée en France par l’équipe du Professeur Alain Fisher à l’hôpital Necker, a ému et émerveillé l’opinion publique et le monde médical. Les perspectives d’actions réparatrices offertes par l’aboutissement et la rencontre d’expérimentations en génétique, en immunologie, etc., pourraient modifier bien des concepts actuels de la santé et de la médecine. Le problème éthique et moral est au cœur du sujet. La déclaration sur le génome humain, adoptée à l’Unesco, s’oppose au principe du clonage humain à des fins reproductrices. Mais, peut-on envisager, par exemple, d’obtenir par clonage, à des fins thérapeutiques, des cellules souches embryonnaires indifférenciées ? Plus couramment et au quotidien, quelle certitude avons-nous, qu’en informatisant le dossier médical – ce qui semble bien utile – et malgré un cryptage bien réalisé, seuls le patient et son médecin pourront accéder au contenu du dossier ?
Ainsi, l’irruption de ce progrès et de ce changement, fruit du travail des chercheurs et des professionnels de santé, implique toute la société et ses acteurs : gouvernements, élus, économistes, créateurs d’entreprises, philosophes, juristes, citoyens. Les malades, décideurs de leur choix de vie, sont désormais à même d’être mieux informés sur leur santé et leur maladie, par l’accès à Internet, voire par la consultation de leur dossier en toute légalité, et ils auront une attitude plus active face à la prescription des soins. Les enjeux sont multiples, les progrès et les changements ont un coût de en plus en plus élevé, et créent aussi des risques, des injustices et des contradictions nouveaux. Pour sa part, le monde médical, détenteur du pouvoir que sa compétence et ses succès lui confèrent, doit accepter de prendre en compte les multiples conséquences de la situation sans les ressentir comme des contraintes insupportables.
Le thème de ce numéro dépasse le cadre des frontières de chaque pays. La mondialisation a concerné la recherche scientifique et clinique et les entreprises du monde de la santé plus vite et plus tôt que l “ensemble de l’économie. Les grands acteurs du domaine font partie de quelques grandes puissances scientifiques et financières. Mais peut-on croire que l’impact de tous ces enjeux ne soit pas analysé, reçu et matérialisé pour le bien de toutes les nations ?
Ferait-on cohabiter longtemps des civilisations traitant différemment la vie et le respect des hommes ? Le débat ouvert dans chaque pays, qui garde sa spécificité en matière de structures, de financement et de comportements socioculturels, ne peut que remonter au plan international, et, en premier lieu, dans l’Union européenne.
Deux remarques sont à retenir avant d’aborder la lecture des différents articles. Il y a d’abord l’actualité de la santé en France. La politique à suivre y a nécessairement quatre buts :
- la qualité et l’efficacité des soins, la sécurité des patients ne tolèrent aucune exception et aucun manquement. Dans les périodes récentes trop de scandales ont entamé la crédibilité du système de santé français ;
- l’intérêt des professionnels de santé est fondamental et ils méritent globalement le plus grand respect. La tendance au découragement, bien réelle chez eux, ne peut qu’être néfaste à l’ensemble de la population ;
- la recherche doit être une grande ambition partagée ;
- enfin le respect de l’équilibre macroéconomique défini par l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie voté par le parlement) est contraignant mais l’augmentation des prélèvements obligatoires serait difficilement supportable.
Comme on le voit, cela ne va pas sans conflits, sans incohérences et sans inquiétudes, ce qui est évoqué ci-après.
Dans un tout autre contexte, un enjeu majeur du XXIe siècle sera de surmonter l’effrayante inégalité dans l’accès aux soins sur l’ensemble de la planète. Un sixième de la population mondiale, celle des pays les plus riches, consomme cinq sixièmes des dépenses de soins. Cela montre l’ampleur du plan à réussir pour que les hommes qui naîtront au XXIe siècle aient des perspectives d’existence moins injustes. Ce plan qui relève principalement du développement économique du tiers- monde n’est pas abordé dans ce numéro. Mais, n’oublions pas de saluer avec reconnaissance les missions d’aide humanitaire internationale réalisées par le corps médical ou celles d’organismes comme l’Institut Pasteur qui contribuent à l’offre de soins aux populations démunies.
D’éminentes personnalités nous font l’honneur de s’exprimer dans les articles qu’elles ont écrits à l’intention de nos lecteurs. Observateurs et acteurs de tous les domaines de la santé, elles nous font bénéficier ici de leur compétence, de leur témoignage, et nous font partager leur passion et leur conviction. Nous leur exprimons, à notre tour, notre profonde gratitude pour leur contribution et notre soutien aux activités qu’elles exercent.
Pour terminer sur un autre vœu, souhaitons que ce numéro suscite des vocations – notamment polytechniciennes – pour les métiers du monde de la santé et pour la fabuleuse aventure de la recherche dans les sciences de la vie en ce nouveau siècle.