Editorial
Ce numéro spécial de La Jaune et la Rouge est le fruit d’un travail de plusieurs mois de la rédaction et de plusieurs auteurs. Au moment où la fièvre Internet se dissipe et où l’économie mondiale semble hésiter, Capital-risque, Capital risqué ! est une plongée dans le monde excitant du capital-risque au sens large : l’investissement en capital dans des sociétés non cotées, qu’elles soient de jeunes pousses (start-up) ou des sociétés établies depuis de nombreuses années.
Patrick de Giovanni (65), président sortant de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC) et directeur associé chez Apax Partners, nous brosse un tableau général de l’investissement en capital en France (capital investissement ou private equity pour les spécialistes). Sur les 5,3 Md€ investis en 2000, plus de 2 Md€ l’ont été dans de jeunes pousses, contre moins de 1 Md€ en 1998 ! Hughes Picard (61), chef d’unité INSEE, nous donne des chiffres clés sur la création d’entreprises en France afin de replacer le capital-risque dans un cadre plus large.
Un peu comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les créateurs d’entreprises ont, depuis des années, fait du capital-risque sans s’en rendre compte ! Les estimations qu’il donne des montants investis dans la création d’entreprises en France constituent une avant-première pour La Jaune et la Rouge. Si l’on rapporte les montants investis en 1998 par le capital-risque (moins d’1 Md€) au montant estimé d’investissement des créateurs d’entreprises pour cette même année (4 Md€), on tire un pourcentage de plus de 20 % ! On mesure à quel point le capital-risque a pesé sur la création d’entreprises en France ces dernières années.
Denis Lucquin (77), partenaire-associé chez Sofinnova, nous donne ensuite des éléments éclairants sur la jeune histoire du capital-risque en France, y compris dans ses phases de » turbulence « , et sur sa vision du métier. André Lévy-Lang (56), ancien président de Paribas, élargit le propos et évoque le lien entre innovation et développement économique. Plus que le financement de l’innovation via le capital-risque, c’est, selon lui, l’environnement du pays qui crée les conditions favorables à l’expression et la diffusion de l’innovation. À la suite de ces différents points de vue d’investisseurs chevronnés, nous donnons la parole à une jeune femme de l’autre côté de la barrière, du côté de la jeune pousse financée par des capital-risqueurs. Marguerite Deperrois (86) nous raconte de façon vivante les deux années d’existence de sa jeune société (1001 listes) fondée avec une amie sur une idée originale : la création d’un service personnalisé de listes de mariage inter-boutiques.
Après ces articles sur le capital-risque » pur » (financement d’entreprises en création), nous revenons vers les autres composantes de l’investissement en capital. Xavier Moreno (68), président d’Astorg-Partners (groupe Suez) et vice-président de l’AFIC, fort de sa longue expérience, nous livre une réflexion personnelle sur le métier de l’investisseur en capital, qui, à l’instar de tous les autres métiers, a également, selon lui, ses » clients » et ses » fournisseurs « . Éric Philippon (87), directeur associé chez CDC Equity Capital (CDC Ixis, groupe Caisse des Dépôts) nous donne une vision synthétique de la reprise d’entreprises avec effet de levier (Leverage Buy-Out ou LBO). Dans ce type d’opération, les cadres dirigeants et les salariés, soutenus par des investisseurs financiers, investissent une partie de leurs économies pour acquérir leur propre entreprise. On assiste d’ailleurs à une explosion de ce genre d’opérations depuis plusieurs années en France.
Pour finir, Éric Mookherjee (78), Crédit Lyonnais, nous donne une vision du capital-risque selon l’angle d’un gestionnaire d’actifs. En effet les grands gestionnaires de fonds (fonds de pension, assurances, institutions financières…) allouent une fraction des montants qu’ils gèrent, 5 à 10 % en général, à des placements dits » alternatifs » comme le capital-risque, ou le capital investissement au sens large. De ce fait, ils raisonnent en termes de rentabilité moyenne de ce type de placement mais également de dispersion autour de cette moyenne, ce qui est très exactement la mesure du risque associé au placement.
Ce que l’on peut retenir en conclusion, c’est que l’investissement en capital, comme toutes les autres formes de placement, peut être très rentable, mais il demeure risqué. Et réciproquement, le capital-risque est effectivement » risqué » mais présente un niveau de rentabilité attractif. La loi d’airain de la finance est ainsi vérifiée : risque et rentabilité sont indissociables.