Éditorial du président d’X-Environnement
Il aura finalement fallu trente-cinq ans pour que la question fondamentale posée par le rapport Meadows (souvent appelé « rapport du Club de Rome ») revienne au centre du débat politique dans notre pays. Avec le recul du temps, il est évident que ce travail a fait – et continue à faire – l’objet de multiples contresens, il est vrai favorisés en France par un choix particulièrement malheureux pour la traduction du titre1. En effet, que se demandaient les auteurs de ce travail ? Tout simplement si la « croissance économique durable » était possible : qui ne se pose la question aujourd’hui ?
La réponse de l’époque, fournie en pleines « Trente Glorieuses », avait assurément de quoi effrayer : l’étude affirmait que les flux physiques et l’économie ne seraient pas décorrélés assez rapidement pour éviter un effondrement économique massif au cours du XXIe siècle, sous le double effet du manque de ressources et de l’excès de pollution, et la chute serait d’autant plus dure que la croissance préexistante aurait été forte. L’argument majeur était simple : dès lors que l’économie se nourrit de la dépréciation du capital naturel et non de ses seuls intérêts, ce qui est de plus en plus le cas, la dégradation cumulative du capital naturel résultant de la croissance économique en cours finira « un jour » par interdire autre chose qu’une décroissance structurelle de l’activité d’homo industrialis.
Alpinistes au sommet du Mont Blanc, Haute-Savoie, France (45°50’ N – 6°53’ E).
Les Alpes, la plus importante chaîne montagneuse d’Europe, sont nées il y a environ 65 millions d’années. À 4 807 m, le Mont-Blanc est leur sommet le plus élevé. Connu au XVIe siècle sous le nom de « montagne Maudite », il représentera pour les habitants de la vallée un chaos de rochers et de glaciers stériles jusqu’en 1786, quand les alpinistes Jacques Balmat et Michel Paccard atteignent les premiers son sommet. Depuis, les ascensions se sont multipliées. À la motivation scientifique du siècle des Lumières, ont succédé la recherche de l’exploit, puis maintenant le tourisme.
Le sommet, équipé pour les randonneurs, attire près de 10 000 personnes chaque année. Première ressource économique locale, le site, fragile, se dégrade. Le tourisme, lorsqu’il devient une des premières sources de revenus d’une région, entraîne en effet une artificialisation générale des sites. Pour exemple, la généralisation des canons à neige, qui équipent 80 % des stations alpines perturbe l’écosystème et les paysages : il faut 4 000 m3 d’eau douce – stockés dans des lacs artificiels de retenue – pour produire un hectare de neige.
Trente-cinq ans de progrès scientifiques et techniques n’ont hélas pas rendu cette crainte caduque, bien au contraire : les limites de la planète et les échéances étant de mieux en mieux cernées, la question du « découplage » est donc plus que jamais brûlante d’actualité. Le récent rapport Stern, par exemple, indique que faute d’organiser délibérément la baisse de nos émissions de CO2, le principal danger n’est pas de faire hurler les opposants à l’économie de marché, mais bien de faire imploser cette dernière.
Les temps redeviennent peut-être propices à un débat approfondi : le « Grenelle de l’environnement », que le gouvernement organise dans quelques semaines, remet, finalement, le Club de Rome au goût du jour. Il s’agira de tracer les contours d’une « économie écologique », qui ne suppose pas une transgression des limites, tout en maintenant un relatif niveau de prospérité, au surplus transférable au reste de l’humanité qui le réclame légitimement. N’est-ce pas revenir dans la pratique sur la question des « limites de la croissance » ?
Pour susciter un maximum d’attention à cette question cruciale, nous avons reçu un renfort de talent : celui de Yann Arthus-Bertrand, qui nous a offert de quoi illustrer merveilleusement ce numéro, et que je remercie vivement pour avoir rendu possible cette première pour notre honorable revue. Et grâce soit aussi rendue à tous ceux qui ont permis la réalisation de ce numéro, bien sûr, soit en faisant la chasse à l’auteur2, soit en faisant partie de ces derniers, qui – oserais-je finir par un bon mot ? – n’ont pas ménagé leur peine pour essayer de nous en éviter plus tard. Merci infiniment à eux, et bonne lecture !
1. Le titre anglais The limits to growth a été traduit – on se demande bien pourquoi- en Halte à la croissance ? (qui au surplus est souvent cité en remplaçant le point d’interrogation par un point d’exclamation). 2. Alain Grandjean et Guillaume de Smedt (coordination), Marie-Véronique Gauduchon, Benoit Leguet, Franck Le Gall, Jérôme Perrin. |