Editorial : Experts et expertise judiciaire, le justiciable et le polytechnicien
Michel Brisac (47) est expert agréé par la Cour de cassation (hr) et près la cour administrative d’appel de Paris. Dans cet éditorial, il présente la structure des articles qui suivent, fondés sur la présentation du rôle de l’expert, de la manière dont il opère, des procédures qu’il doit suivre pour présenter les faits au juge et du rôle que peut jouer chacun dans cette démarche.
CHACUN DE NOUS, au cours de sa vie professionnelle ou privée, s’est trouvé à un moment ou à un autre confronté à un différend avec un interlocuteur, relation, fournisseur ou client, dont il estimait qu’il n’avait pas respecté un contrat ou avait commis une erreur ou une faute et qui lui avait porté préjudice.
Il a voulu se faire rendre justice et, bien souvent, tout a commencé par une expertise ordonnée par un juge. Il ignorait tout de ce dont il s’agissait.
Au mieux, il n’aurait pas été étonné d’apprendre que si le juge applique la loi, elle ne s’applique qu’à des objets bien définis, à des situations caractérisées par des éléments bien précis que ce juge a besoin de connaître et de comprendre et, que donc, dès l’instant où le litige porte sur un point technique qui échappe à sa compétence, il a recours à un spécialiste pour (je cite) » l’éclairer… sur une question de fait, qui requiert les lumières d’un technicien « , mais de qui s’agit-il ? Un » expert » ? Le professionnel, le citoyen qu’il est, voudrait comprendre son rôle et les limites de ses pouvoirs.
Notre camarade prend en même temps conscience de ce qu’il n’a jamais pensé, au moins pas en temps opportun, qu’il puisse y avoir là, pour lui et pour le service d’autrui, une belle activité, peut-être limitée à l’époque de sa vie professionnelle active, mais qui pourrait se développer largement ensuite. Elle correspond pourtant bien à la vocation de notre École et à notre formation : comprendre un nouveau problème, comprendre la manière dont il doit être appréhendé puis expliqué à autrui et contribuer à la tranquillité sociale et au service des justiciables et de la Justice.
Qui est donc cet expert ? Comment va-t-il opérer ? Si l’avis qu’il donnera au juge dans son rapport ne paraît pas pertinent à l’une ou l’autre partie au procès, cet avis pourra-t-il être contredit et comment ? Telles sont les questions fondamentales qu’il se pose et qui se posent à tout justiciable.
S’il ne veut pas se mettre entièrement entre les mains de son avocat, (dans le cas où il en a pris un, ce qui n’est pas forcément nécessaire à ce stade), il voudra bien sûr savoir » comment ça marche « . Il le voudra d’autant plus qu’on lui aura probablement dit que, bien souvent, c’est au stade de l’expertise que tout se joue !
En octobre 1988, dans le prolongement de l’activité du Groupe » X‑Expertise » qu’il avait créé et qu’il animait, notre grand ancien Stéphane Thouvenot (27), président d’honneur de la Fédération nationale des Compagnies d’experts judiciaires, disparu voici quatre ans maintenant, a suscité et largement participé à la rédaction d’un numéro spécial de La Jaune et la Rouge consacré aux » Professions juridiques » pour (je cite encore) : » … donner à tous nos camarades une information d’ensemble sérieuse sur ce que sont aujourd’hui les juridictions françaises, …, transmettre un message concret à savoir que les polytechniciens sont non seulement trop rares à remplir les fonctions judiciaires qui leur sont accessibles, mais aussi trop peu nombreux à mettre leur expérience au service de la justice, que ce soit en qualité d’expert judiciaire ou d’arbitre, à l’occasion de litiges nationaux ou internationaux. »
Après l’introduction sous sa signature, on trouvait, dans ce numéro, trois articles présentant l’organisation des juridictions de l’ordre judiciaire : Laferrère (33) et Domain (39) pour les tribunaux de commerce et Gardent (39) pour la juridiction administrative.
Stéphane Thouvenot concluait par un important article sur les » Experts et arbitres techniciens dans le marché commun « .
Dix-sept ans plus tard, le Groupe X‑Expertise, présidé actuellement par Claude Bulté (53), après l’avoir été par moi pendant une dizaine d’années, a souhaité poursuivre cette présentation en développant la partie consacrée à l’expertise et aux experts.
Si, en effet, une mise à jour des autres articles était envisageable pour tenir compte de l’évolution des textes et des pratiques des juridictions pendant ce laps de temps, nous avons estimé que le quatrième pouvait plus utilement être développé tant en ce qui concerne l’expertise » à la française » que dans les pays de l’Union européenne.
Les procédures y sont d’ailleurs assez proches des nôtres, ne serait-ce que du fait des impératifs dégagés par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (C.E.D.H., article 6) et, dans tous les cas, même si c’est selon des modalités légèrement différentes, l’expert est commis pour donner au juge les éléments techniques et de fait dont il a besoin sous une forme qui lui permette de les comprendre et de les qualifier.
Pour l’essentiel, donc, l’expert appréhende contradictoirement, c’est essentiel, et explique au juge les faits techniques en respectant des procédures opératoires parfaitement définies qui, seules, fondent en droit la valeur de son avis. On a pu dire que le technicien était l’expert du fait et le juge l’expert du droit.
Comment cela se passe-t-il ? Quel rôle pouvez-vous y jouer ? Tel est l’objet des articles que nous vous présentons ci-après.