Editorial : Experts et expertise judiciaire, le justiciable et le polytechnicien

Dossier : Juges - Experts - CitoyensMagazine N°610 Décembre 2005Par Michel BRISAC (47)

Michel Bri­sac (47) est expert agréé par la Cour de cas­sa­tion (hr) et près la cour admi­nis­tra­tive d’ap­pel de Paris. Dans cet édi­to­rial, il pré­sente la struc­ture des articles qui suivent, fon­dés sur la pré­sen­ta­tion du rôle de l’ex­pert, de la manière dont il opère, des pro­cé­dures qu’il doit suivre pour pré­sen­ter les faits au juge et du rôle que peut jouer cha­cun dans cette démarche.

CHACUN DE NOUS, au cours de sa vie pro­fes­sion­nelle ou pri­vée, s’est trou­vé à un moment ou à un autre confron­té à un dif­fé­rend avec un inter­lo­cu­teur, rela­tion, four­nis­seur ou client, dont il esti­mait qu’il n’a­vait pas res­pec­té un contrat ou avait com­mis une erreur ou une faute et qui lui avait por­té préjudice.

Il a vou­lu se faire rendre jus­tice et, bien sou­vent, tout a com­men­cé par une exper­tise ordon­née par un juge. Il igno­rait tout de ce dont il s’agissait.

Au mieux, il n’au­rait pas été éton­né d’ap­prendre que si le juge applique la loi, elle ne s’ap­plique qu’à des objets bien défi­nis, à des situa­tions carac­té­ri­sées par des élé­ments bien pré­cis que ce juge a besoin de connaître et de com­prendre et, que donc, dès l’ins­tant où le litige porte sur un point tech­nique qui échappe à sa com­pé­tence, il a recours à un spé­cia­liste pour (je cite) » l’é­clai­rer… sur une ques­tion de fait, qui requiert les lumières d’un tech­ni­cien « , mais de qui s’a­git-il ? Un » expert » ? Le pro­fes­sion­nel, le citoyen qu’il est, vou­drait com­prendre son rôle et les limites de ses pouvoirs.

Notre cama­rade prend en même temps conscience de ce qu’il n’a jamais pen­sé, au moins pas en temps oppor­tun, qu’il puisse y avoir là, pour lui et pour le ser­vice d’au­trui, une belle acti­vi­té, peut-être limi­tée à l’é­poque de sa vie pro­fes­sion­nelle active, mais qui pour­rait se déve­lop­per lar­ge­ment ensuite. Elle cor­res­pond pour­tant bien à la voca­tion de notre École et à notre for­ma­tion : com­prendre un nou­veau pro­blème, com­prendre la manière dont il doit être appré­hen­dé puis expli­qué à autrui et contri­buer à la tran­quilli­té sociale et au ser­vice des jus­ti­ciables et de la Justice.

Qui est donc cet expert ? Com­ment va-t-il opé­rer ? Si l’a­vis qu’il don­ne­ra au juge dans son rap­port ne paraît pas per­ti­nent à l’une ou l’autre par­tie au pro­cès, cet avis pour­ra-t-il être contre­dit et com­ment ? Telles sont les ques­tions fon­da­men­tales qu’il se pose et qui se posent à tout justiciable.

S’il ne veut pas se mettre entiè­re­ment entre les mains de son avo­cat, (dans le cas où il en a pris un, ce qui n’est pas for­cé­ment néces­saire à ce stade), il vou­dra bien sûr savoir » com­ment ça marche « . Il le vou­dra d’au­tant plus qu’on lui aura pro­ba­ble­ment dit que, bien sou­vent, c’est au stade de l’ex­per­tise que tout se joue !

En octobre 1988, dans le pro­lon­ge­ment de l’ac­ti­vi­té du Groupe » X‑Expertise » qu’il avait créé et qu’il ani­mait, notre grand ancien Sté­phane Thou­ve­not (27), pré­sident d’hon­neur de la Fédé­ra­tion natio­nale des Com­pa­gnies d’ex­perts judi­ciaires, dis­pa­ru voi­ci quatre ans main­te­nant, a sus­ci­té et lar­ge­ment par­ti­ci­pé à la rédac­tion d’un numé­ro spé­cial de La Jaune et la Rouge consa­cré aux » Pro­fes­sions juri­diques » pour (je cite encore) : » … don­ner à tous nos cama­rades une infor­ma­tion d’en­semble sérieuse sur ce que sont aujourd’­hui les juri­dic­tions fran­çaises, …, trans­mettre un mes­sage concret à savoir que les poly­tech­ni­ciens sont non seule­ment trop rares à rem­plir les fonc­tions judi­ciaires qui leur sont acces­sibles, mais aus­si trop peu nom­breux à mettre leur expé­rience au ser­vice de la jus­tice, que ce soit en qua­li­té d’ex­pert judi­ciaire ou d’ar­bitre, à l’oc­ca­sion de litiges natio­naux ou inter­na­tio­naux. »

Après l’in­tro­duc­tion sous sa signa­ture, on trou­vait, dans ce numé­ro, trois articles pré­sen­tant l’or­ga­ni­sa­tion des juri­dic­tions de l’ordre judi­ciaire : Lafer­rère (33) et Domain (39) pour les tri­bu­naux de com­merce et Gardent (39) pour la juri­dic­tion administrative.

Sté­phane Thou­ve­not concluait par un impor­tant article sur les » Experts et arbitres tech­ni­ciens dans le mar­ché commun « .

Dix-sept ans plus tard, le Groupe X‑Expertise, pré­si­dé actuel­le­ment par Claude Bul­té (53), après l’a­voir été par moi pen­dant une dizaine d’an­nées, a sou­hai­té pour­suivre cette pré­sen­ta­tion en déve­lop­pant la par­tie consa­crée à l’ex­per­tise et aux experts.

Si, en effet, une mise à jour des autres articles était envi­sa­geable pour tenir compte de l’é­vo­lu­tion des textes et des pra­tiques des juri­dic­tions pen­dant ce laps de temps, nous avons esti­mé que le qua­trième pou­vait plus uti­le­ment être déve­lop­pé tant en ce qui concerne l’ex­per­tise » à la fran­çaise » que dans les pays de l’U­nion européenne.

Les pro­cé­dures y sont d’ailleurs assez proches des nôtres, ne serait-ce que du fait des impé­ra­tifs déga­gés par la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme et des liber­tés fon­da­men­tales (C.E.D.H., article 6) et, dans tous les cas, même si c’est selon des moda­li­tés légè­re­ment dif­fé­rentes, l’ex­pert est com­mis pour don­ner au juge les élé­ments tech­niques et de fait dont il a besoin sous une forme qui lui per­mette de les com­prendre et de les qualifier.

Pour l’es­sen­tiel, donc, l’ex­pert appré­hende contra­dic­toi­re­ment, c’est essen­tiel, et explique au juge les faits tech­niques en res­pec­tant des pro­cé­dures opé­ra­toires par­fai­te­ment défi­nies qui, seules, fondent en droit la valeur de son avis. On a pu dire que le tech­ni­cien était l’ex­pert du fait et le juge l’ex­pert du droit.

Com­ment cela se passe-t-il ? Quel rôle pou­vez-vous y jouer ? Tel est l’ob­jet des articles que nous vous pré­sen­tons ci-après.

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