Éditorial (numéro 582, la confiance électronique)
Par les temps de conjoncture difficile, le manque de confiance est invoqué comme l’explication majeure des difficultés économiques, politiques ou sociales. Les investisseurs n’ont plus confiance dans les marchés. Les épargnants n’ont plus confiance dans les chefs d’entreprises. La confiance des ménages est en chute donc ceux-ci ne consomment plus. Les entreprises n’ont plus confiance donc n’investissent plus.
Dans une perspective plus philosophique et historique, Alain Peyrefitte dans La société de confiance explique l’avènement de l’économie capitaliste moderne et le décollage associé par l’établissement de la confiance. À côté des facteurs travail et capital il identifie un « tiers facteur immatériel […] qui affecte d’un signe plus ou d’un signe moins les deux facteurs classiques traditionnels ». Dans cette œuvre éthologique, il montre la simultanéité de l’émergence de la confiance dans l’initiative individuelle tout d’abord puis dans l’environnement économique au sens large, dans la « société ouverte » enfin, et le décollage économique. À l’inverse il observe le défaut de confiance dans les pays qui ne se développent pas. La corrélation entre taux de corruption et indice de développement est à cet égard très parlante.
De manière analogue, il est désormais clair que la rapidité et la pérennité du décollage de l’économie immatérielle sont conditionnées par l’émergence d’une confiance forte de ses acteurs. Cette confiance recouvre des attentes très variées et parfois contradictoires : capacité à identifier ses interlocuteurs mais aussi capacité à être anonyme, capacité à conserver des preuves des transactions, mais aussi garantie de ne pas être « tracé ».
La confiance n’est ni une foi aveugle bâtie seulement sur un marketing efficace, ni une approche purement technique reposant sur des techniques cryptographiques complexes. La confiance est un véritable écosystème composé d’acteurs disposant de marques inspirant une confiance plus ou moins forte, de cadres juridiques, de solutions techniques pertinentes et proportionnées, d’organisations humaines (d’entreprises ou d’administrations) mettant en œuvre ces systèmes. Cet écosystème est en perpétuelle adaptation pour répondre à son propre cycle de vie et ou à des chocs extérieurs (le 11 septembre est l’exemple le plus symptomatique qui a créé une demande croissante dans la sécurité des systèmes d’information et une vigilance accrue dans le blanchiment par voie électronique).
Ce numéro de La Jaune et la Rouge a pour double objectif :
- de mettre en évidence les apports de la confiance électronique dans une palette très large de secteurs de la vie économique et les enjeux qui leur sont propres ;
- d’analyser l’alchimie spécifique qui dans chacun de ces cas permet de bâtir cette confiance.
Le monde bancaire a sans aucun doute eu un rôle précurseur. La généralisation de la carte bancaire sécurisée a permis de battre en brèche le monopole de la confiance de la monnaie papier (dite fiduciaire – en latin fiducia signifie confiance) : nous avons tous une confiance très forte dans cet outil que nous utilisons désormais quotidiennement.
Notons au passage que la confiance électronique ne passe pas nécessairement par Internet mais peut faciliter une transaction dans une situation de « contact physique » tel qu’un paiement dans un commerce avec sa carte bancaire, ou une consultation avec les cartes Vitale et de professionnel de santé. L’établissement de la confiance reste un enjeu stratégique pour les banques et est au cœur de leur métier. Les acteurs publics ont très largement saisi les enjeux : enjeux régaliens de sécurité, enjeux de productivité interne, ou enjeux de développement économique. Ils ont pris des initiatives fortes : que ce soit au niveau européen pour l’établissement de cadres adéquats ou au niveau national avec de nombreuses initiatives opérationnelles qui répondent à des besoins des ministères (tels que le ministère des Finances) ou des organismes sociaux. Ces initiatives ont un effet d’entraînement important. Les fournisseurs de services (tels que les opérateurs de télécommunication), enfin, intègrent ces éléments dans leur stratégie pour pérenniser puis élargir leurs sources de revenus.
Rares sont les secteurs qui ne sont pas intéressés par ces problématiques. La communauté polytechnicienne, elle aussi, est très largement concernée par ce sujet : soit en tant qu’utilisatrice, soit en tant que partie prenante à la mise en place de solutions (depuis la R & D en cryptographie jusqu’à la vente de services opérationnels). Ce numéro donnera un aperçu le plus riche possible du sujet ou complétera les échanges qui ont déjà lieu au sein de la communauté comme, par exemple, au sein du groupe X‑e-confiance.
Je remercie chaleureusement les éminentes personnalités qui ont bien voulu prêter leur concours à ce numéro et en particulier M. Francis Mer, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, M. Michel Pébereau, président-directeur général de BNP Paribas, et M. Jean-Paul Bailly, président de La Poste.