Éduquer, partager, mais savoir utiliser la force
UN CONSTAT
UN CONSTAT
(…) Nos forces armées représentent ensemble un grand corps dont le pays peut être fier. Ses personnels sont fidèles, disciplinés, dévoués et compétents. Ils ont fait et font chaque jour des efforts considérables pour s’adapter aux circonstances extérieures (multiplicité des interventions lointaines) et intérieures (suppression de la conscription). Les opérations extérieures (OPEX), souvent menées aux côtés d’alliés, montrent que nos unités soutiennent avantageusement la comparaison avec leurs homologues étrangères. Elles sont très sollicitées et opèrent en permanence à flux très tendu. Les mêmes forces sont engagées dans plusieurs cas de figure : service public, sécurité et actions proprement militaires, mais alors selon différentes configurations.
Des contraintes budgétaires
(…) Notre grande ambition nationale des années soixante nous fait conserver un arsenal nucléaire à deux composantes, sous-marine et aérienne. Notre équipement vieillit et les matériels majeurs des trois armées sont à remplacer en même temps. Notre infrastructure reste considérable et répartie sur tout le territoire métropolitain et aux DOM-TOM, donc coûteuse à entretenir.
Des problèmes humains sont nés du passage à l’armée de métier
Les contraintes budgétaires sont de plus en plus lourdes. Le matériel coûte plus cher à chaque génération. L’étalement dans le temps de la réalisation des programmes amène à maintenir simultanément différents types de matériels.
Des contraintes communautaires
(…) Autrefois prérogative régalienne, la Défense revêt maintenant un certain caractère communautaire, sous l’angle notamment de la surveillance des frontières, sous-traitée depuis les accords de Schengen aux autres membres de l’Union européenne. Cela dit, presque tout reste à faire ou à harmoniser en matière de Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et la coopération européenne en matière de constructions de matériels militaires est encore limitée.
Des contraintes humaines
(…) De nouveaux problèmes humains sont nés de l’évolution de la société et du passage à l’armée de métier : féminisation à 12 % ; difficulté, dans la conjoncture démographique actuelle, de recruter et de fidéliser les meilleurs engagés après leur premier contrat ; nécessité de reconvertir les autres avant leur retour à la vie civile ; alignement des personnels militaires hors opérations sur les horaires de la fonction publique…
Une révolution culturelle
(…) Depuis quelques années, on observe une relative » démilitarisation » des armées, combinée avec l’apparition en leur sein d’un nouvel état d’esprit largement hérité de la société civile. Des organismes comme le service hydrographique et océanographique de la marine, le service historique et le service social sont devenus civils. Les armées ont adopté les classiques méthodes de management civiles avec planification et budgétisation par objectifs, recherche systématique de rendement accru, appel généralisé à des audits civils et à la simulation. Sous tous ces aspects, il s’agit d’une importante » révolution culturelle » qui a ses limites, notamment en matière de productivité et d’économies, sachant que, par définition, les forces armées ne produisent rien, sauf de la sécurité, et coûtent cher, comme l’assurance.
Le poids des OPEX
(…) Souvent lointaines et menées dans des régions inhospitalières, les opérations extérieures (OPEX) sont étroitement tributaires du soutien logistique et nécessitent toujours une étroite coopération « air-terre » (Tchad, Afghanistan), et souvent « air-terre-mer » (Côte‑d’Ivoire, Liban). Elles réclament des exécutants sur le terrain une vigilance de tous les instants et la capacité de passer instantanément, comme expérimenté en Côte‑d’Ivoire, de la posture « garde de points sensibles et patrouilles » à la posture « maintien de l’ordre » contre une foule déchaînée, voire à la posture « combat » contre des éléments hostiles rusés, insaisissables et disposant d’une bonne puissance de feu.
Coûteuses sur le plan financier, ces interventions sont donc éprouvantes pour les personnels et les familles, d’autant plus qu’elles reviennent fréquemment. Elles réclament donc des relèves d’unités fréquentes, en général tous les quatre mois. Ce « turn over » a d’importants effets sur le plan social et psychologique.
DES QUESTIONS
Quelle dissuasion nucléaire ?
(…) La France a conservé une grande ambition nationale qui se traduisait jusqu’ici par la volonté de disposer, comme les États-Unis et la Russie, de toute la gamme des moyens militaires : nucléaires, aéroterrestres, aéromaritimes, arsenaux, centre de recherche et d’essais, assortis des systèmes de renseignement, de protection NBC, de logistique et de transmissions adaptés. (…) Si l’on ne consacre que moins de 2 % du PNB (1,7 % actuellement) à la Défense, l’on va se trouver devant le choix drastique suivant : renoncer délibérément à certaines capacités (les Britanniques, à plus de 2 % du PNB, ont renoncé à la composante nucléaire aérienne et les Allemands, dont le PNB est double du nôtre, n’ont pas d’armes nucléaires), ou réduire encore le format des armées, au risque de perdre toute efficacité et toute crédibilité.
Renoncer délibérément à certaines capacités ou réduire encore le format des armées
(…) La maîtrise de l’atome nous a valu, sur le plan politique, de » pouvoir jouer dans la cour des grands » et nous assure une appréciable indépendance énergétique. Mais faut-il garder, dix-huit ans après l’implosion de l’URSS, un SNLE en plongée et nos avions en alerte 365 jours par an ?
Quelles interventions extérieures ?
(…) Les OPEX coûtent cher et sont très astreignantes pour un résultat bien décevant. L’interposition militaire entre des factions qui se déchirent depuis des lustres est une position très difficile à tenir. (…) Je souhaite donc qu’on y regarde à deux fois avant d’envoyer nos troupes en interposition et qu’on les autorise clairement à ouvrir le feu quand elles sont en danger ou ridiculisées. (…) En termes d’action sur la paix du monde et d’influence de notre pays dans le monde, je crois enfin qu’il vaut mieux essayer d’agir par en haut, en contribuant à former les élites du tiers-monde et en plaçant nos conseillers avisés aux bons endroits, que, par le bas, en continuant à envoyer nos bons soldats sous les tropiques pour escorter des sacs de riz et monter la garde dans d’illusoires » check points » de brousse où ils sont nargués par des gamins drogués et surarmés…
MES VŒUX
Éduquer, informer, partager les richesses
(…) Je crois que la paix est aujourd’hui plus fragile que jamais, menacée notamment par un terrorisme multiforme qui excelle à recruter ses acteurs dans la jeunesse innombrable des pays pauvres et à les conditionner. Face à cette menace, la défense et la riposte ne peuvent être que globales. (…) Sur un plan général, il s’agit d’abord de désamorcer la menace en tarissant le vivier des frustrés qui deviennent des terroristes. Donner à chaque être humain, chaque matin, de quoi manger mais surtout lui offrir des perspectives de vie décente. Assurer une bonne gouvernance, notamment dans les pays pauvres. Éduquer, informer, partager les richesses.
Savoir utiliser la force
(…) L’histoire enseigne malheureusement que le droit est inséparable de la force. Il faut donc que continue à se préparer, dans les pays civilisés, et notamment dans le nôtre, un certain contingent d’hommes forts, au moral et au physique, respectueux du droit mais osant et sachant utiliser la violence pour le bon motif, disciplinés, honnêtes et même généreux, suffisamment ouverts et équilibrés, mais réalistes pour s’adapter à des situations nouvelles, souvent humainement horribles, et contribuer à les dénouer, fût-ce au péril de leurs vies. Pour être utiles, ces hommes-là doivent garder, même sous le casque bleu, une mentalité de guerriers et ne pas devenir les » supplétifs des ONG « . (…) La patrie doit en échange leur assurer la considération et même l’affection et la confiance dont ils ont besoin pour forger leur moral, et les moyens de remplir leur mission.