Éduquer, partager, mais savoir utiliser la force

Dossier : ExpressionsMagazine N°633 Mars 2008
Par Jean DELAUNAY

UN CONSTAT

UN CONSTAT

(…) Nos forces armées repré­sentent ensemble un grand corps dont le pays peut être fier. Ses per­son­nels sont fidèles, dis­ci­pli­nés, dévoués et com­pé­tents. Ils ont fait et font chaque jour des efforts consi­dé­rables pour s’a­dap­ter aux cir­cons­tances exté­rieures (mul­ti­pli­ci­té des inter­ven­tions loin­taines) et inté­rieures (sup­pres­sion de la conscrip­tion). Les opé­ra­tions exté­rieures (OPEX), sou­vent menées aux côtés d’al­liés, montrent que nos uni­tés sou­tiennent avan­ta­geu­se­ment la com­pa­rai­son avec leurs homo­logues étran­gères. Elles sont très sol­li­ci­tées et opèrent en per­ma­nence à flux très ten­du. Les mêmes forces sont enga­gées dans plu­sieurs cas de figure : ser­vice public, sécu­ri­té et actions pro­pre­ment mili­taires, mais alors selon dif­fé­rentes configurations. 

Des contraintes budgétaires

(…) Notre grande ambi­tion natio­nale des années soixante nous fait conser­ver un arse­nal nucléaire à deux com­po­santes, sous-marine et aérienne. Notre équi­pe­ment vieillit et les maté­riels majeurs des trois armées sont à rem­pla­cer en même temps. Notre infra­struc­ture reste consi­dé­rable et répar­tie sur tout le ter­ri­toire métro­po­li­tain et aux DOM-TOM, donc coû­teuse à entretenir. 

Des pro­blèmes humains sont nés du pas­sage à l’armée de métier 

Les contraintes bud­gé­taires sont de plus en plus lourdes. Le maté­riel coûte plus cher à chaque géné­ra­tion. L’é­ta­le­ment dans le temps de la réa­li­sa­tion des pro­grammes amène à main­te­nir simul­ta­né­ment dif­fé­rents types de matériels. 

Des contraintes communautaires

(…) Autre­fois pré­ro­ga­tive réga­lienne, la Défense revêt main­te­nant un cer­tain carac­tère com­mu­nau­taire, sous l’angle notam­ment de la sur­veillance des fron­tières, sous-trai­tée depuis les accords de Schen­gen aux autres membres de l’U­nion euro­péenne. Cela dit, presque tout reste à faire ou à har­mo­ni­ser en matière de Poli­tique euro­péenne de sécu­ri­té et de défense (PESD) et la coopé­ra­tion euro­péenne en matière de construc­tions de maté­riels mili­taires est encore limitée. 

Des contraintes humaines

(…) De nou­veaux pro­blèmes humains sont nés de l’é­vo­lu­tion de la socié­té et du pas­sage à l’ar­mée de métier : fémi­ni­sa­tion à 12 % ; dif­fi­cul­té, dans la conjonc­ture démo­gra­phique actuelle, de recru­ter et de fidé­li­ser les meilleurs enga­gés après leur pre­mier contrat ; néces­si­té de recon­ver­tir les autres avant leur retour à la vie civile ; ali­gne­ment des per­son­nels mili­taires hors opé­ra­tions sur les horaires de la fonc­tion publique… 

Une révolution culturelle

(…) Depuis quelques années, on observe une rela­tive » démi­li­ta­ri­sa­tion » des armées, com­bi­née avec l’ap­pa­ri­tion en leur sein d’un nou­vel état d’es­prit lar­ge­ment héri­té de la socié­té civile. Des orga­nismes comme le ser­vice hydro­gra­phique et océa­no­gra­phique de la marine, le ser­vice his­to­rique et le ser­vice social sont deve­nus civils. Les armées ont adop­té les clas­siques méthodes de mana­ge­ment civiles avec pla­ni­fi­ca­tion et bud­gé­ti­sa­tion par objec­tifs, recherche sys­té­ma­tique de ren­de­ment accru, appel géné­ra­li­sé à des audits civils et à la simu­la­tion. Sous tous ces aspects, il s’a­git d’une impor­tante » révo­lu­tion cultu­relle » qui a ses limites, notam­ment en matière de pro­duc­ti­vi­té et d’é­co­no­mies, sachant que, par défi­ni­tion, les forces armées ne pro­duisent rien, sauf de la sécu­ri­té, et coûtent cher, comme l’assurance. 

Le poids des OPEX
(…) Sou­vent loin­taines et menées dans des régions inhos­pi­ta­lières, les opé­ra­tions exté­rieures (OPEX) sont étroi­te­ment tri­bu­taires du sou­tien logis­tique et néces­sitent tou­jours une étroite coopé­ra­tion « air-terre » (Tchad, Afgha­nis­tan), et sou­vent « air-terre-mer » (Côte‑d’Ivoire, Liban). Elles réclament des exé­cu­tants sur le ter­rain une vigi­lance de tous les ins­tants et la capa­ci­té de pas­ser ins­tan­ta­né­ment, comme expé­ri­men­té en Côte‑d’Ivoire, de la pos­ture « garde de points sen­sibles et patrouilles » à la pos­ture « main­tien de l’ordre » contre une foule déchaî­née, voire à la pos­ture « com­bat » contre des élé­ments hos­tiles rusés, insai­sis­sables et dis­po­sant d’une bonne puis­sance de feu.
Coû­teuses sur le plan finan­cier, ces inter­ven­tions sont donc éprou­vantes pour les per­son­nels et les familles, d’autant plus qu’elles reviennent fré­quem­ment. Elles réclament donc des relèves d’unités fré­quentes, en géné­ral tous les quatre mois. Ce « turn over » a d’importants effets sur le plan social et psychologique. 

DES QUESTIONS

Quelle dissuasion nucléaire ?

(…) La France a conser­vé une grande ambi­tion natio­nale qui se tra­dui­sait jus­qu’i­ci par la volon­té de dis­po­ser, comme les États-Unis et la Rus­sie, de toute la gamme des moyens mili­taires : nucléaires, aéro­ter­restres, aéro­ma­ri­times, arse­naux, centre de recherche et d’es­sais, assor­tis des sys­tèmes de ren­sei­gne­ment, de pro­tec­tion NBC, de logis­tique et de trans­mis­sions adap­tés. (…) Si l’on ne consacre que moins de 2 % du PNB (1,7 % actuel­le­ment) à la Défense, l’on va se trou­ver devant le choix dras­tique sui­vant : renon­cer déli­bé­ré­ment à cer­taines capa­ci­tés (les Bri­tan­niques, à plus de 2 % du PNB, ont renon­cé à la com­po­sante nucléaire aérienne et les Alle­mands, dont le PNB est double du nôtre, n’ont pas d’armes nucléaires), ou réduire encore le for­mat des armées, au risque de perdre toute effi­ca­ci­té et toute crédibilité. 

Renon­cer déli­bé­ré­ment à cer­taines capa­ci­tés ou réduire encore le for­mat des armées 

(…) La maî­trise de l’a­tome nous a valu, sur le plan poli­tique, de » pou­voir jouer dans la cour des grands » et nous assure une appré­ciable indé­pen­dance éner­gé­tique. Mais faut-il gar­der, dix-huit ans après l’im­plo­sion de l’URSS, un SNLE en plon­gée et nos avions en alerte 365 jours par an ? 

Quelles interventions extérieures ?

(…) Les OPEX coûtent cher et sont très astrei­gnantes pour un résul­tat bien déce­vant. L’in­ter­po­si­tion mili­taire entre des fac­tions qui se déchirent depuis des lustres est une posi­tion très dif­fi­cile à tenir. (…) Je sou­haite donc qu’on y regarde à deux fois avant d’en­voyer nos troupes en inter­po­si­tion et qu’on les auto­rise clai­re­ment à ouvrir le feu quand elles sont en dan­ger ou ridi­cu­li­sées. (…) En termes d’ac­tion sur la paix du monde et d’in­fluence de notre pays dans le monde, je crois enfin qu’il vaut mieux essayer d’a­gir par en haut, en contri­buant à for­mer les élites du tiers-monde et en pla­çant nos conseillers avi­sés aux bons endroits, que, par le bas, en conti­nuant à envoyer nos bons sol­dats sous les tro­piques pour escor­ter des sacs de riz et mon­ter la garde dans d’illu­soires » check points » de brousse où ils sont nar­gués par des gamins dro­gués et surarmés… 

MES VŒUX

Éduquer, informer, partager les richesses

(…) Je crois que la paix est aujourd’­hui plus fra­gile que jamais, mena­cée notam­ment par un ter­ro­risme mul­ti­forme qui excelle à recru­ter ses acteurs dans la jeu­nesse innom­brable des pays pauvres et à les condi­tion­ner. Face à cette menace, la défense et la riposte ne peuvent être que glo­bales. (…) Sur un plan géné­ral, il s’a­git d’a­bord de désa­mor­cer la menace en taris­sant le vivier des frus­trés qui deviennent des ter­ro­ristes. Don­ner à chaque être humain, chaque matin, de quoi man­ger mais sur­tout lui offrir des pers­pec­tives de vie décente. Assu­rer une bonne gou­ver­nance, notam­ment dans les pays pauvres. Édu­quer, infor­mer, par­ta­ger les richesses. 

Savoir utiliser la force

(…) L’his­toire enseigne mal­heu­reu­se­ment que le droit est insé­pa­rable de la force. Il faut donc que conti­nue à se pré­pa­rer, dans les pays civi­li­sés, et notam­ment dans le nôtre, un cer­tain contin­gent d’hommes forts, au moral et au phy­sique, res­pec­tueux du droit mais osant et sachant uti­li­ser la vio­lence pour le bon motif, dis­ci­pli­nés, hon­nêtes et même géné­reux, suf­fi­sam­ment ouverts et équi­li­brés, mais réa­listes pour s’a­dap­ter à des situa­tions nou­velles, sou­vent humai­ne­ment hor­ribles, et contri­buer à les dénouer, fût-ce au péril de leurs vies. Pour être utiles, ces hommes-là doivent gar­der, même sous le casque bleu, une men­ta­li­té de guer­riers et ne pas deve­nir les » sup­plé­tifs des ONG « . (…) La patrie doit en échange leur assu­rer la consi­dé­ra­tion et même l’af­fec­tion et la confiance dont ils ont besoin pour for­ger leur moral, et les moyens de rem­plir leur mission.

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