Effet de serre : Les marges de manœuvre

Dossier : L'effet de serreMagazine N°555 Mai 2000
Par Benjamin DESSUS

Tout d’a­bord, c’est bien sur cette période de temps d’une petite cen­taine d’an­nées que se concentrent nos pro­blèmes puisque c’est dans ce laps de temps que les démo­graphes nous annoncent la matu­ri­té démo­gra­phique de la pla­nète vers 8 ou 9 mil­liards d’ha­bi­tants pour les uns, vers 11 ou 12 pour les autres.

Dans tous les cas on va voir arri­ver à cette échéance 3 à 5 mil­liards d’être humains sup­plé­men­taires sur notre pla­nète, prin­ci­pa­le­ment dans les pays actuel­le­ment en déve­lop­pe­ment. Ils habi­te­ront pour une grande part des villes qui ne sont pas encore construites. C’est donc au cumul de quatre phé­no­mènes qu’on se trouve confron­té dans les décen­nies qui viennent :

  • la crois­sance démo­gra­phique des pays du Sud
  • l’ac­cès des habi­tants de ces pays au développement
  • l’ur­ba­ni­sa­tion crois­sante pro­bable du tiers monde avec les modes de consom­ma­tion correspondants
  • la pour­suite du mode d’un déve­lop­pe­ment plus ou moins inten­sif en biens et ser­vices maté­riels des pays du Nord (avec en par­ti­cu­lier le déra­page poten­tiel des transports)

On sait que les sys­tèmes éner­gé­tiques, qui sont indis­pen­sables au déve­lop­pe­ment, sont et res­te­ront sans doute pour le siècle pro­chain le pre­mier pour­voyeur d’é­mis­sions de gaz à effet de serre (GES). C’est le pre­mier sec­teur res­pon­sable des émis­sions de CO2 qui sont consub­stan­tielles à la com­bus­tion du car­bone, alors que les autres gaz à effet de serre (CH4, N2O etc) ne pré­sentent pas (ou en tous cas à des degrés bien moindres) ce carac­tère d’inéluctabilité.

C’est pour cette rai­son que nous nous inté­res­sons uni­que­ment ici aux contraintes et aux marges de manœuvre dont nous pou­vons dis­po­ser dans la construc­tion ou l’ex­ten­sion des sys­tèmes éner­gé­tiques, en consi­dé­rant que les ensei­gne­ments tirés de l’a­na­lyse pour­ront être lar­ge­ment extra­po­lés aux sec­teurs plus mar­gi­naux qui contri­buent au réchauf­fe­ment climatique.

Le réseau des contraintes globales d’environnement

L’ac­tuelle foca­li­sa­tion de l’o­pi­nion inter­na­tio­nale sur les pro­blèmes du cli­mat, même si elle appa­raît comme par­fai­te­ment légi­time, ne doit pas faire oublier d’autres contraintes envi­ron­ne­men­tales majeures à carac­tère glo­bal qui viennent très sérieu­se­ment bor­ner les marges de manœuvre du domaine de l’énergie.

Les risques de raré­fac­tion et d’é­pui­se­ment des res­sources fos­siles, les risques asso­ciés au nucléaire civil (acci­dents, pro­li­fé­ra­tion, déchets hau­te­ment radio­ac­tifs à longue durée de vie), les risques de concur­rence d’u­sage des sols entre les besoins liés à la pro­duc­tion ali­men­taire et ceux liés à la pro­duc­tion d’éner­gie, viennent com­plé­ter le réseau de contraintes aux­quels les sys­tèmes éner­gé­tiques sont et res­te­ront dura­ble­ment sou­mis. Il faut en effet gar­der à l’es­prit que ces risques ne sont pas indé­pen­dants et que la dimi­nu­tion de l’un peut avoir pour consé­quence de ren­for­cer l’un ou plu­sieurs des autres.

FIGURE 1 — Deux types de scé­na­rios contras­tés en 2050 : « les scé­na­rios d’a­bon­dance et de maî­trise de l’éner­gie pour le développement »
(en mil­liards de tep ou Gtep)4

C’est ain­si par exemple que pour lut­ter contre le réchauf­fe­ment du cli­mat, on peut envi­sa­ger de réduire le recours aux éner­gies fos­siles. Ce fai­sant on repousse l’é­chéance de l’é­pui­se­ment des res­sources fos­siles en même temps qu’on ralen­tit les émis­sions de gaz à effet de serre res­pon­sables du réchauf­fe­ment. Mais si, pour faire face aux besoins, on aug­mente consi­dé­ra­ble­ment le recours à l’éner­gie nucléaire ou aux éner­gies renou­ve­lables, on aug­mente d’au­tant les risques qui leur sont associés.

Bien enten­du, s’a­joutent à ces contraintes glo­bales des contraintes d’en­vi­ron­ne­ment local, mais qui ne pré­sentent géné­ra­le­ment pas le même carac­tère d’ir­ré­ver­si­bi­li­té tem­po­relle. On pense par exemple aux pol­lu­tions atmo­sphé­riques locales des trans­ports qui s’at­té­nuent très vite avec l’ar­rêt du tra­fic et sur les­quelles le pro­grès tech­nique per­met de pro­gres­ser par sauts d’un ordre de gran­deur (par exemple avec le piège à par­ti­cule pour le die­sel ou le pot cata­ly­tique pour l’essence).

C’est donc à l’aune de ces quatre grands risques de nature glo­bale qu’il me semble per­ti­nent de jau­ger les marges de manœuvre dont dis­pose l’hu­ma­ni­té pour se déve­lop­per sans obé­rer gra­ve­ment et irré­ver­si­ble­ment ce déve­lop­pe­ment par son acti­vi­té même.

Les images mondiales dont nous disposons pour 2050

Quand on observe les scé­na­rios pros­pec­tifs que nous pro­posent les éner­gé­ti­ciens, on s’a­per­çoit très vite qu’on peut les clas­ser en deux grandes catégories :

  • Les pre­miers pro­posent une vision de l’a­ve­nir construite sur un modèle pro­duc­ti­viste de  » déve­lop­pe­ment par l’a­bon­dance éner­gé­tique » avec des options contras­tées de par­ti­ci­pa­tion des dif­fé­rentes sources pri­maires au bilan mondial.
    Ces scé­na­rios admettent les risques comme iné­luc­tables (« on ne fait pas d’o­me­lette sans cas­ser d’œufs »), les cumulent à des niveaux éle­vés et se dif­fé­ren­cient par la dimi­nu­tion ou l’aug­men­ta­tion d’un des risques par rap­port aux trois autres. Pour ne pas ris­quer d’a­voir trop chaud (effet de serre) dit l’un accep­tons le risque nucléaire ! Non, répond un autre, je pré­fère avoir trop chaud et ne pas lais­ser le pro­blème des déchets nucléaires à mes petits enfants.
    FIGURE 2 — Cumul des dif­fé­rentes contri­bu­tions à l’ap­pro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique mon­dial des dif­fé­rents scé­na­rios et des émis­sions de car­bone de 1990 à 2050
    1990 ‑2050 A1 A2 A3 C1 C2 NOÉ
    Cumul éner­gie Gtep​ 970 972 966 692 692 608
    Cumul nucléaire Gtep 78 42 79,5 36 58,5 25,5
    Cumuls renou­ve­lables Gtep 182 188 233 180 168 183
    Cumul charbon124 Gtep 201 279 153 125 125 124
    Cumul pétrole Gtep 306 254 240 177 176 124
    Cumul gaz Gtep 204 210 258 177 176 153
    Cumul fos­sile Gtep 711 743 651 479 477 401
    Cumul car­bone Giga­tonnes 568 608 500 373 371 315
    On a indi­qué en rouge gras les valeurs maxi­males des cumuls pour chaque res­source et en bleu gras les valeurs minimales
  • Les seconds pro­posent un « déve­lop­pe­ment par la sobrié­té éner­gé­tique » qui tente de rééqui­li­brer les poli­tiques éner­gé­tiques en accor­dant une prio­ri­té forte à la maî­trise de l’é­vo­lu­tion de la demande d’éner­gie. Par­tant d’une ana­lyse détaillée des besoins finaux d’éner­gie du déve­lop­pe­ment, ils affichent la volon­té de repous­ser simul­ta­né­ment les prin­ci­paux risques dans le temps et de favo­ri­ser un déve­lop­pe­ment des pays du Sud en comp­tant sur la moindre absorp­tion de capi­taux pour le déve­lop­pe­ment des sys­tèmes énergétiques.
    Ils sup­posent une pro­fonde révo­lu­tion cultu­relle puis­qu’ils ambi­tionnent une forte décon­nexion du lien crois­sance éco­no­mique / consom­ma­tion éner­gé­tique. Ils impliquent en par­ti­cu­lier un élar­gis­se­ment de la sphère d’in­ter­ven­tion de la poli­tique éner­gé­tique à l’en­semble des sec­teurs d’ac­ti­vi­té struc­tu­rant la demande (trans­ports, construc­tion, urba­nisme, biens d’é­qui­pe­ments, etc.). En effet, les déter­mi­nants prin­ci­paux de la demande éner­gé­tique sont sou­vent étroi­te­ment et dura­ble­ment liés aux grandes infra­struc­tures d’ur­ba­nisme, de trans­port, et des dif­fé­rents réseaux de dis­tri­bu­tion de fluides (éner­gie, eau, etc.). C’est un sujet sur lequel on revien­dra plus loin.

Pour illus­trer ces pro­pos on peut com­pa­rer 7 des scé­na­rios éner­gé­tiques mon­diaux à long terme pro­duits depuis le début des années 90, d’une part par l’IIA­SA1 pour le compte du Conseil mon­dial de l’éner­gie et par le CNRS d’autre part (scé­na­rio NOE)2.

Ces scé­na­rios explorent l’a­ve­nir éner­gé­tique du monde en décou­pant le monde en 11 régions géo­gra­phiques et en adop­tant des pers­pec­tives démo­gra­phiques com­munes ( 8 mil­liards d’ha­bi­tants en 2020, 10 mil­liards en 2050).

Par contre ils affichent des taux de crois­sance légè­re­ment dif­fé­rents, mais sur­tout décrivent des modes de déve­lop­pe­ment très dif­fé­rents du point de vue de l’in­ten­si­té éner­gé­tique3 de leur crois­sance économique.

La figure 1 en donne les résul­tats prin­ci­paux en 2050.

Il appa­raît très clai­re­ment que c’est bien plus par le volume d’éner­gie que par l’ap­pel plus ou moins grand à tel ou tel type de res­sources éner­gé­tiques que se dif­fé­ren­cient les scé­na­rios. Alors que les scé­na­rios abon­dants sup­posent la mobi­li­sa­tion annuelle de l’ordre de 25 Gtep dès 2050 (3 fois plus qu’en 2000), les scé­na­rios sobres se contentent de 12 à 15 Gtep à la même date. Cin­quante ans plus tard, en 2100, la diver­gence entre les scé­na­rios dépasse un fac­teur 5.

FIGURE 3 — Cumul 1990 – 2050
GTEP​ MAX​ MIN​
Besoi​n cumu­lé d’énergie 972 (​A2) 608 (NOÉ)
Fos­siles
% du scénario
743 (A2)
76 %
401 (NOÉ)
58 %
ENP
% du scénario
233 (A3)
24 %
168 (C2)
26 %
Nucléaire
% du scénario
80 (A3)
8 %
25 (NOÉ)
3,7 %
Cumul car­bone 608 (A2) 315 (NOÉ)

Pour appré­cier les consé­quences de ces deux types de scé­na­rios sur les risques cités plus haut, et en par­ti­cu­lier sur la concen­tra­tion des gaz à effet de serre, le cumul des déchets nucléaires et la raré­fac­tion des sources fos­siles, il est indis­pen­sable de rai­son­ner en stock et non plus seule­ment en flux en inté­grant sur la période les divers flux de déchets, d’é­mis­sions de GES (gaz à effet de serre), de consom­ma­tions fos­siles (figure 2).

Une part mino­ri­taire des écarts est due à des hypo­thèses de crois­sance éco­no­mique dif­fé­rente entre les scé­na­rios les plus consom­ma­teurs et les moins consom­ma­teurs. C’est ain­si que par exemple, sur les 364 Gtep d’é­cart entre le scé­na­rio A2 et le scé­na­rio Noé, 128 sont attri­buables aux dif­fé­rences de taux de crois­sance de l’é­co­no­mie et 236 sont impu­tables aux dif­fé­rences d’in­ten­si­té énergétique.

Mais ce tableau apporte d’autres ensei­gne­ments utiles comme le montre la figure 3 suivante.

FIGURE 4 — Impact des dif​férents scé­na­rios sur les risques étudiés
HORIZON 2050​
Réponses​aux risques A1 A2 A3 C1 C2 NOÉ
Cumul des émis­sions de car­bone (Gtonnes) 545 610 470 356 350 320
Aug­men­ta­tion de la concen­tra­tion de CO2 40 % 50 % 33 % 23 % 23 % 20 %
Ponc­tion des res­sources de pétrole connues 104 % 85 % 81 % 60 % 60 % 50 %
Déchets nucléaires à sto­cker (ind. 100 1990) 1 700 900 1 800 800 1 300 550
Nota : pour cal­cu­ler la concen­tra­tIon du car­bone dans l’at­mo­sphère, on a tenu compte d’une absorp­tion de 3 Gtannes par an de car­bone par l’océan.

Sur la période et dans tous les scé­na­rios envi­sa­gés les éner­gies fos­siles res­tent lar­ge­ment domi­nantes (de 58 à 76% des bilans cumu­lés), les ENR apportent une contri­bu­tion cumu­lée de l’ordre de 19 à 26% des bilans selon les scé­na­rios, le nucléaire reste mar­gi­nal avec 4 à 9% du bilan cumu­lé sur la période.

La figure 4 per­met d’ap­pré­cier les consé­quences de ces scé­na­rios en terme de risques.

Dans tous les scé­na­rios la concen­tra­tion de GES aug­mente, de +20% en 2050 dans le plus sobre à 50% dans le plus abon­dant. En 2100 la concen­tra­tion de CO2 a plus que dou­blé dans les scé­na­rios A et s’est sta­bi­li­sée autour de +25% par rap­port à 1990 dans les scé­na­rios C et Noé. Les déchets nucléaires de haute acti­vi­té et à longue durée de vie (à tech­no­lo­gie inchan­gée) sont mul­ti­pliés par un fac­teur 5,5 par rap­port à 1990 dans le scé­na­rio le plus sobre en éner­gie nucléaire et par 18 dans le scé­na­rio le plus éle­vé en nucléaire.

Voi­là donc un tableau géné­ral des images que les éner­gé­ti­ciens nous pro­posent pour l’a­ve­nir éner­gé­tique du monde à hori­zon de 50 ans.

Les enjeux et les marges de manœuvre

La toile de fond que nous dressent les scé­na­rios mon­diaux per­met de mieux cer­ner les enjeux et les risques glo­baux des 50 pro­chaines années. Bien enten­du , pour aller plus loin, il faut entrer plus avant dans le détail, dans la mesure où les situa­tions sont très dif­fé­rentes pour les pays indus­tria­li­sés, les pays en tran­si­tion et les pays les moins avancés .

Il n’en reste pas moins qu’un cer­tain nombre points se dégagent à l’exa­men de ces scénarios.

Les tableaux pré­cé­dents montrent en effet clai­re­ment qu’il existe une hié­rar­chie assez claire des enjeux et des marges de manœuvre :

I – L’efficacité énergétique :

C’est la marge prin­ci­pale de manœuvre, et cela pour deux raisons :

  • d’a­bord parce qu’en termes quan­ti­ta­tifs c’est elle dont on peut attendre les effets les plus impor­tants (plus de 230 Gtep sur la période) et les plus homo­gènes dans toutes les régions du monde déve­lop­pé et en déve­lop­pe­ment, comme le montre les scénarios,
  • ensuite parce qu’en termes de risques, c’est la seule série de mesures qui per­mette de repous­ser dans le temps l’en­semble des risques glo­baux cités, sans en pri­vi­lé­gier un par rap­port aux autres, comme le montre bien la figure 4.

- Les énergies renouvelables

FIGURE 5 — Sur­faces occu­pées par la bio­masse éner­gie dans les dif­fé­rents scé­na­rios en 2050 (rap­pel : la sur­face de la France est de 550 000 km2)
A1 A2 A3 C1 C2 NOÉ
Mil­liers de km2 occupés 8 000 8 000 13 000 8 000 7 000 8 000

C’est la seconde marge de manœuvre dont on dis­pose. Elle se situe à un niveau un peu plus faible que la pre­mière mais reste très signi­fi­ca­tive (de 170 à 230 Gtep selon les scé­na­rios) avec cepen­dant un pro­blème de concur­rence d’u­sage des sols qui se pro­file net­te­ment pour les scé­na­rios qui affichent les contri­bu­tions les plus éle­vées d’éner­gies renou­ve­lables en 2050 comme le montre la figure 5.

Par contre cette solu­tion a l’a­van­tage de repous­ser à la fois les risques nucléaires, les risques d’é­pui­se­ment des fos­siles et les risques de réchauf­fe­ment du climat.

III – L’énergie nucléaire

Avec 25 à 80 Gtep cumu­lées d’i­ci 2050, l’éner­gie nucléaire appa­raît comme rela­ti­ve­ment mar­gi­nale dans le bilan éner­gé­tique cumu­lé à l’é­che­lon mon­dial. Cepen­dant son déve­lop­pe­ment dans les scé­na­rios qui y font le plus appel (un fac­teur 6 d’aug­men­ta­tion par rap­port à 1990) ne va pas sans un ren­for­ce­ment impor­tant du cumul des déchets et des risques de pro­li­fé­ra­tion comme le montre la fig 5 qui donne une indi­ca­tion de la dis­sé­mi­na­tion des cen­trales nucléaires en 1990, 2020 et 2050 dans le scé­na­rio IIASA A1.

En terme de lutte contre l’ef­fet de serre, la contri­bu­tion du nucléaire à la dimi­nu­tion des émis­sions dans le même scé­na­rio A1 est de l’ordre de 12 à 13% (en fai­sant l’hy­po­thèse favo­rable que le nucléaire se sub­sti­tue uni­que­ment à du char­bon) ce qui n’est pas négli­geable mais montre bien que ce n’est pas une solu­tion à la mesure du pro­blème de réchauf­fe­ment du climat.

Ces quelques ordres de gran­deur rap­pe­lés, on peut main­te­nant appor­ter quelques pré­ci­sions quan­ti­ta­tives et qua­li­ta­tives sur ces 3 domaines d’action.

Efficacité énergétique du développement

L’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique du déve­lop­pe­ment d’une socié­té dépend de son état ini­tial, de sa struc­ture démo­gra­phique, de sa géo­gra­phie et du cli­mat de son ter­ri­toire, du pro­grès tech­nique, etc.

Tra­di­tion­nel­le­ment, la pros­pec­tive éner­gé­tique, axée essen­tiel­le­ment sur la pro­duc­tion d’éner­gie, confère un poids très net­te­ment pré­pon­dé­rant à l’é­vo­lu­tion tech­no­lo­gique des outils par­mi les élé­ments sus­cep­tibles de faire évo­luer rapi­de­ment le ren­de­ment des sys­tèmes énergétiques.

Cette ten­dance se retrouve assez sys­té­ma­ti­que­ment dans la pros­pec­tive des usages de l’éner­gie où l’on pense natu­rel­le­ment d’a­bord au pro­grès tech­nique à tra­vers l’a­mé­lio­ra­tion des ren­de­ments d’u­sage des outils four­nis­sant des ser­vices finaux.

C’est ain­si que dans le domaine des trans­ports, le pro­grès d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique et la réduc­tion des émis­sions de GES sont très lar­ge­ment assi­mi­lés à celui que l’on peut envi­sa­ger grâce aux pro­grès de la moto­ri­sa­tion ou de l’aé­ro­dy­na­mique des voi­tures, des camions ou des loco­mo­tives, voire à des sub­sti­tu­tions de carburants.

La rapi­di­té et l’am­pli­tude de ce pro­grès au cours des trente der­nières années expliquent lar­ge­ment cette vision.

Le rôle dominant des infrastructures et de l’organisation

Cette vision est pour­tant très réduc­trice car elle fait impli­ci­te­ment l’im­passe sur les condi­tions dans les­quelles les objets en ques­tion sont uti­li­sés pour rem­plir un ser­vice don­né, ici le trans­port d’un point à un autre d’un pas­sa­ger ou d’un char­ge­ment de marchandises.

FIGURE 6 — Disséminatio​n régio­nale des cen­trales nucléaires dans le scé­na­rio IIASA A1
Dissémination régionale des centrales nucléaires dans le. scénario IIASA A1

On sait en effet que la consom­ma­tion spé­ci­fique du trans­port rou­tier de mar­chan­dises est de l’ordre de 100g/tonne x km alors que celle du trans­port par rail est de l’ordre de 25g /tonne x km. De même celle des voi­tures est de l’ordre de 50 à 60g/V x km5 alors que celle du rail est de l’ordre de 20g/V x km.

A tech­no­lo­gie constante, le trans­fert d’une tonne de mar­chan­dises de la route au rail est donc équi­valent à un gain d’un fac­teur de l’ordre de quatre sur l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique du camion et le trans­fert d’un pas­sa­ger de la route vers le rail à un fac­teur 2,5 de gain d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique de la voiture.

On voit sur cet exemple l’im­por­tance qu’il faut accor­der au choix des infra­struc­tures puis­qu’elles vont avoir une influence majeure (sou­vent net­te­ment supé­rieure au pro­grès tech­nique sur les outils) sur l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique du ser­vice final ren­du et cela pour de très longues périodes, sou­vent supé­rieures à une cin­quan­taine d’années.

Ce rai­son­ne­ment s’ap­plique à toutes les infra­struc­tures lourdes, qu’il s’a­gisse du mode d’ur­ba­nisme, de l’in­dus­trie lourde, des loge­ments ou des infra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion. La figure 7 en est une illus­tra­tion désor­mais classique.

Elle montre que la consom­ma­tion éner­gé­tique néces­saire à un Lon­do­nien un Pari­sien ou un Vien­nois pour effec­tuer ses trans­ports quo­ti­diens est 5 à 6 fois moins impor­tante que celle d’un habi­tant de Phoe­nix ou de Detroit.

Mais une autre illus­tra­tion à carac­tère rétros­pec­tif nous vient de l’habitat.

On sait que le pro­grès tech­nique et la régle­men­ta­tion ther­mique qui s’en est sui­vie ont per­mis de faire chu­ter la consom­ma­tion de chauf­fage des loge­ments d’un fac­teur supé­rieur à 2 depuis une ving­taine d’an­nées, de plus de deux tep à moins d’une tep par an en 2000. Si l’on se pro­jette jus­qu’en 2050, l’ap­port de ces nou­velles tech­no­lo­gies (pour un rythme de construc­tion de 200.000 loge­ments par an, soit 14 mil­lions de loge­ments entre 1980 et 2050) res­te­ra encore modeste en termes de consom­ma­tion d’éner­gie sur le bilan glo­bal de l’habitat.

Si la moi­tié d’entre eux viennent rem­pla­cer des loge­ments exis­tants et l’autre moi­tié s’y ajou­ter, la consom­ma­tion totale du parc sera de 40 Mtep en 2050, dont 26 mil­lions de tep encore attri­buables aux loge­ments construits avant 1980 et 14 mil­lions de tep attri­buables aux loge­ments pos­té­rieurs à 1980. C’est dire l’i­ner­tie du système.

Une poli­tique d’é­co­no­mie d’éner­gie dans le bâti­ment rési­den­tiel ne pour­ra donc pas évi­ter, pour être véri­ta­ble­ment effi­cace, d’ac­cor­der une place majeure à la réha­bi­li­ta­tion des loge­ments anciens qui repré­sen­te­ront sinon encore 65% de la consom­ma­tion de chauf­fage en 2050.

Ces quelques exemples montrent qu’au delà du pro­grès tech­nique, les choix d’in­fra­struc­ture dans les­quelles ce pro­grès tech­nique s’ap­plique ont des consé­quences majeures et à long terme sur notre capa­ci­té à maî­tri­ser la consom­ma­tion d’éner­gie et donc les émis­sions de gaz à effet de serre.

C’est évi­dem­ment vrai pour les pays déve­lop­pés où des déci­sions de renou­vel­le­ment et plus modes­te­ment de déve­lop­pe­ment de nou­velles infra­struc­tures se pré­sentent tous les jours. C’est encore beau­coup plus vrai pour les pays en déve­lop­pe­ment qui construisent leurs infra­struc­tures de base, qu’il s’a­gisse de l’ur­ba­ni­sa­tion des méga­poles ou des réseaux de com­mu­ni­ca­tion et de voi­ries diverses.

FIGURE 7 — Urban​isme et consom­ma­tion d’éner­gie des transports
Urbanisme et consommation d'énergie des transports selon différentes villes dans le monde
S​ource : New­man and Ken­wor­thy, Cities and auto­mo­bile depen­donce. Gower, 1989.

La per­ti­nence des choix ini­tiaux est dans ce cas fon­da­men­tale. Il suf­fit d’i­ma­gi­ner la Chine se déve­lop­pant uni­que­ment avec un réseau de trans­port rou­tier pour ima­gi­ner les consé­quences éner­gé­tiques à moyen terme d’un tel choix ini­tial à carac­tère très irréversible.

Dans un pays comme la France, il faut éga­le­ment prendre conscience que l’in­dus­trie consomme moins de 30% de l’éner­gie dépen­sée et de plus avec une forte pro­por­tion d’élec­tri­ci­té (près de 50%) d’o­ri­gine non fos­sile. Les 70% de consom­ma­tion res­tants (habi­tat ter­tiaire et trans­ports) sont très lar­ge­ment tri­bu­taires des modes d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire et de la nature des infra­struc­tures de base (urba­nisme, réseaux de trans­port, qua­li­té des logements).

Le second point sur lequel il me semble néces­saire d’in­sis­ter, quand on réflé­chit aux marges poten­tielles d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique concerne l’or­ga­ni­sa­tion du sys­tème éner­gé­tique.

L’exemple le plus frap­pant est celui de la cogé­né­ra­tion. La four­ni­ture simul­ta­née de cha­leur et d’élec­tri­ci­té per­met en effet de faire pas­ser de 40 ou 45% à 85 ou 90% le ren­de­ment d’u­sage d’un com­bus­tible fos­sile, à la condi­tion bien enten­du de trou­ver pre­neur simul­ta­né­ment de la cha­leur et de l’élec­tri­ci­té. Là encore, le pro­grès tech­nique n’est pas spec­ta­cu­laire dans les deux domaines de la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té et de chaleur.

Le véri­table gain pro­vient de la co-four­ni­ture des deux vec­teurs éner­gé­tiques, avec les contraintes d’or­ga­ni­sa­tion que cela induit. Dans un tel cas, le pro­grès tech­nique se tra­dui­ra non pas tel­le­ment par une aug­men­ta­tion de ren­de­ment de pro­duc­tion de l’élec­tri­ci­té et de la cha­leur que dans l’a­dap­ta­bi­li­té du sys­tème éner­gé­tique au besoin du consom­ma­teur final (taille, sou­plesse d’u­ti­li­sa­tion, etc).

On voit bien qu’il existe là un poten­tiel consi­dé­rable de pro­grès d’ef­fi­ca­ci­té dont la limite est cer­tai­ne­ment plus orga­ni­sa­tion­nelle que tech­nique. Le gain de ren­de­ment s’ef­fec­tue en effet au détri­ment de l’in­dé­pen­dance des acteurs dont la coor­di­na­tion avec les pro­duc­teurs des dif­fé­rents vec­teurs éner­gé­tiques doit se renforcer.

On pour­rait faire la même ana­lyse pour la pro­duc­tion d’un vec­teur éner­gé­tique à par­tir de co-com­bus­tibles (par exemple des déchets, du bois et du char­bon) où les gains poten­tiels en terme d’ef­fi­ca­ci­té vis à vis des émis­sions par exemple (intro­duc­tion de renou­ve­lables fatales dans le sys­tème) dépendent au pre­mier chef de l’or­ga­ni­sa­tion d’un appro­vi­sion­ne­ment stable.

A tra­vers ces deux exemples de co-géné­ra­tion et de co-com­bus­tion se pro­filent les enjeux mais aus­si les limites du concept d’é­co­lo­gie indus­trielle qui s’ap­puie sur une ana­lo­gie avec les éco­sys­tèmes vivants où l’en­semble de la matière orga­nique est recy­clé par une orga­ni­sa­tion pous­sée d’un grand nombre d’ac­teurs diversifiés.

FIGURE 8 — Ren­de­ment glo­bal de dif­fé­rentes moto­ri­sa­tions de véhi­cules automobiles
Filières​ Ren­de­ment groupe propulseur Ren­de­ment filière carburant Ren­de­ment total
Essence 2005 In​j. directe 25 % 81 % 20 %
Die­sel 2005 inj com­mon rail 33 % 84 % 28 %
Véhi­cule élec­trique (CCG) 85 % 50 % 43 %
Pac H (gaz nat) 55 % 60 % 33 %
Pac H (refor­meur méthanol) 44 % 60 % 26 %
Hybride essence 2005 40 % 81 % 32 %
Pac H (élec­tro­lyse) 55 % 19 % 10 %
Source : auto­mo­bile et déve­lop­pe­ment durable, Sté­phane His , les Cahiers du CLIP n° 9

Bien évi­dem­ment ces deux points sur les­quels nous venons d’in­sis­ter n’en­lèvent rien à la vali­di­té d’une action volon­ta­riste de pro­grès d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique des outils de trans­for­ma­tion et d’u­sage de l’éner­gie. Pour les outils de pro­duc­tion et de trans­for­ma­tion, des gains signi­fi­ca­tifs de ren­de­ment sont encore pos­sibles. C’est le cas pour les cen­trales ther­miques avec l’é­mer­gence des tur­bines à cycle com­bi­né, pour le nucléaire avec les réac­teurs à haut ren­de­ment (HTR par exemple dont on attend un ren­de­ment de 48% au lieu des 33% actuels des REP), mais aus­si pour les filières plus nou­velles comme l’éo­lien ou le photovoltaïque.

Mais les gains poten­tiels les plus spec­ta­cu­laires sont à attendre des tech­no­lo­gies « end of pipe » pour la four­ni­ture de ser­vices domes­tiques ou indus­triels au client final, éclai­rage, froid, séchage, audio­vi­suel, com­mu­ni­ca­tions, etc.. Le pas­sé récent montre que, dans ce domaine, les rup­tures tech­no­lo­giques sont fré­quentes et per­mettent sou­vent de gagner des fac­teurs très impor­tants ( de 5 à 10) sur l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique de four­ni­ture d’un ser­vice. C’est le cas par exemple pour l’é­clai­rage, la télé­vi­sion, les ordi­na­teurs etc.

C’est mal­heu­reu­se­ment moins vrai pour la voi­ture où les pro­grès tech­niques actuels sur les véhi­cules hybrides ou les piles à com­bus­tibles per­mettent d’i­ma­gi­ner des gains de ren­de­ment encore signi­fi­ca­tifs, mais limi­tés à 30 ou 40 % par rap­port à l’exis­tant, si l’on tient compte de l’en­semble de la chaîne des ren­de­ments de la mine à l’é­chap­pe­ment de la voi­ture, comme le montre la figure 8.

Quand on applique ce pro­grès tech­nique au parc auto­mo­bile fran­çais avec une hypo­thèse de crois­sance de ce parc de 25 à 35 mil­lions de véhi­cules en 50 ans on obtient dans le meilleur des cas une réduc­tion de l’ordre de 20% des émis­sions de CO2. Pour aller plus loin il faut jouer soit sur la réduc­tion du tra­fic soit sur le rééqui­li­brage modal. Dans ce der­nier cas les chiffres indi­qués plus haut montrent qu’il faut faire bas­cu­ler en faveur des trans­ports gui­dés 4% du tra­fic voi­ture pour obte­nir 10% d’é­co­no­mie d’éner­gie sup­plé­men­taire et au moins autant d’é­co­no­mie de CO2.

On voit à l’is­sue de ce cha­pitre que l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique, enjeu majeur de la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et de la pro­tec­tion contre d’autres risques glo­baux, sup­pose la mise en œuvre de moyens d’ac­tion très diver­si­fiés, à la fois :

  • dans le domaine des infrastructures
  • dans le domaine de l’or­ga­ni­sa­tion sociale et productive
  • et dans le domaine technique.

Le cas Français

Pour la France on peut rai­son­ner en exa­mi­nant les dif­fé­rents postes qui contri­buent à la consom­ma­tion et aux émis­sions de CO2.

FIGURE 9 — Consom­ma­tion d’éner­gie finale et émis­sions en France en 1995
France 1995​ Mtep % Kep/hab. Kg C/hab. %
• Habi­tat (dont) 50 26 % 845 305 17 %
Confo​rt thermique 44 22 % 740 305 305
Élec­tro­mé­na­ger blanc 5 3 % 35
brun + éclairage 1 1 % 70
• Ter­tiaire (dont) 30 15 % 505 195 11 %
Chauf­fage et clim. 25 13 % 415 185
Usages spé­ci­fiques 5 2 % 90 10
• Ali­men­ta­tion 22 11 % 360 190 10 %
• Indus­trie (dont) 47 24 % 775 355 20 %
Pro­duc­tion intermédiaire 38 19 % 625 265
Pro­duits finis 9 5 % 150 90
• Trans­ports 49 25 % 805 755 42 %
Per­sonnes 30 15 % 490 460
Mar­chan­dises 19 10 % 315 295
TOTAL 198 100% 3 290 1 800 100%
Kep/hab. : kilo équi­valent pétrole par habitant.
Kg C/hab. : il s’a­git de la quan­ti­té de car­bone conte­nue dans le CO2.
NB. : les chiffres des trans­ports incluent la dépense éner­gé­tique et les émis­sions de CO2 des raf­fi­ne­ries
.

La figure 9 résume la situa­tion en 1995 . On y trouve le bilan glo­bal, la consom­ma­tion par habi­tant et les émis­sions par habi­tant des dif­fé­rents sec­teurs d’activité.

Habi­tat, indus­trie et trans­ports repré­sentent cha­cun un quart de la consom­ma­tion, ter­tiaire et ali­men­ta­tion (y com­pris froid et cuis­son) le reste. Par contre les trans­ports contri­buent à eux seuls à plus de 40% des émis­sions de CO2. Sur les 3,3 tep consom­mées par habi­tant 1,3 sont consom­més sous forme d’élec­tri­ci­té (5.800 KWh/hab/an)

Pour avoir une idée des pos­si­bi­li­tés de réduc­tion des émis­sions on peut dres­ser le même tableau (figure 10) en fai­sant l’hy­po­thèse de parcs neufs (y com­pris dans l’ha­bi­tat) dis­po­sant des meilleures tech­no­lo­gies dis­po­nibles en 1995 sur le marché.

Dans une telle hypo­thèse la consom­ma­tion finale d’élec­tri­ci­té par habi­tant tom­be­rait à 0,8 tep/an, soit 3.600KWh.

Ce tableau, bien qu’é­vi­dem­ment très gros­sier, montre cepen­dant les enjeux et les dif­fi­cul­tés de réduc­tion des émissions.

En effet si la réduc­tion des émis­sions pro­po­sée pour l’in­dus­trie a de bonnes chances de se pro­duire assez natu­rel­le­ment avec la déma­té­ria­li­sa­tion de l’ac­ti­vi­té indus­trielle, l’ef­fort à faire dans l’ha­bi­tat est consi­dé­rable puis­qu’il revient à mettre l’en­semble du parc de loge­ments aux normes des habi­ta­tions neuves.

FIGURE 10 — Une France équi­pée sys­té­ma­ti­que­ment des meilleures tech­no­lo­gies de 1995 (y com­pris pour les parcs de logement)
France 1995​ Conso/hab. Meilleure tech­no 95 Com­men­taires Kg C
• Habi­tat (dont) 845 360 170
Confo​rt thermique 740 300 Normes tech­niques bâti­ments neufs 170
Élec­tro­mé­na­ger blanc 35 25 Meilleurs équi­pe­ments actuels
brun + éclairage 70 35 Opti­mi­sa­tion des syst. de veille
• Ter­tiaire (dont) 505 250 100
Chauf­fage et clim. 415 200 Mêmes normes que l’habitat 100
Usages spé­ci­fiques 90 50 Opti­mi­sa­tion veille
• Ali­men­ta­tion 360 250 50 % de gain sur froid et cuisson 130
• Indus­trie (dont) 775 580 270
Pro­duc­tion intermédiaire 625 450 Éco­pro­cé­dés et recyclage 190
Pro­duits finis 150 130 80
• Trans­ports 805 450 400
Per­sonnes 490 250 Véhi­cule 4 l./100 et 13 000 km/an 230
Mar­chan­dises 315 200 Réduc. puiss. camion trans­port combiné 295
TOTAL 3 290 1 890 1070
Source : les défis du long terme, Com­mis­sion éner­gie 2010–2020, Com­mis­sa­riat géné­ral du Plan..

La plus grande incon­nue reste cepen­dant la contri­bu­tion des trans­ports. La réduc­tion envi­sa­gée sup­pose en effet à la fois une adop­tion rapide des meilleures tech­no­lo­gies actuelles pour les trans­ports rou­tiers (mar­chan­dises et pas­sa­gers) mais aus­si un début de trans­fert de la route vers le rail, c’est à dire une inver­sion de la ten­dance actuelle. Mais la plus forte incon­nue réside dans le contrôle de la crois­sance des tra­fics, aus­si bien de pas­sa­gers que de mar­chan­dises. C’est là que les poli­tiques d’ur­ba­nisme, d’emploi, d’or­ga­ni­sa­tion indus­trielle prennent une impor­tance majeure.

Mal­gré toutes ces incer­ti­tudes le tableau montre néan­moins à quoi pour­rait res­sem­bler la consom­ma­tion d’éner­gie et les émis­sions de CO2 d’un indi­vi­du dis­po­sant des mêmes ser­vices qu’en 1995 et n’é­met­tant qu’en­vi­ron 1 tonne de car­bone par an s’il dis­po­sait des meilleures tech­no­lo­gies aujourd’­hui disponibles.

Rap­por­tée à la France la consom­ma­tion finale serait de l’ordre de 115 Mtep dont 225 TWh d’élec­tri­ci­té (à grande majo­ri­té hors fos­sile comme en 1995) avec la struc­ture détaillée de la figure 11.

Les énergies renouvelables

On a vu ci-des­sus que le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables repré­sente la seconde marge de manœuvre impor­tante vis à vis des pro­blèmes de réchauf­fe­ment, d’é­pui­se­ment des fos­siles et des risques nucléaires. Quand on exa­mine de plus près les scé­na­rios pro­po­sés plus haut on constate que les prin­ci­pales contri­bu­tions atten­dues sont d’une part la bio­masse et d’autre part l’hydraulique .

Mais le déve­lop­pe­ment actuel de l’éo­lien dans les pays du Nord (qui reste très sous esti­mé en France) pour­rait bien conduire dès 2020 ou 2030 à une contri­bu­tion au moins égale à celle des bar­rages hydrau­liques en Europe, sur­tout si le concept d’éo­lien off-shore, encore à l’é­tat de démons­tra­tion aujourd’­hui, tient ses promesses.

Le pho­to­vol­taïque reste a prio­ri quan­ti­ta­ti­ve­ment plus limi­té en Europe dans les trente ans qui viennent même s’il a un rôle majeur à jouer dans le décol­lage du déve­lop­pe­ment des pays les moins avan­cés, en par­ti­cu­lier en zone rurale.

FIGURE 11​
Mtep
meille​ure technologie
Gain / situa­tion de 1995 Mt de car­bone meilleure technologie Gain / situa­tion de 1995
H​abitat 22​ 56 % 10,2 43 %
Ter­tiaire 15 50 % 6,2 46 %
Ali­men­ta­tion 15 32 % 7,8 33 %
Indus­trie 35 26 % 16,4 24 %
Trans­ports 27 45 % 2,4 48 %
TOTAL 114 42 % 64,6 40 %

En France les études pros­pec­tives récentes montrent que le bois éner­gie pour­rait contri­buer dès 2015 ou 2020 à une quin­zaine de Mtep dont les 23 en éner­gie ther­mique et 3 Mtep à 5 Mtep (15 à 25TWh)6 sous forme d’élec­tri­ci­té (cogé­né­ra­tion et élec­tri­ci­té seule), sans créer de concur­rence d’u­sage avec la pâte à papier ou l’in­dus­trie du bois.

L’éo­lien quant à lui pour­rait atteindre au delà de 2020–2030 30 à 50 TWh (100 GW ins­tal­lés en Europe et 200 TWh en 2020)7 et le pho­to­vol­taïque quelques TWh.

Au total on peut rai­son­na­ble­ment tabler dans les 30 ans qui viennent sur la mobi­li­sa­tion de 15 Mtep à 20 Mtep d’éner­gie ther­mique renou­ve­lable (10 de bois, 10 de déchets, de géo­ther­mie et de solaire ther­mique direct (eau chaude et chauf­fage) et de 125 à 165 TWh d’élec­tri­ci­té renou­ve­lable (75 d’hy­drau­lique, 15 à 25 d’élec­tri­ci­té bois ou déchets, 30 à 50 d’éo­lien, 5 de pho­to­vol­taïque, et de 0 à 10 TWh de géo­ther­mie des roches fracturées).

Compte tenu des pertes du réseau (de l’ordre de 15%) il fau­drait pour pro­duire l’élec­tri­ci­té néces­saire (255 TWh) pro­duire de 90 à un peu moins de 130 TWh sup­plé­men­taires, soit avec du nucléaire soit avec des éner­gies fos­siles. Si cette élec­tri­ci­té est pro­duite par des tur­bines à gaz à cycle com­bi­né (CCG, hypo­thèse de ren­de­ment 60%) cela condui­rait dans l’hy­po­thèse basse à une émis­sion sup­plé­men­taire de 8 Mt de car­bone8 et dans l’hy­po­thèse haute à 12 Mt de carbone.

Le nucléaire

On a vu ci des­sus que la contri­bu­tion de nucléaire au bilan car­bone d’i­ci à 2050 pro­po­sée par les scé­na­rios pros­pec­tifs reste rela­ti­ve­ment modeste même pour les plus opti­mistes d’entre eux. Néan­moins en flux le nucléaire atteint dans les scé­na­rios les plus opti­mistes près de 3 Gtep/an en 2050.

Cette der­nière hypo­thèse, qui cor­res­pond à une relance impor­tante du nucléaire à par­tir de 2020 ou 2030, n’est guère vrai­sem­blable si les deux pro­blèmes majeurs que sont les risques de pro­li­fé­ra­tion et la limi­ta­tion du stock de déchets à haute acti­vi­té et très longue durée de vie n’ont pas trou­vé de solu­tions plus satis­fai­santes qu’aujourd’hui.

FIGURE 12 — Plu­to­nium conte­nu dans Ir : com­bus­tible irra­dié (UOX et MOX)
Plutonium contenu dans le combustible irradié du parc actuel jusqu'à son obsolescense (40 ans) dans diverses configurations de retraitement.
Plu­to­nium conte­nu dans le com­bus­tible irra­dié du parc actuel jus­qu’à son obso­les­cense (40 ans) dans diverses confi­gu­ra­tions de retraitement.

Si en effet le nucléaire doit, dans la seconde moi­tié du siècle, appor­ter une contri­bu­tion signi­fi­ca­tive au bilan éner­gé­tique mon­dial, il lui faut, du fait de la dis­sé­mi­na­tion consi­dé­rable à laquelle il sera confron­té, résoudre de façon satis­fai­sante ces deux pro­blèmes qui entravent fon­da­men­ta­le­ment son déve­lop­pe­ment aujourd’­hui (figure 12).

On peut prendre conscience de l’am­pleur du pro­blème en exa­mi­nant l’é­vo­lu­tion des stocks de plu­to­nium conte­nu dans les déchets du parc fran­çais, dans l’hy­po­thèse d’un simple main­tien du parc actuel (sans nou­velle construc­tion), avec une durée de vie moyenne de 40 ans des cen­trales construites, et dif­fé­rentes solu­tions pour l’a­val du cycle. On voit en effet que quelle que soit la solu­tion adop­tée pour l’a­val du cycle (avec moxage maxi­mal ou arrêt du retrai­te­ment), dans l’é­tat actuel des tech­niques, le stock de Pu sera mul­ti­plié par un fac­teur de 4,7 à 5,7 en France. En cas de relance, on se trou­ve­ra donc devant des stocks très rapi­de­ment crois­sants de déchets à longue durée de vie.

Au delà des recherches indis­pen­sables à un bou­clage satis­fai­sant de l’a­val du cycle, dont per­sonne ne peut aujourd’­hui affir­mer qu’elles condui­ront au suc­cès ni sur­tout quand elles y abou­ti­ront, il paraî­trait judi­cieux d’ap­pli­quer aux déchets la même stra­té­gie de pré­cau­tion qu’au CO2 en pro­po­sant un « Kyo­to des déchets » per­met­tant de limi­ter au niveau mon­dial la quan­ti­té de déchets, tant qu’on n’a pas de solu­tion accep­table et accep­tée pour le sto­ckage ou l’é­li­mi­na­tion de ces déchets.

Cette pro­po­si­tion prag­ma­tique9 , par oppo­si­tion au « tout ou rien » d’au­jourd’­hui lais­se­rait un espace impor­tant à la mise au point de filières net­te­ment plus éco­nomes en com­bus­tibles fis­siles (meilleur ren­de­ment ther­mo­dy­na­mique, taux de com­bus­tion plus éle­vés, etc.) qui per­met­traient dans un pre­mier temps de dimi­nuer la quan­ti­té de déchets dan­ge­reux par kWh produit.

A l’is­sue de cette rapide ana­lyse, on voit que la vraie ques­tion d’au­jourd’­hui est bien de savoir quelles stra­té­gies adop­ter, pour se diri­ger dans la direc­tion sug­gé­rée par les scé­na­rios de déve­lop­pe­ment sobre plu­tôt que de consa­crer l’es­sen­tiel de ses forces à la spi­rale qui consiste à déve­lop­per tou­jours plus vite et sans limite des filières éner­gé­tiques en même temps que les tech­no­lo­gies sus­cep­tibles d’en limi­ter les dégâts potentiels.

L’a­ve­nir dépen­dra certes très lar­ge­ment des modes de déve­lop­pe­ment que vont pri­vi­lé­gier les pays en voie de déve­lop­pe­ment, mais aus­si de la capa­ci­té des pays riches à recon­naître et appuyer la diver­si­té des démarches plu­tôt que de ten­ter d’im­po­ser un modèle unique dont les effets per­vers à moyen et long terme appa­raissent de plus en plus clairs.

Dans nos pays les marges de manœuvre sont impor­tantes comme nous l’a­vons vu. Mais sans l’exemple de nos socié­tés riches, les efforts des pou­voirs publics, des com­pa­gnies éner­gé­tiques, des indus­triels pro­duc­teurs de biens et de ser­vice, com­ment ima­gi­ner que des conti­nents en déve­lop­pe­ment comme l’A­sie, l’A­mé­rique Latine ou l’A­frique adop­te­ront au vingt et unième siècle des modes de déve­lop­pe­ment qui ne remettent pas en cause gra­ve­ment l’a­ve­nir de l’homme sur la planète ?

Le défi auquel nous sommes confron­tés n’est donc pas d’a­bord tech­nique, il est cultu­rel, il est poli­tique. Si l’hor­reur éco­lo­gique n’est pas iné­luc­table, à nous, citoyens du monde, de réagir, et de déve­lop­per les outils d’une soli­da­ri­té pla­né­taire au ser­vice d’un déve­lop­pe­ment équi­li­bré et durable de l’en­semble des socié­tés humaines.

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1. IIASA : Inter­na­tio­nal Ins­ti­tute for Applied Sys­tems Analysis.
2. NOÉ : Nou­velles Options Énergétiques.
3. Inten­si­té éner­gé­tique : : c’est la quan­ti­té d’éner­gie néces­saire à l’ob­ten­tion d’une uni­té moné­taire de valeur ajou­tée : par exemple des tep par dollar.
4. Tep : la tonne équi­va­lente pétrole et ses mul­tiples sont les unites des éner­gé­ti­ciens pour mesu­rer avec une seule uni­té des éner­gies d’o­ri­gines dif­fé­rentes en les rame­nant à l’éner­gie équi­va­lente à celle de la com­bus­tion d’une tonne de pétrole. Une tep vaut à 44,8 giga­joules ou encore 11,6 MWh.
5. V x km : voya­geur x km.
6. Le bois éner­gie en France, Les Cahiers du CLIP, n° 3.
7. les éner­gies renou­ve­lables, Com­mis­sa­riat au Plan, Club Ener­gie pros­pec­tive et débats 1989.
8. Les émis­sions de car­bone d’une telle tur­bine sont de l’ordre de 90 g par kWh (340 g de CO2).
9. Effet de serre et nucléaire, l’é­qui­libre des pré­cau­tions, Ben­ja­min Des­sus et Yves Mari­gnac, Les Cahiers de Glo­bal Chance n° 12. nov. 1999.

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