Efficacité économique et justice sociale selon Maurice Allais
Considérant qu’un État impartial constituait le garant en dernier ressort du bien commun des sociétés et de leur pérennité, les réflexions de Maurice Allais étaient guidées par le souci de tarir les revenus « indus » qui ne provenaient pas de réels services économiques apportés à la collectivité, en éliminant fiscalement les situations de rentes.
Il propose tout particulièrement de rétrocéder à l’État la rente annuelle de la création de monnaie ex nihilo engendrée par le système du crédit pratiqué par le secteur bancaire et financier actuel.
REPÈRES
Maurice Allais (31), disparu en 2010, est le seul économiste français titulaire du prix Nobel de sciences économiques. Il lui a été décerné en 1988 pour « ses contributions à la théorie des marchés et à l’utilisation efficace des ressources ». Cet esprit encyclopédique et rigoureux est également reconnu pour avoir offert une refonte cohérente des principaux pans de la théorie économique, de la théorie de l’équilibre, des marchés et de l’intérêt, à la théorie de la monnaie et des anticipations.
Réformer le système bancaire et financier
Maurice Allais propose, en préalable à toute refonte de la fiscalité, la réforme du système bancaire et financier. Cette réforme doit s’appuyer sur deux principes.
La création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul. Toute création monétaire autre que la monnaie de base par la banque centrale indépendante des gouvernements doit être rendue impossible, de manière que disparaissent les « faux droits » résultant actuellement de la création monétaire bancaire. Tout financement d’investissement à un terme donné doit être assuré par des emprunts à des termes plus longs, ou tout au moins de même terme.
Banques de dépôts, de prêt et d’affaires
Les principes de la réforme du système du crédit que propose Allais peuvent donc se résumer comme il l’écrit lui-même :
« Cette double condition implique une modification profonde des structures bancaires et financières reposant sur la dissociation totale des activités bancaires telles qu’elles se constatent aujourd’hui, et leur attribution selon trois catégories d’établissements distincts et indépendants :
La création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul
- des banques de dépôts assurant seulement, à l’exclusion de toute opération de prêt, les encaissements et les paiements, et la garde des dépôts de leurs clients, les frais correspondants étant facturés à ces derniers, et les comptes des clients ne pouvant comporter aucun découvert ;
- des banques de prêt empruntant à des termes donnés et prêtant les fonds empruntés à des termes plus courts, le montant global des prêts ne pouvant excéder le montant global des fonds empruntés ;
- des banques d’affaires empruntant directement auprès du public, ou aux banques de prêt et investissant les fonds empruntés dans les entreprises.
« Dans son principe, une telle réforme rendrait impossible la création monétaire et de pouvoir d’achat ex nihilo par le système bancaire, ainsi que l’emprunt à court terme pour financer des prêts de terme plus long.
Elle ne permettrait que des prêts de maturité plus courte que celle correspondant aux fonds empruntés. Les banques de prêt et les banques d’affaires serviraient d’intermédiaires entre les épargnants et les emprunteurs. Elles seraient soumises à une obligation impérative : emprunter à long terme pour prêter à plus court terme, à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui. »
Une condition de survie
« Une telle organisation du système bancaire et financier permettrait la réalisation simultanée de six conditions tout à fait fondamentales :
- l’impossibilité de toute création monétaire en dehors de celle de la monnaie de base par les autorités monétaires indépendantes des gouvernements ;
- la suppression de tout déséquilibre résultant du financement d’investissements à long terme à partir d’emprunts à court ou à moyen terme ;
- l’expansion de la masse monétaire globale, constituée uniquement par la monnaie de base, au taux souhaité par les autorités monétaires indépendantes des gouvernements ;
- une réduction majeure, sinon totale, de l’amplitude des fluctuations conjoncturelles ;
- l’attribution à l’État des gains provenant de la création monétaire, et l’allégement en conséquence des impôts actuels ;
- un contrôle aisé par l’opinion publique et par le Parlement de la création monétaire et de ses implications.
Cette réforme apparaît comme une condition nécessaire de survie d’une économie décentralisée et de son efficacité. »
Dès lors, la fiscalité doit être refondée en considérant que les impôts payés par les ménages et les entreprises sont « la rémunération des services de toutes sortes que leur rend l’État et qu’il est seul à même de leur rendre ».
Les sept principes de la fiscalité
- Principe individualiste : l’impôt ne doit pas rechercher l’égalité des conditions, mais celle des chances.
- Principe de non-discrimination : l’impôt doit être établi suivant des règles qui soient les mêmes pour tous.
- Principe d’impersonnalité : l’impôt ne doit pas impliquer des recherches inquisitoriales sur les personnes.
- Principe de neutralité et d’efficacité économiques : l’impôt ne doit pas pénaliser les choix les plus efficaces pour l’économie. Les entreprises en perte devraient être pénalisées, et non celles qui font des bénéfices.
- Principe de légitimité : l’impôt doit frapper autant que possible les revenus « non gagnés » qui ne correspondent pas à un service effectivement rendu tels, par exemple, ceux provenant de l’appropriation des plus-values foncières résultant de la croissance démographique.
- Principe d’exclusion d’une double imposition : un revenu ou un bien ne saurait être taxé plusieurs fois.
- Principe de non-arbitraire et de transparence : le système fiscal doit répondre à des principes simples et peu coûteux d’application.
Une fiscalité tripolaire
Allais propose la suppression totale des impôts actuels sur les revenus des personnes physiques, sur les entreprises, sur les successions et donations, comme sur le patrimoine et les plus-values. On les remplacerait par une fiscalité tripolaire répondant aux « sept principes » (voir encadré ci-dessus).
Peu vulnérable à la fraude, elle se prêterait à un contrôle facile du Parlement.
Il propose donc une taxe annuelle de l’ordre de 2% sur les seuls biens physiques, à l’exclusion des créances, actions et obligations notamment, à l’exclusion de toute double imposition et de toute exemption.
L’impôt doit être établi suivant des règles qui soient les mêmes pour tous
Il propose aussi l’attribution à l’État, et à l’État seul, des profits provenant actuellement de l’augmentation de la masse monétaire par la création des moyens de paiement issus du mécanisme actuel du crédit, selon les principes de la réforme proposée (de l’ordre de 4% à 5% du revenu national en régime de croissance de 4 % et d’inflation de 2 %).
Allais propose enfin une taxe générale sur les biens de consommation de taux uniforme pour assurer les dépenses publiques non couvertes par les deux postes précédents. Il précise que, « contrairement à ce que l’on pourrait penser, les charges correspondant à l’impôt proposé sur le capital ne différeraient que d’un quart environ de celles qui le grèvent déjà en réalité dans le système actuel ».
Des ordres de grandeur réalistes
Allais chiffre avec réalisme les ordres de grandeur de ses réformes, et prend bien soin de présenter le catalogue des principales objections qui leur ont été opposées pour les réfuter une à une. Il démontre comment cette double réforme constituerait un puissant stimulant au retour de la croissance économique en mobilisant les initiatives économiquement les plus efficaces, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle ère de prospérité et de justice.
Par une double réforme du crédit et de la fiscalité répondant aux principes clairement énoncés ici, la France offrirait au monde un exemple libérateur d’une puissance irrésistible face aux oppressions qui semblent vouloir aujourd’hui effrontément s’affranchir de tout contrôle des peuples, dans une dangereuse hubrys.