Cerveau en couleurs selon Emmanuel Beaurepaire

Le cerveau en couleurs

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°757 Septembre 2020
Par Emmanuel BEAUREPAIRE
Par Jean LIVET
Par Robert RANQUET (72)

Déjà dis­tin­gué en 2019 par le Prix Rai­mond Cas­taing de la Socié­té fran­çaise des micro­sco­pies, Emma­nuel Beau­re­paire vient de se voir décer­ner le Prix de la Socié­té euro­péenne de micro­sco­pie (Euro­pean Micro­sco­py Socie­ty) dans la caté­go­rie « Sciences du vivant ».
La J&R l’a ren­con­tré, avec son col­la­bo­ra­teur Jean Livet.

Emma­nuel Beau­re­paire, for­mé à l’INPG et à l’ESPCI, est phy­si­cien. Il a rejoint en 2001 le LOB (labo­ra­toire d’optique et bio­sciences) alors nou­vel­le­ment fon­dé à l’École poly­tech­nique pour déve­lop­per de nou­velles tech­niques d’imagerie des tis­sus bio­lo­giques. Son équipe a notam­ment intro­duit une nou­velle tech­nique pour étu­dier le déve­lop­pe­ment céré­bral, publiée en 2019 dans la revue Nature Com­mu­ni­ca­tions. Son par­te­naire sur ce tra­vail, Jean Livet, for­mé à l’ENS Cachan, est bio­lo­giste et tra­vaille à l’Institut de la vision (Sor­bonne Uni­ver­si­té, Inserm, CNRS) à Paris.

L’approche Brainbow

Emma­nuel Beau­re­paire et Jean Livet expliquent : « Tout cela part d’une tech­no­lo­gie de mar­quage colo­rée, l’approche Brain­bow mise au point il y a quelques années par J. Livet dans l’équipe de Jeff W. Licht­man à Har­vard, qui consiste à mar­quer indi­vi­duel­le­ment des cel­lules neu­ro­nales avec des com­bi­nai­sons de pro­téines fluo­res­centes de dif­fé­rentes cou­leurs. Nous dis­po­sons de 3 ou 4 pro­téines pri­maires, dont la com­bi­nai­son per­met d’obtenir envi­ron 200 teintes dif­fé­rentes pour mar­quer les cel­lules. Ce mar­quage per­met deux choses : d’une part, il per­met de mieux visua­li­ser l’anatomie du réseau neu­ro­nal en contras­tant les neu­rones indi­vi­duels et de voir ain­si, par exemple, com­ment l’agencement des neu­rones entre eux peut être relié à telle ou telle fonc­tion­na­li­té du cer­veau. Il per­met d’autre part de voir quelle est la contri­bu­tion d’une cel­lule souche neu­rale du sys­tème ner­veux embryon­naire à la genèse des neu­rones com­po­sant le réseau neu­ro­nal : ces recherches se font sur des cer­veaux de sou­ris ou de pou­let en développement.

“Imager un cerveau de souris entier avec une
résolution de l’ordre du micron cube.”

La microscopie multiphotonique couleur par mélange d’ondes

Cepen­dant, pour pou­voir effec­tuer de telles études, le pro­blème consis­tait à ima­ger à haute réso­lu­tion plu­sieurs mil­li­mètres cubes de cer­veau ain­si mar­qués. La nou­veau­té de notre tra­vail a donc été de mettre en place une méthode d’imagerie per­met­tant de visua­li­ser ces cel­lules mar­quées en 3D dans le tis­su céré­bral, avec une réso­lu­tion per­met­tant de dis­tin­guer leurs pro­lon­ge­ments tels qu’axones et den­drites. Nous avons uti­li­sé pour cela une tech­no­lo­gie inven­tée au LOB, la micro­sco­pie mul­ti-pho­to­nique cou­leur par mélange d’ondes, en l’occurrence des fais­ceaux lasers fem­to­se­conde, ain­si qu’un sys­tème auto­ma­ti­sé d’enregistrement de grands volumes. Cet ins­tru­ment a été déve­lop­pé dans le cadre du pro­jet Equi­pex (équi­pe­ment d’excellence) Mor­pho­scope finan­cé par le pro­gramme des Inves­tis­se­ments d’avenir. Cette tech­nique nous per­met d’imager un volume allant de plu­sieurs mil­li­mètres cubes à un cer­veau de sou­ris entier, avec une réso­lu­tion de l’ordre du micron cube. Évi­dem­ment, cela conduit à pro­duire des volumes très impor­tants de don­nées d’imagerie, et donc nous avons éga­le­ment à résoudre des pro­blèmes de ges­tion et trai­te­ment de big data ! Pour nos pre­miers tra­vaux, les ana­lyses ont été faites à la main. Mais, avec des images de quelques dizaines de mil­liards de pixels, il faut impé­ra­ti­ve­ment auto­ma­ti­ser l’analyse, ce que nous sommes en train de faire.

Notre tech­nique va appor­ter beau­coup à l’étude du déve­lop­pe­ment du cer­veau, avec de nou­velles des­crip­tions de la façon dont les cel­lules souches neu­rales construisent les dif­fé­rentes régions du cer­veau. Par exemple, nous avons déjà obte­nu une des­crip­tion nou­velle de la mise en place chez l’embryon de sou­ris du réseau des astro­cytes, ces cel­lules sup­ports des neu­rones. Notre approche per­met éga­le­ment d’étudier la connec­ti­vi­té à grande dis­tance des cel­lules entre elles. Elle inté­resse d’ores et déjà d’autres équipes de neu­ros­ciences fran­çaises et américaines. 


En 2015, Emma­nuel Beau­re­paire était lau­réat du prix Dar­ge­los.

En illus­tra­tion : Neu­rones du cor­tex de sou­ris mar­qués par la tech­nique Brain­bow et ima­gés en 3D par micro­sco­pie ChroMS (Abde­la­dim et al, Nat Com­mun 2019).

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