Emmanuel Mounier (94) : Epsiloon, ou donner l’envie de découvrir
Nos lecteurs auront sans doute suivi les récents avatars de la revue Science et Vie, et le lancement d’Epsiloon. Emmanuel Mounier (94), propriétaire de ce nouveau média, nous en dit plus.
Emmanuel Mounier, comment en es-tu venu à lancer Epsiloon [Ndlr : prononcer epsilon] ?
Retour aux sources : si j’ai fait l’X, c’est parce que, à l’âge de 10 ans, j’ai découvert à la bibliothèque du collège une revue qui m’a fasciné : c’était Science et Vie. Sans doute un peu trop pointu pour un garçon de 10 ans ! Et je suis devenu un lecteur assidu de magazines scientifiques. Vers 17 ans, je suis passé à Pour la Science. J’étais séduit par ce mélange de découverte scientifique du monde, avec aussi un peu de sensationnel. Plus tard, j’ai hésité à préparer l’X ou HEC, mais j’avais ce vrai goût pour la « tech » et l’innovation : c’est vraiment le fil conducteur de mon histoire personnelle. Et cela m’a amené à exercer aujourd’hui ce métier où on conçoit des produits qui vont donner le goût et le plaisir d’apprendre.
Et Epsiloon, dans ce parcours ?
Science et Vie a été longtemps la propriété d’un groupe italien, qui a un jour décidé de vendre sa filiale française. J’ai déjà fait – sans succès – des offres d’achat à ce moment-là, et je les ai renouvelées auprès de l’acquéreur qui a été retenu, le groupe Reworld Media, sans plus de succès. Et puis les choses ont bougé : les deux rédacteurs en chef ont démissionné, ainsi que de nombreux membres de la rédaction. Ils savaient rassembler des journalistes avec un vrai talent, et donc je leur ai proposé de nous lancer ensemble dans l’aventure d’Epsiloon. Fort de mon expérience antérieure en entreprise, j’avais fait une étude de marché : il était dominé par deux titres : Science et Vie à 140 000 abonnés et Science et Avenir à 160 000. Il y avait donc place pour un troisième ! Et nous nous sommes lancés.
Lancer un nouveau média écrit en ce moment, n’est-ce pas un défi périlleux ?
La presse écrite souffre. Mais ce sont surtout les quotidiens généralistes, comme les grands titres nationaux ou régionaux, qui souffrent : leur tirage a été réduit au quart de ce qu’il était en sept ou huit ans. Les titres des hebdos d’information (Le Point, Challenges, …) souffrent aussi, parce que ce qu’ils proposent au lecteur qui surfe sur les titres d’actualité est disponible gratuitement sur internet. La situation est différente pour les titres de référence, comme Science et Vie ou Science et Avenir, justement parce que le lecteur des informations sur internet a besoin de se tourner vers des sources de référence pour valider ce qu’il lit rapidement en ligne. Donc, pour gagner ce défi, il faut d’abord montrer qu’on est bien un média de référence.
Il faut ensuite trouver un ton. Un magazine d’actualité scientifique doit montrer en quoi la science apporte un éclairage sur l’actualité du monde. Et puis, donner la part belle à la science, montrer en quoi la science est belle et apporte quelque chose à notre société.
Avec ses liens vers des centaines de chercheurs et le talent de ses journalistes, Epsiloon veut mettre la science en scène, remettre de la beauté dans la science.
Comment se passe le lancement ?
Nous tirons pour le moment à 150 000 exemplaires. Notre première campagne de préabonnement au mois de mai dernier nous a rapporté 24 000 abonnés pour un an. Nous en sommes à plus de 30 000 aujourd’hui. Nous comptons vendre en kiosque 40 à 50 000 exemplaires, et tout cela devrait encore accélérer avec l’été.
Epsiloon n’est qu’un de tes titres. Parle-nous de ton groupe de presse.
Unique Heritage Media, que j’ai fondé en 2014, est un groupe éditeur de presse, avec une bonne quarantaine de magazines. Deux piliers importants : Fleurus Presse, qui propose des magazines à partir de l’âge de 3 ans, y compris Tout Comprendre Junior, qui est déjà un magazine pour faire découvrir la science aux enfants. Et Disney Magazines, que j’ai repris de Lagardère lorsqu’ils ont désinvesti leur activité presse, avec des titres illustres comme Picsou Magazine ou Le Journal de Mickey, qui étaient depuis 1934 publiés en France par Hachette.
Au total, nous avons plus de 550 000 abonnés et vendons 12 millions d’exemplaires par an, avec 400 publications dans l’année. Le groupe compte 120 salariés, dont les deux tiers sont des créatifs : rédacteurs en chef, journalistes, graphistes… Pour un chiffre d’affaires de 65 millions d’euros, c’est un ratio très performant. Une originalité : nous avons notre propre studio de dessinateurs, ce qui nous permet de concevoir et réaliser en interne les livres que nous publions.
Quel a été ton parcours ?
Ça vient de loin ! Ma grand-mère tenait une librairie. Ma mère était bibliothécaire dans un collège (c’est là que je suis tombé sur Science et Vie !). Donc voilà pour le goût des livres. Après l’X, j’ai passé quelques années dans un groupe industriel international, avec un métier qui me faisait passer beaucoup de temps dans les avions.
“Je veux communiquer mon enthousiasme pour la science.”
À un moment de ma vie familiale, j’ai ressenti le besoin de trouver une activité plus stable. J’avais passé vingt ans de ma vie professionnelle à aider les entreprises à développer leur stratégie, et j’ai pensé qu’il était temps pour moi de créer ma propre entreprise. L’opportunité s’est présentée avec la rencontre de l’équipe qui avait créé Quelle Histoire. J’avais les compétences pour les aider à gérer et développer leur entreprise. De même, c’est par opportunité que j’ai repris ensuite Fleurus Presse. Il fallait apporter aux créatifs un peu de rigueur dans la gestion, travailler les marchés, le positionnement, les prix… je savais faire tout cela. Au fond, l’envie de donner la curiosité intellectuelle a été toujours présente… et le hasard a bien fait les choses !
Est-ce un « vrai métier » d’ingénieur ?
On me le demande souvent ! En fait, il s’agit bien de concevoir des produits pour des marchés, avec d’ailleurs une composante « techno » de plus en plus présente. Par exemple, nous développons actuellement des applis qui permettent de flasher sur un code qui charge immédiatement un fil audio qui raconte une histoire, et permet de prolonger l’expérience qu’on peut avoir sur l’écrit. Je pense aussi à l’application Pili Pop, qui offre une méthode d’apprentissage des langues pour les 5 à 10 ans sur mobile et tablette : en s’amusant, l’enfant peut acquérir un langage d’environ 2 000 mots d’anglais !
Nous développons aussi avec la région Île-de-France des applications comme le jeu vidéo Paris Region Aventures : ce sont en tout 30 aventures, qui permettent d’explorer la région, son patrimoine culturel et ses lieux touristiques, tout en s’amusant à accomplir des « missions », en fait des jeux de piste. C’est toujours la notion de découverte qui est première.
Finalement, on peut trouver qu’on fait des choses un peu ingrates en début de carrière, mais ces choses vous préparent magnifiquement pour trouver votre chemin vers l’épanouissement personnel quand l’opportunité se présente !