Émotion
L’émotion et la surprise : pas une seule marche, dans l’aventure de la musique cultivée, qui n’ait été gravie dans le but de créer d’abord ces deux sortilèges.
Alessandro Baricco, L’âme de Hegel et les vaches du Wisconsin
Kerson Leong et le Concerto de Britten
Un nouveau disque. L’interprète vous est inconnu, l’une des deux œuvres aussi ; l’autre cent fois entendue. Vous allez l’écouter par obligation, presque avec réticence. Et c’est le coup de foudre : voilà longtemps que vous n’aviez ressenti pareille émotion. L’interprète : le violoniste canadien Kerson Leong, retenez bien son nom, vous n’êtes pas près de l’oublier. Les œuvres : le Concerto de Britten et le n° 1 de Bruch. Depuis Perlman, personne n’avait joué ainsi : un jeu solaire, à la fois charnu et élégiaque, en réalité au-delà des mots, où chaque note vous atteint au plus profond. Mme Verdurin se serait évanouie, c’est sûr. Vous vous contenterez d’être ému aux larmes en écoutant le Concerto de Britten, qui inexplicablement est peu joué et qui se révèle un des plus forts du xxe siècle, et aussi le mouvement lent du Concerto de Bruch qui vous est pourtant si familier, avec, en supplément, un poignant In Memoriam pour violon et orchestre de Bruch que vous découvrirez. Un disque exceptionnel, une « divine surprise ».
1 CD ALPHA CLASSICS
Boris Tichtchenko
Ce compositeur russe contemporain (1939−2010) vous est sans doute inconnu. Vous pouvez le découvrir, cela en vaut la peine, avec l’enregistrement des Tchalik (le Quatuor Tchalik et le pianiste Dania Tchalik) des Quatuors 1 et 5 et du Quintette avec piano. Tichtchenko, élève de Chostakovitch, a connu comme lui les incertitudes glacées du monde soviétique, face auquel il s’est inscrit comme résistant. Sa musique, proche de celle de son mentor, est d’abord ‑l’empreinte de cette lutte « entre le Bien et le Mal ». Elle vise clairement l’émotion au premier degré – écoutez le Quintette en un seul mouvement, dur, implacable. Elle ‑rappelle aussi tout ce qu’elle doit aux grands prédécesseurs, de Haydn à Webern.
1 CD ALKONOST
John Dowland (1563−1626)
Dowland a vécu dans l’Angleterre des Tudors où la mélancolie « n’était pas une maladie mais (…) un état d’esprit socialement accepté, presque à la mode. La mélancolie était associée non seulement à la tristesse mais aussi (…) au désir permanent et profondément enraciné d’un amour inaccessible, d’un monde meilleur (…) ; elle faisait partie intégrante de l’art et de la littérature. » C’est dans cet état d’esprit que Dowland a écrit les sept Pavanes « Lachrimae » que jouent les Musicall (avec deux l) Humors, six musiciens de la viole de gambe et du luth, avec 14 autres pavanes dédiées à la princesse de Danemark. Musiques exquises où l’on découvre que les larmes, comme l’écrit Dowland, « ne sont pas seulement une expression de tristesse mais aussi de joie ».
1 CD ALPHA CLASSICS
Les Symphonies de Brahms
On peut avouer sans honte être plus touché, plus ému par les Symphonies de Brahms que par celles de Beethoven. C’est que celles de Brahms s’adressent à chacun de nous, à notre « misérable petit tas de secrets » (Malraux), quand celles de Beethoven aspirent à d’autres hauteurs. Il existe d’innombrables enregistrements des quatre symphonies. Une nouvelle version est celle du Luzerner Sinfonieorchester dirigé par Michael Sanderling. Brahms, on le sait, était à la fois un musicien couvert d’honneurs, au sein de l’establishment viennois de la fin du xixe siècle, et un être tourmenté ; tourmenté par la mort de son mentor Robert Schumann qui l’avait aidé, à 20 ans, à se faire connaître et par ses relations avec Clara Schumann. La version du Symphonique de Lucerne est équilibrée, ne recherchant pas le pathos, mais typiquement romantique. Elle saura vous émouvoir.
5 CD WARNER