Emploi, croissance et monnaie : pour une nouvelle politique
Quelle politique économique proposer aujourd’hui aux vieux pays industriels de l’Union européenne ? L’emploi y est la question majeure, mais elle n’est pas la seule. En effet, d’une part ceux qui souffrent du chômage sont, non seulement blessés dans leur dignité, mais également dans leurs moyens d’existence. D’autre part, un nombre croissant de ceux qui ont un emploi ne disposent que d’un faible pouvoir d’achat. Aussi faut-il lier au problème de l’emploi celui du niveau de vie, autre composante essentielle de nos inégalités. Double problème social, qui appelle une réponse économique.
Dans ce contexte s’affrontent, depuis le début des années 80, deux projets politiques qui prétendent résoudre le problème de l’emploi : “ l’authentique ” libéralisme et le partage du travail.
Examinons un moment les perspectives qu’ils nous promettent, avant de voir si une troisième politique ne serait pas plus opportune.
Le « pur » libéralisme, creuset d’une société duale
L’une des composantes du « pur » libéralisme est la politique dite « de l’offre ». Elle consiste à donner aux entreprises en activité et aux détenteurs de capitaux susceptibles de financer la création d’unités nouvelles le plus possible de ressources. Elle pousse à accroître les profits plutôt que les salaires – du moins ceux des salariés moyens et modestes – afin que ces profits soient réinvestis par les entreprises ou distribués aux ménages relativement aisés, qui vont pouvoir financer l’innovation, créant des emplois : au XIXe siècle, les salaires versés aux nouveaux embauchés qui, sans travail ni protection sociale, vivaient jusqu’alors sur les ressources de leurs proches, venaient augmenter le pouvoir d’achat global, même si ces salaires étaient peu élevés ; ainsi « l’offre créait sa propre demande ».
Une telle politique est aujourd’hui sans doute encore efficace dans les pays où la part de population sans emploi salarié est très élevée et la protection sociale quasi inexistante. Aux États-Unis, proches par certains côtés du XIXe siècle et par d’autres du XXIe siècle, le jeu libéral a également été poussé plus loin que dans d’autres pays industriels ; les résultats en ont été positifs en termes d’emplois, mais accompagnés d’effets négatifs sur le niveau de vie des catégories sociales moyennes et modestes. En Europe de l’Ouest, seul le Royaume-Uni, à l’initiative de Lady THATCHER, a joué pleinement le jeu libéral ; si l’on se fie à ses statistiques de chômage, il en a lui aussi tiré profit en matière d’emploi, mais la pauvreté s’y est développée de manière sensible.
Dans les autres pays de l’Union européenne, et en France en particulier, l’expérience libérale n’a pas jusqu’ici été poussée aussi loin : les gouvernements successifs, qui l’ont bon gré mal gré pratiquée quelle que soit leur couleur politique, ont cherché à en atténuer les conséquences sociales. La dureté de la concurrence internationale a cependant conduit à limiter le niveau des bas salaires, notamment chez les jeunes, et à alléger certaines charges sociales ou fiscales pesant sur les entreprises. Les effets de stimulation de l’embauche que certains en attendaient ont été faibles : une entreprise ne crée pas un emploi seulement parce que cela ne lui coûte pas cher, mais parce qu’elle en a besoin. Quant à l’effet de ces mesures sur le pouvoir d’achat des ménages, il a été plutôt négatif, car il a fallu alléger en compensation certaines prestations sociales et transférer une partie des charges des entreprises sur les ménages. Si au total la marche vers une société duale a été plus lente dans ces pays qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis, elle n’en est pas moins engagée : en France, en une douzaine d’années, l’augmentation du pouvoir d’achat de la masse des salaires nets a été voisine de 10 % et celle des revenus du capital allant aux ménages de près de 50 % ; depuis le début des années 80, l’ampleur des inégalités sociales s’accroît, contrairement à ce qu’on observait les 25 années précédentes.
Il n’est pas alors étonnant que, depuis quelque quinze ans, le taux de croissance de ces pays atteigne à peine, bon an mal an, les 2 % qui étaient à peu près le taux moyen du XIXe siècle. Cette croissance fait la synthèse d’un progrès sensible pour une minorité et d’une quasi-stagnation, parfois même une régression, pour la majorité. Devant ce bilan, certaines voix dans notre pays, d’autres en Europe et dans les instances internationales, insistent cependant pour que le mouvement engagé non seulement se poursuive, mais s’accentue. On peut craindre malheureusement qu’à long terme1 la situation ne s’améliore pas, qu’il s’agisse de croissance, d’emploi ou d’inégalités sociales. Car c’est dans la nature même d’une politique « purement » libérale de produire les effets que nous venons d’observer. C’est bien pour cela qu’on en a dans le passé atténué les effets négatifs pour en faire en Europe de l’Ouest, jusqu’au début des années 80, ce « capitalisme rhénan » – mélange de compétition et de solidarité – dont Michel ALBERT a décrit les mérites. Certes, cette politique a des vertus d’efficacité. Mais, propice à ceux qui ont le privilège de l’héritage ou la chance d’être « très doués », elle laisse sur le bord de la route, par la dureté de son pouvoir sélectif quand on le pousse à l’extrême, une part importante de la population. Les gens soucieux d’éthique ne peuvent accepter cette politique que si elle s’accompagne d’un effort considérable de formation, d’insertion et d’adaptation – qui coûtera cher aux entreprises et à la société – ainsi que du maintien ou de la mise en place de structures de solidarité qui soient autre chose que des structures d’assistance.
Mais le problème n’est pas que social. Si la politique en question n’a pas suscité durablement une plus forte croissance, c’est parce que la satisfaction des besoins des catégories sociales qu’elle privilégie se suffit de la croissance actuelle. Pour en provoquer une plus forte, il faudrait que soient davantage solvables les besoins insuffisamment satisfaits des catégories moyennes et modestes, besoins qui sont considérables. Faute de cette solvabilité, nos entreprises manquent de clients. Ainsi le système actuel s’il se prolongeait irait – lentement sans doute, mais sûrement – vers une impasse économique, tout en risquant d’aboutir à une explosion sociale.
Le partage du travail ou l’alternative malthusienne
À cette politique est opposée, depuis deux décennies, une alternative présentée par certains comme la clé du problème de l’emploi : le partage du travail. Cette idée, soutenue par des gens généreux, par solidarité avec les chômeurs, ne pouvait a priori susciter que la sympathie. Elle vient d’aboutir à un projet de loi instaurant une réduction générale de la durée hebdomadaire légale du travail de 39 à 35 heures, avec des incitations publiques à des embauches compensatrices et – en principe – le maintien du salaire du personnel actuellement occupé.
Beaucoup de partisans de ces mesures se sont laissé convaincre par les nombreux économistes qui, observant depuis près de vingt ans une croissance inférieure en moyenne à 2 %, en ont déduit qu’une croissance durablement plus forte était dorénavant impossible. Ils n’imaginent pas que la faiblesse de la croissance passée ait pu venir de l’inadaptation de la politique économique, et qu’on puisse changer l’avenir de l’emploi en changeant cette politique. Ils se résignent ainsi au partage de la pénurie, donnant au problème du chômage une solution malthusienne qui, renonçant à créer autant qu’il le faudrait pour mieux répartir, va renforcer les inégalités sociales, sans résoudre vraiment le problème de l’emploi.
Au cours des débats qui ont entouré l’annonce du projet gouvernemental, on a souvent laissé de côté l’examen objectif des modalités dudit projet pour faire de ce qui va être un difficile problème de gestion économique un simple problème d’affrontement politique et social : droite contre gauche, patronat contre salariés. Voyons plutôt ce qu’on peut concrètement attendre des mesures annoncées.
Au départ, le projet de passage à la semaine de 35 heures a cru pouvoir s’appuyer sur des travaux d’économistes selon lesquels il en résulterait une baisse massive du chômage. L’arithmétique qui les fondait était simpliste : les 18,7 millions de salariés travaillant chacun 4 heures de moins » libéreraient » 75 millions d’heures, permettant à 75⁄35 = 2,1 millions de chômeurs de travailler à temps complet. Une masse indifférenciée d’heures allait pouvoir être distribuée à des êtres abstraits, sans localisation géographique ni qualification spécifique.
Certes, si la mesure doit être en principe générale, les modalités de sa réalisation doivent être négociées par branches et entreprises. Mais ce n’est pas seulement chaque entreprise qui pose un problème particulier, c’est chaque poste de travail. La réduction de l’horaire d’un actif occupé n’étant que de 4 heures, il faudra, pour embaucher un chômeur à temps complet, diminuer les horaires de 9 personnes accomplissant des tâches suffisamment voisines. Ce peut être le cas des ouvriers d’un grand atelier utilisant des machines analogues ou des caissières d’un hypermarché. Mais leurs horaires ne sont-ils pas souvent déjà réduits ? Plus généralement, les salariés travaillant déjà à temps partiel (30 % des femmes) ne seront pas concernés. Quant à l’artisanat et aux très petites entreprises industrielles, qu’ils appliquent la baisse d’horaires en question demain ou en 2002, ils réduiront leur production. Le petit commerce n’embauchera pas. Beaucoup de postes de cadres ne pourront pas être confiés 4 heures par semaine à un autre titulaire. Il en sera de même pour certains travaux très spécialisés de bureau ou d’atelier.
Certains ont suggéré de développer le travail par équipes, qui permet une utilisation plus continue des équipements, d’où des progrès de productivité. Mais il concerne principalement les ouvriers de la grande industrie, soit une part aujourd’hui réduite des salariés ; il y est souvent déjà pratiqué, avec des horaires de 35 heures ou moins. Et il est peu réaliste d’envisager son extension – surtout la nuit – aux emplois de bureau, aux commerces et à la plupart des services.
Conscients de ces obstacles, d’aucuns en concluent que leur levée suppose un réaménagement complet des structures et des tâches. La réalisation risque toutefois d’en être difficile, et, si elle débouche – ce qui est souhaitable – sur une gestion plus rationnelle, il n’est pas sûr qu’elle entraîne de nombreuses créations d’emplois. Elle peut même en supprimer. D’autant qu’installer de nouveaux postes de travail coûte cher. Quant aux emplois qui seront proposés, tous ne trouveront pas nécessairement leur contrepartie parmi les demandeurs locaux : même aujourd’hui des offres ne trouvent pas preneur.
Le passage aux 35 heures devrait en principe se faire sans baisse de salaire. Qu’en seront les effets sur les coûts ? Certains ont estimé que leur hausse serait évitée grâce aux progrès de productivité que susciterait la mesure elle-même. Cette hypothèse est contradictoire avec l’éventualité de créations massives d’emplois. En fait, les deux hypothèses sont l’une et l’autre peu réalistes. Supposer en effet que les personnes qui vont trouver ou retrouver ainsi un emploi se révéleront toutes, d’entrée de jeu, non seulement aussi bien adaptées, mais mieux adaptées à leurs nouvelles fonctions que celles les exerçant déjà, c’est supposer que les entreprises ont bien mal choisi leur personnel actuel.
Le projet de loi2 semble s’être efforcé de limiter les hausses de coûts. Ainsi les entreprises qui voudront garder leurs horaires antérieurs en payant les 4 heures dépassant désormais la durée légale à un tarif supérieur de 25 % au tarif normal n’augmenteront leur coût salarial que de 2,5 %, c’est-à-dire dans une proportion voisine du taux habituel de hausse ces dernières années, hausse à laquelle celle résultant de la nouvelle loi devrait toutefois se substituer la première année et non s’ajouter, si l’on veut éviter cette année-là un « surcoût ». Dans ces entreprises, toutefois, il n’y aura pas d’emploi créé au titre de la loi nouvelle.
Quant à celles qui, passant à 35 heures et les payant 39, pourront satisfaire aux conditions d’embauche permettant de bénéficier des aides publiques annoncées (9 000 francs par salarié de l’entreprise – et pas seulement par nouvel embauché – en 1998), elles devraient atténuer fortement l’impact de la loi sur leurs coûts. Mais l’expérience de la loi ROBIEN a montré les limites de l’efficacité d’incitations de même nature : les engagements demandés en matière d’emploi étaient restreints dans le temps et les allégements de charges accordés importants et durables. Or les créations d’emplois qui en ont résulté sont estimées à 17 000, ce qui n’est pas rien, mais est modeste. C’est le signe d’une prudence en matière d’embauche qui risque d’être plus grande encore avec une baisse d’horaires imposée.
Reste le cas des entreprises qui passeront aux 35 heures et seront amenées à continuer à les payer 39 sans pouvoir satisfaire à la condition du minimum de 6 % d’embauches nécessaire pour bénéficier des aides publiques. Elles verront leur compétitivité subir un coup assez rude (+ 11,4 % de hausse de leur salaire horaire) qu’elles risquent d’être contraintes à « amortir » les années suivantes en freinant la hausse de leurs salaires. Leurs salariés se verront offrir du temps libre à la place des augmentations de pouvoir d’achat qu’ils auraient eues « normalement ». Or, sauf quand on leur propose à la fois « le beurre et l’argent du beurre », les réponses aux enquêtes montrent qu’aujourd’hui, ce que veulent les salariés, c’est davantage de pouvoir d’achat.
Des observations qui précèdent, il résulte que, plus la loi en gestation comportera de dispositions impératives et générales, plus elle risque d’entraîner des tensions sur les prix, des menaces pour la compétitivité, des freinages du pouvoir d’achat des salariés actuellement occupés, et dans certains cas des baisses de production, tout en ayant peu de chances de créer de nombreux emplois. Il faut souhaiter que les solutions mises en œuvre en définitive soient souples et diversifiées, jusqu’à varier poste par poste dans chaque entreprise. Leur étalement dans le temps devrait permettre d’en infléchir à l’usage les modalités, voire d’en arrêter la réalisation si leurs effets se révélaient par trop négatifs. Car – les commentaires venus ces derniers mois de divers pays européens l’ont montré – nos partenaires ne semblent pas mûrs pour nous imiter de sitôt : nos meilleurs amis craignent que notre « attrait » pour les 35 heures ne soit guère cohérent avec l’engagement européen de notre gouvernement, et quelques autres se réjouissent plus ou moins discrètement de notre éventuelle perte de compétitivité ou de possibles délocalisations futures vers leur propre espace de certaines unités de production « hexagonales ».
Tout cela nous rappelle qu’une baisse de la durée du travail, pour être sans risque économique, ne peut être que l’un des fruits d’une augmentation suffisamment forte de la productivité, que seule peut permettre une forte croissance. Elle sera alors nécessairement lente et non brutale.
Comme le « partage » du travail n’est pas la bonne réponse au problème du chômage et que la poursuite du « toujours plus libéral » ne résout tant bien que mal ce problème qu’au prix du niveau de vie de la majorité de la population et risque ainsi de conduire à terme à une impasse économique et sociale, il faut chercher autre chose.
Pour la croissance, une politique de la demande
À la base de cette recherche, rappelons un constat tiré de multiples observations dans le temps et l’espace : le progrès de l’emploi, comme celui du niveau de vie, ne peut, pour l’essentiel, venir que de la croissance.
Une opinion malheureusement par trop répandue prétend qu’aujourd’hui « la croissance » crée peu d’emplois. Mais de quelle croissance s’agit-il ? La relation entre croissance et emploi montre en effet qu’à condition d’être suffisamment forte et durable (4 % par an au moins), la croissance est aujourd’hui très féconde en emplois, plus féconde que jamais. À titre d’exemple, de 1965 à 1968, un taux de croissance de 5,2 % en moyenne a suscité en France la création « nette » (créations moins suppressions) de 176 000 emplois par an ; or en 1988–1989, avec un taux de 4,4 %, on a recensé 354 000 créations nettes annuelles. C’est lorsqu’elle est faible que la croissance est peu riche en emplois ; lorsqu’elle est très faible (par exemple voisine de 1 %), voire – si l’on peut dire – négative, ce sont même les suppressions d’emplois qui l’emportent, et cela plus que naguère, tant la concurrence est dure, créant chez les dirigeants d’entreprise l’obsession de la réduction de leurs charges, y compris de leurs effectifs.
Comment alors « inventer » la croissance forte et durable qui nous est nécessaire ? Balayons d’abord toute ambiguïté. Ayant affirmé précédemment que ce dont nos entreprises ont besoin, c’est d’abord de clients, nous en déduirons qu’il nous faut demain plus que jamais, ainsi qu’à tous nos partenaires européens actuels, une politique de la demande. Mais dire cela n’est pas négliger le rôle de l’offre dans la dynamique de la croissance, c’est vouloir lui donner enfin les moyens de s’exprimer. Car l’innovation et l’amélioration de la qualité des produits restent, comme jadis, d’indispensables facteurs du progrès. Il ne s’agit donc pas d’opposer la demande à l’offre, mais de les articuler en quelque sorte l’une à l’autre, pour susciter, mieux qu’aujourd’hui, une synergie de croissance.
La demande dont nos entreprises ont besoin leur viendra pour une part de l’extérieur. C’est pourquoi elles doivent garder la compétitivité et le dynamisme commercial qu’elles ont conquis depuis quelques années. Mais le progrès de la demande extérieure ne peut suffire à un pays de la dimension de la France (alors que, par exemple, il est la condition numéro un de la prospérité d’un pays comme les Pays-Bas). Elle n’est pas, à plus forte raison, suffisante au vaste ensemble de pays économiquement interdépendants que constitue l’Europe et qu’elle constituera encore davantage à l’heure de l’euro. Il nous faut en France et plus encore en Europe fonder d’abord notre croissance sur notre demande interne.
La nécessité de mieux solvabiliser les besoins des catégories sociales moyennes et modestes ne signifie pas que nous devions négliger la satisfaction des besoins des catégories plus favorisées. Celles-ci participent de façon spécifique à la dynamique de croissance par le rôle qu’elles jouent dans le processus de diffusion de l’innovation et par l’apport de leur épargne au financement des investissements. L’objectif d’une réduction raisonnable des inégalités sociales ne doit donc pas être recherché en déshabillant Pierre pour habiller Paul. Certes les catégories aisées doivent participer plus que les autres au financement des services collectifs et de la solidarité, compte tenu de leurs facultés contributives. Mais leur pouvoir d’achat, sans s’accroître aussi vite en pourcentage que celui des moins favorisés, doit continuer à connaître une progression qui leur permette à la fois d’améliorer leur qualité de vie et de poursuivre leur effort d’épargne.
Les besoins des catégories moyennes et modestes sont considérables, tant en ce qui concerne les services collectifs (éducation, santé, environnement écologique, sécurité, justice, etc.) que les biens et services individualisés. Le financement des services collectifs fait appel à la dépense publique, jugée déjà trop importante. Constater que certains de ces jugements relèvent d’une attitude a priori « anti-État » plus que d’une analyse économique sérieuse ne veut pas dire pour autant qu’il ne faille pas choisir avec pertinence l’usage des ressources publiques. Une croissance plus forte accroîtrait celles-ci. Mais pour le moment ni le climat « psycho-politique » ni la situation économique n’invitent dans l’Union européenne à proposer un accroissement sensible de la dépense publique.
Les critères du traité de Maastricht n’y sont pas pour rien. On ne peut que regretter la rigidité excessive du critère par lequel est limité au chiffre tabou de 3 % du PIB le déficit des administrations publiques. Cette réserve ne signifie pas qu’un pays puisse avoir en la matière n’importe quel déficit. Mais on peut démontrer, à partir d’observations faites en France et à l’étranger, que le déficit en question, tant qu’il reste dans des limites raisonnables (même au-delà des stricts 3 %), n’a pas lieu de se faire imputer un effet inflationniste ; la hausse des prix, quand elle existe, a d’autres causes. D’autre part tout praticien chevronné de l’analyse économique conviendra que le déficit atteint chaque année dans chaque pays doit faire l’objet d’une interprétation en fonction de la conjoncture. Cela dit, si l’on peut discuter le traité de Maastricht, on ne peut en faire abstraction. La demande publique ne peut donc être actuellement utilisée comme facteur de croissance autant qu’il serait souhaitable.
Quant à la demande des ménages, son progrès repose sur l’évolution de leur pouvoir d’achat. Celle-ci dépend pour une part de la protection sociale, limitée aujourd’hui par l’insuffisance des recettes. Une amélioration des prestations ne saurait être attendue que du retour d’une croissance forte. Sans cela le risque serait que, peu à peu, les prestations soient mises « sous condition de ressources » et que l’on aille ainsi – sans doute à petits pas – vers un système d’assistance aux situations de pauvreté, financé par l’allégement des versements aux catégories moyennes, lesquelles, se paupérisant lentement, prépareraient les exclus de demain. L’évolution récente de la politique familiale française est une première étape dans cette voie.
Productivité et pouvoir d’achat : le poids croissant des secteurs tertiaires
S’il y a ainsi peu d’espoir pour que, dans un proche avenir, une demande plus soutenue passe par la mise en œuvre d’une protection sociale plus active, c’est de l’évolution des salaires directs que l’on va attendre le progrès de la demande des ménages. La hausse des salaires unitaires est cependant limitée par le risque d’inflation par les coûts. On peut démontrer que les coûts unitaires des différents facteurs de production (travail, capital, matières premières et énergie), c’est-à-dire leurs prix ou leurs taux de rémunération, ne doivent pas au total augmenter davantage que la productivité de l’ensemble de ces facteurs. Sinon, inéluctablement, les prix de vente augmentent. Les salaires étant, au plan national, la principale composante des coûts, la hausse « nominale » des salaires unitaires (c’est-à-dire la progression en pour cent du salaire par tête mesuré en francs « courants ») doit s’ajuster le plus possible à l’accroissement en pour cent de la productivité.
En termes « réels », c’est-à-dire en termes de pouvoir d’achat, la masse des salaires ne peut en fait s’accroître que par deux canaux : l’augmentation de la productivité et celle de l’emploi. On a pu ainsi calculer qu’au cours des décennies 60 à 80 les deux tiers environ de la masse du pouvoir d’achat supplémentaire ont eu pour source la productivité, le tiers restant provenant de l’accroissement de l’emploi. Depuis lors, la part relative due à l’emploi a diminué. Mais en montant absolu l’apport de la productivité a diminué lui aussi.
Car la productivité croît aujourd’hui sensiblement moins que naguère. Cela tient d’une part au fait que la croissance est relativement faible, et que la productivité est corrélée positivement avec la croissance (la productivité progresse d’autant plus que la croissance est forte, les facteurs de production « fixes » contribuant alors à la production d’un plus grand nombre d’unités). Mais cela tient surtout au fait qu’à croissance égale de la production, la productivité a toujours beaucoup moins augmenté dans les secteurs dits « tertiaires » (les « services« 3) que dans les autres secteurs, notamment l’industrie. Or, de décennie en décennie, la place que tiennent les secteurs tertiaires dans l’appareil productif augmente sans cesse. Aujourd’hui, les services marchands représentent près de la moitié du Produit intérieur brut, et les services non marchands 17 % ; l’industrie ne correspond plus qu’au quart du PIB, le bâtiment et les travaux publics à 5 % et l’agriculture à 4 %. Le résultat en est que le pouvoir d’achat qui naît de l’accroissement de la productivité ne suffit plus à générer la demande – et par là la croissance – qui serait nécessaire.
Faut-il en conclure qu’il n’y a plus d’espoir de hausse forte et durable du pouvoir d’achat des ménages ? Non, car les activités tertiaires ne sont pas nécessairement condamnées pour toujours à n’avoir qu’une faible productivité. Ceux qui le croient prennent implicitement pour références le modèle industriel et le rôle joué dans l’accroissement de la productivité par le progrès technique. Mais dans le commerce ou les services, l’usage d’équipements ne tient qu’une place modeste ; la productivité y résulte essentiellement de la demande. Si un coiffeur recevait trois clients par heure au lieu de deux, il améliorerait sa productivité de 50 % ; il en irait de même pour un restaurateur qui accueillerait quinze clients au lieu de dix. La source de productivité est ici commerciale et non plus technique.
Entre la productivité technique et la productivité commerciale, il existe une grande différence : le progrès de la première se réalise au stade de la production du bien, avant qu’il ne soit commercialisé ; le progrès de la seconde se fait au moment de la vente, et il naît de la demande elle-même. On pourrait donc, dans les secteurs tertiaires, avoir une productivité plus grande que jusqu’ici et générer en aval plus de pouvoir d’achat, si l’on donnait aux clients éventuels les moyens d’entrer plus souvent dans les boutiques. Mais pour que cette demande s’exprime, il faut qu’il y ait déjà un pouvoir d’achat disponible. Ainsi, en « régime de croisière », le rythme de croissance s’entretient de lui-même. Mais dès qu’un événement quelconque ralentit le mouvement, il faut pour qu’il reprenne qu’intervienne une impulsion exogène. D’où peut alors venir cette « injection » de pouvoir d’achat ? Cette question nous invite à nous interroger sur le processus par lequel s’exprime concrètement la demande et se réalise son accroissement.
Monnaie et crédit : leurs liens avec prix et croissance
Pour pouvoir faire un achat, il faut disposer de moyens de paiement. Ces moyens de paiement, c’est de la monnaie, que les ménages et les entreprises détiennent sous la forme de billets ou de dépôts à vue dans les banques ou les chèques postaux, sur lesquels à tout moment ils peuvent tirer un chèque. L’ensemble de ces moyens de paiement constitue la masse monétaire M1, selon le langage des spécialistes.
Ces moyens de paiement « circulent » entre les ménages et les entreprises. Si les ménages veulent acheter davantage, la première solution qui se présente à eux est d’utiliser au maximum les sommes qui figurent sur leur compte bancaire et les billets qu’ils détiennent. Autrement dit, ils tendent à réduire au minimum leurs encaisses oisives, leur argent qui dort. Au plan global, on dit qu’alors la « vitesse de circulation » de la monnaie s’accroît.
Dans un second temps, les ménages qui souhaitent dépenser davantage peuvent transformer de l’épargne, plus ou moins « liquide », en moyens de paiement. Ils « désépargnent ». L’épargne rémunérée la plus aisément transformable en monnaie est celle qui figure sur les comptes dits « sur livret », tels les livrets de Caisse d’Épargne. Cette épargne est de nature monétaire, mais elle n’est pas directement « moyen de paiement » ; elle ne le devient qu’après transformation en M1. Elle est regroupée au plan national avec M1 dans un « agrégat monétaire » appelé M2 par les spécialistes. C’est par excellence l’épargne des catégories sociales moyennes et modestes, bien que des ménages aisés en détiennent aussi.
Un troisième ensemble regroupe l’épargne qui s’ajoute à M2 pour composer l’agrégat monétaire M3. On y trouve les dépôts à terme, les SICAV monétaires, les bons de caisse, etc. Leurs détenteurs appartiennent en général à des catégories sociales plus aisées que les précédentes. Leur épargne est plus stable. Mais en cas de besoin, ils peuvent, au prix d’une opération de désépargne un peu plus complexe que dans le cas de M2, transformer leur épargne en moyens de paiement.
Quand leur besoin de moyens de paiement ne peut être suffisamment satisfait en tirant sur leur épargne, les ménages ont recours au crédit. Une autre source de moyens de paiement est la transformation de devises étrangères en monnaie nationale auprès des banques et, par leur intermédiaire, auprès de la Banque centrale : elle est utilisée principalement par les entreprises exportatrices (celles qui importent opèrent en sens contraire), mais aussi par les touristes et les autres ménages en relation avec l’étranger.
Compte tenu de l’analyse qui précède, il n’est pas étonnant qu’entre l’évolution des moyens de paiement et celle du montant des transactions pratiquées dans un pays au cours d’une période (un mois, une année…) il existe une relation. Le montant de l’ensemble des transactions effectuées en un mois ou une année dans un pays étant difficile à mesurer, on a pris comme approximation de l’évolution de ce montant celle de la valeur de la production réalisée dans le pays considéré au cours de la même période. La théorie veut que la monnaie en circulation soit égale à la richesse ainsi produite : MV, soit la masse monétaire multipliée par un coefficient rendant compte de la vitesse de circulation de cette monnaie, est égale à PQ, soit les prix P multipliés par les quantités produites Q. Les observations faites en divers pays, dont la France, en comparant dans le temps l’évolution de M et celle de PQ, et celles faites à diverses époques, en étudiant la corrélation entre masse monétaire et valeur de la production de différents pays, ont mis en évidence dans le passé la suffisante fiabilité de cette théorie.
Cette liaison entre la variation de la masse monétaire M1 et celle de la production, c’est-à-dire du Produit intérieur brut (PIB), s’est remarquablement vérifiée en France entre 1959 et 1972 : M1, corrigée de la hausse des prix, c’est-à-dire exprimée en pouvoir d’achat, a progressé de 5,6 % par an, exactement au même taux moyen annuel que le volume du PIB. Entre 1973 et 1996, en revanche, la même masse monétaire ne s’est accrue que de 0,4 % par an, ce qui correspond à une forte restriction des moyens de paiement. Il en est résulté une augmentation de la vitesse de circulation de la monnaie – c’est-à-dire que les ménages ont réduit leurs » encaisses oisives » – mais aussi un ralentissement considérable de la croissance, par insuffisance de pouvoir d’achat.
C’est que, s’ils ont fait descendre le plus bas possible leurs réserves monétaires, les ménages moyens et modestes ont peu » désépargné « , parce qu’ils avaient peu d’épargne, comme l’a montré la faible progression, puis la stagnation, de l’agrégat M2. L’épargne des catégories aisées, largement présente dans l’agrégat M3, a évolué en bien meilleure harmonie avec la production nationale, mais, les besoins de ces ménages étant beaucoup mieux satisfaits, cette épargne s’est peu transformée en moyens de paiement.
Sauf quelques rares années, le développement du crédit a été faible pendant cette période. Les ménages ne recourent au crédit que lorsqu’ils pensent avoir des chances suffisantes de pouvoir rembourser ultérieurement leur dette. L’inquiétude quant à l’avenir de l’emploi et des retraites comme aux perspectives d’évolution des salaires n’a pas été propice à leur endettement. Quant aux entreprises, elles empruntent lorsqu’elles doivent faire des paiements supérieurs à leurs rentrées. La faiblesse des hausses de salaires, de l’embauche et des investissements ne les a pas poussées à s’endetter.
Le poids croissant des services, tant dans la consommation des ménages que dans le PIB, a joué dans le même sens. Il y a, en effet, de grosses différences entre les produits manufacturés et les services quant à l’endettement des ménages que leur achat peut générer. Lorsqu’il s’agit de biens durables d’un prix élevé (automobiles, appareils électroménagers) il y a longtemps que les acheteurs ont recours au crédit. Mais ces achats n’augmentent plus que lentement. La consommation de services au contraire est en expansion. Mais, dans leur cas, le crédit ne joue guère.
Des différences existent aussi quant aux politiques d’endettement de la part des entreprises industrielles et tertiaires. L’activité des services ne nécessite ni stocks ni investissements lourds ; il y a donc là moins d’occasion de recours au crédit. Alors que dans l’industrie les salaires sont versés avant que les produits ne soient vendus, le personnel des activités tertiaires est rémunéré en général après que la prestation ait été fournie ; quand il y a hausse des salaires unitaires, le relais par le crédit n’est de ce fait guère nécessaire.
En définitive, la part toujours croissante prise par le tertiaire dans notre économie est et restera sans doute peu favorable à un développement suffisant de l’endettement et des moyens de paiement qu’il engendre. L’essentiel de la création monétaire provenant aujourd’hui de l’endettement, il va en résulter un manque de monnaie qui freinera en permanence la demande.
Jusqu’ici, les autorités monétaires des pays européens, non seulement ne se sont pas substituées à cette défaillance, mais ont mené une politique qui l’a plutôt renforcée. Leur mission en effet n’est pas de stimuler la croissance, mais d’empêcher l’inflation. Elles ont depuis longtemps fondé leur action sur la relation rappelée plus haut entre masse monétaire et valeur de la production nationale. Leur indicateur de masse monétaire a d’abord été – à juste titre – M1, mesure des moyens de paiement eux-mêmes. Leur prudence les a incitées par la suite à lui substituer M2, pour mieux tenir compte des risques de désépargne brutale, puis M3, incluant ainsi des parts croissantes d’épargne stable dans ce qui, théoriquement, devait mesurer toujours les moyens immédiats de paiement. En principe, en freinant le développement de la masse monétaire, elles « maîtrisaient » l’évolution du couple « prix x quantités ». Les thèses monétaristes les ont persuadées que leur action allait diminuer ainsi la hausse des prix. En fait, celle-ci, sous la pression de la concurrence internationale et de la montée du chômage, s’est freinée toute seule, car elle résultait essentiellement de l’évolution des coûts, et non plus – comme naguère – de l’insuffisance de l’offre en face de la poussée de la demande. Les prévisions de prix P figurant dans la relation entre M et PQ étant, à la fois, de plus en plus réalistes et de plus en plus modérées, le freinage de M, visant à freiner PQ, ne freinait pas P (c’était déjà acquis) mais Q, c’est-à-dire la croissance de la production. Ainsi la prudence des Banques centrales, parfaitement justifiée dans les années 60 et 70, est-elle devenue peu à peu excessive.
La méthode qu’elles employaient et qu’elles emploient toujours pour agir sur la masse monétaire est d’autre part plus adaptée au freinage de la croissance qu’à sa stimulation. La monnaie étant essentiellement une monnaie d’endettement, toute action visant à la création de monnaie doit passer, selon les pratiques actuelles, par l’intermédiaire d’une action sur les taux d’intérêt. Or, si la montée de ceux-ci réussit en général assez vite à freiner le crédit, la baisse des mêmes taux, ceux du marché monétaire, s’est révélée lente et peu efficace lorsqu’il s’agissait de susciter l’endettement.
Création monétaire et capacité de production : vers un ajustement permanent
Il faut pourtant créer dorénavant davantage de monnaie, et par d’autres moyens que l’endettement des ménages et des entreprises via le maniement des taux d’intérêt. Jusqu’en 1973, la Banque de France pouvait créer de la monnaie pour financer des dépenses du Trésor public ; une loi l’a alors interdit, ce qui pouvait à l’époque s’expliquer pour bloquer toute tentation de laxisme budgétaire. Le traité de Maastricht a généralisé cette interdiction, ce qui dans la décennie 90, étant donné les contraintes résultant de la mondialisation, était beaucoup moins justifié. La FED américaine, au contraire, peut le faire, car elle est responsable de la croissance comme de l’inflation, et elle ne se prive pas de créer de la monnaie quand c’est nécessaire pour sauvegarder la croissance.
L’une des raisons de la prudence excessive des autorités monétaires européennes est la crainte d’une expansion trop forte des moyens de paiement par rapport aux capacités de réponse de l’appareil productif. Et il est vrai qu’il faut que l’offre puisse faire face à la demande. Encore faut-il, pour déterminer la demande que l’on juge tolérable, avoir une vision correcte des capacités de production.
Or la référence là encore prédominante au seul appareil productif industriel amène à sous-estimer la souplesse actuelle d’adaptation de l’offre à la demande. Cette souplesse est plus grande dans les secteurs tertiaires : les capacités de production potentielles y sont plus abondantes qu’on ne croit. Certes il ne faut pas se faire « pièger » par ce qui reste des « goulots de production » industriels. Mais la disparition des frontières économiques en Europe, comme l’ouverture de celles de l’Europe sur le grand large, atténuent fortement ce risque.
La programmation de la masse monétaire à créer4 devrait donc se baser dorénavant sur les capacités de production potentielles, et non pas sur la seule production prévue par les conjoncturistes et largement basée sur les tendances observées dans le passé récent. Il ne s’agit pas en effet ici de mettre en place une relance conjoncturelle et de « laisser faire » ensuite, mais de mener une politique de régulation monétaire permanente. Cela suppose que l’on donne au Conseil français de politique monétaire, comme c’est le cas pour la FED, la mission de soutenir la croissance et pas seulement de maîtriser l’inflation. Car c’est à lui qu’il faudrait confier la nouvelle politique monétaire. Si en effet il s’agit bien de créer de la monnaie ex nihilo, il ne s’agit évidemment pas de fabriquer des billets sans un rigoureux contrôle. La politique mise en œuvre devrait être stimulante quand la demande observée serait insuffisante. Les autorités monétaires pourraient alors dire à l’État : « il serait sage dans les mois qui viennent d’injecter 15 ou 20 milliards de francs dans le circuit ». Les bénéficiaires seraient choisis par le gouvernement en fonction de sa politique économique ou sociale. Les modalités d’action pourraient être très diverses, visant à stimuler, selon la conjoncture observée, tantôt la demande privée – celle des ménages ou celle des entreprises -, tantôt la demande publique. Pour donner des exemples, on pourrait y trouver un supplément de prime de rentrée scolaire ou la prise en charge d’une part des intérêts dus par les accédants à la propriété. Bien entendu, si la masse monétaire progressait spontanément trop vite (car le crédit continuerait à jouer son rôle) et que des tensions inflationnistes apparaissaient, une politique restrictive, de nature monétaire ou fiscale, pourrait être menée. Cela supposerait, bien sûr, que l’appareil d’information sur les moyens de paiement, l’épargne liquide, les capacités de production, etc., soit développé et réagisse rapidement pour éclairer les décideurs.
Ces mêmes conclusions devraient inspirer la future Banque centrale européenne. Le problème en effet est moins pour nous de savoir s’il faut, et avec qui, adopter un jour prochain la monnaie unique (celle-ci, bien gérée, peut être un moyen de donner à l’Europe plus de poids dans les affaires économiques, financières et sociales du monde), que de voir lucidement quelle politique monétaire commune on fera alors. Cela suppose d’abord que l’on convainque un nombre suffisant d’économistes européens, ainsi que nos principaux partenaires politiques dans l’Union européenne, de l’opportunité d’une politique nouvelle permettant en quelque sorte d’alimenter régulièrement en carburant le « moteur économique » européen. Celle proposée ici voudrait conjuguer dynamisme et sagesse, et, annoncée haut et clair comme étant destinée à durer, elle pourrait redonner aux acteurs économiques de l’Europe et – pourquoi pas ? – à ses acteurs démographiques, la confiance dans l’avenir dont ils ont besoin.
______________________________________
1 L’année 1997 située sur la partie ascendante du « cycle » a été relativement bonne.
2 Tel qu’il est connu au moment où sont écrites ces lignes.
3 Les « services » comprennent de nombreuses activités : éducation, hygiène, santé, commerce, transports, hôtellerie, restauration, etc.
4. Rappelons que la création monétaire est aujourd’hui complètement « déconnectée » de l’or. Elle n’en est pas moins soumise à des contraintes, dont celle de la politique de change.