Emploi et carrières : le fil conducteur
Le diplôme de l’X n’est plus un talisman contre les accidents de carrière, s’il le fut jamais. Améliorer la situation globale de l’emploi des polytechniciens implique que les actions ciblées menées par l’AX soient amplifiées et relayées par l’École, pour amener tous les élèves à vraiment prendre en main la gestion de leur carrière.
REPÈRES
Pendant de nombreuses années, Michel Prudhomme a animé des ateliers et séminaires à l’AX : ateliers « Curriculum Vitae « , pour les élèves présents à l’École ; ateliers » Début de carrière « , pour les promotions 2001 à 2006 ; ateliers » Premiers emplois « , pour les promotions 1995 à 2000 ; et séminaires « Recherche d’emploi », pour tous les camarades. Il a ensuite reçu individuellement la plupart d’entre eux. Si on y rajoute les personnes qu’il rencontre dans son métier de coach ou à l’AX, il dispose d’un échantillon représentatif des situations d’emploi et de carrière des polytechniciens, qu’il peut comparer aux autres écoles.
Les carrières des X sont extrêmement variées comme le montre un certain nombre de cas typiques présentés dans ce dossier : conseil, finance, recherche, expatriation, recherche d’emploi, fin de carrière. Cette observation soulève la question suivante : qu’est-ce qui fait la différence ? Avec la même formation de départ, pourquoi tant de diversités, de réussites éclatantes et d’échecs patents ? Est-ce la chance ? Je ne crois pas : il faut aller chercher du côté des caractéristiques individuelles.
Deux qualités et un défaut
Formule 1 ou 4 x 4
J’ai dans l’esprit l’image suivante, très personnelle, mais qui me sert souvent : le jeune polytechnicien est une voiture de course. Il va très vite, a besoin d’une piste réservée, est difficile à piloter, peut sortir de la route. D’autres écoles produisent plutôt des modèles plus proches du 4 x 4 tout-terrain.
Est-ce l’École qui nous les a donnés, ou bien sommes-nous rentrés à l’École parce que nous les avions ? Toujours est-il que nos camarades ont, en général, deux qualités et un défaut. La première qualité est la curiosité intellectuelle : un intense bouillonnement d’idées, une capacité à analyser et à synthétiser, à découvrir et à innover dans les situations les plus complexes, à trouver des solutions. Et la seconde, c’est le sens des valeurs : respect des engagements, du devoir, droiture, rejet des compromis et compromissions. Le défaut, c’est souvent une certaine rigidité psychologique : difficulté à se remettre en question, résistance au changement, tout d’une pièce.
Début de carrière
Je crois que plus des deux tiers d’une promotion de jeunes sont dans le privé cinq ans après la sortie de l’École. Or qu’observons-nous ? La voiture fonctionne souvent avec le même moteur : la satisfaction intellectuelle de résoudre des problèmes complexes. Si c’est ce que demande l’entreprise, tout va bien. Si ce n’est pas le cas, ou plus le cas, il y a problème.
Il est dangereux de ne pas avoir de projet professionnel à 30 ans
Premier exemple : les responsabilités d’encadrement. La demande peut arriver très tôt, et réussir comme manager nécessite la mise en œuvre d’autres moteurs, comme le sens politique ou les contacts humains, par lesquels notre jeune camarade est surpris. Autre exemple : le changement de métier. Nombre d’entre eux veulent quitter la recherche, avoir un travail plus concret. Réussir ce premier changement n’est pas facile. Il est normal que notre jeune camarade n’ait pas de projet professionnel en sortant de l’École, il est par contre dangereux de ne pas en avoir à 30 ans : il faut donc bâtir ce projet en début de carrière.
Vers 30 ans
C’est à cet âge que les différences commencent à se faire sentir. Certains ont piloté leur projet, ont généré la confiance et fait preuve de suffisamment de stabilité pour avoir eu une ou deux belles promotions. D’autres ont papillonné, passant d’un centre d’intérêt à un autre, acquérant des compétences très variées sans encore avoir de métier, pensant ainsi se préparer à des postes de direction générale. Certains ont changé leur premier moteur, et adopté un mode de propulsion hybride, positif (goût du concret, besoin de résultats, envie de réaliser) ou négatif (goût du pouvoir, besoin de visibilité) selon les dispositions naturelles de chacun. D’autres ont même oublié qu’ils avaient un moteur et continuent à l’alimenter. Connaître ses forces et faiblesses, être clair avec soi-même sur ses freins et moteurs, ainsi que sur ses motivations profondes, se fixer des objectifs à cinq ans, à dix ans me semble indispensable vers 30 ans.
Vers 45 ans
Situations difficiles
Un exemple est celui de « l’ours savant « , très compétent dans un domaine technique pointu, et qui n’a pas réalisé qu’il était exploité par son employeur depuis dix ans. Il le sera jusqu’à ce que ce domaine disparaisse de l’actualité, et ce jour-là il se trouvera dans une impasse.
Les différences sont établies. La plupart ont réalisé leur projet professionnel, en l’adaptant au fur et à mesure aux contraintes de la vie. Peu importe qu’il y ait eu une ou deux périodes difficiles, une sortie de route ou une panne sèche : la voiture avance et c’est heureusement le cas majoritaire. Par contre, il y a des situations difficiles et à cet âge, le marché ne fait plus de cadeaux. Et malheureusement, l’employabilité de certains s’avère problématique et peut conduire à des situations comme celles pour lesquelles la Caisse de secours intervient.
Vers 55 ans
Cas extrêmes
Quelques candidatures d’anciens X révèlent des traits de caractère parfois caricaturaux. Ainsi, celui qui, à 40 ans, indique sur son CV son rang de sortie de l’École polytechnique. Certains, ayant fait tous les métiers, estiment pour l’avenir ne pouvoir en faire qu’un seul, celui de directeur général. D’autres, ayant fait du conseil pendant quelques années dans un grand cabinet anglo-saxon, pensent ne pouvoir intégrer un grand groupe qu’à un poste de direction de centre de profits.
Gérer la fin de sa vie professionnelle n’est pas aisé. Et pourtant, c’est encore une histoire de moteur. Celui qui est adapté dépend de chacun, mais doit absolument favoriser le plaisir de travailler. En effet, beaucoup ressentent à cet âge l’envie de faire quelque chose de différent : quitter le salariat, se mettre à son compte, faire du bénévolat, diminuer son rythme de travail. Dans mon Cabinet, l’expérience nous montre tous les jours que la plupart sous-estiment les difficultés et se lancent à fond sans préparation préalable.
Prendre en main sa carrière
Même si on oublie certains cas atypiques, il n’en reste pas moins que la situation globale de l’emploi des polytechniciens n’est pas aussi facile que ce que l’on pourrait croire.
L’intérêt de l’employeur et celui de l’intéressé peuvent ne pas coïncider
L’améliorer par des actions ciblées comme l’AX le fait depuis des années est nécessaire, mais pas suffisant : c’est à l’École même que le message doit passer, comme il passe dans d’autres écoles à vocation plus commerciale. Le message, c’est d “abord qu’une carrière se construit et se pilote par l’intéressé lui-même. Et aussi que l’intérêt de l’employeur et celui de l’intéressé peuvent ne pas coïncider : il faut donc savoir rester et changer à bon escient. Il faut aussi comprendre que si le capital d’employabilité est le même au départ pour tous, il faut savoir le faire fructifier et ne pas le dilapider dès 30 ans. Enfin, ne pas oublier qu’on ne travaille pas que pour soi, mais aussi (et surtout) pour une entreprise.