Employabilité et polytechniciens : le regard d’un DRH
Face à un imprévu de carrière, les X sont souvent désarmés, faute d’avoir consacré assez de temps et d’attention à leur employabilité. Il faut savoir prendre le temps de réfléchir à son métier, s’assurer que ses compétences sont utilisables ailleurs, entretenir son réseau et rester à l’écoute du marché de l’emploi.
REPÈRES
À tout moment, un changement d’actionnaire, une réorganisation liée par exemple à une fusion-acquisition ou la nomination d’un nouveau patron sont susceptibles de remettre en cause la nature de son poste voire son existence. Cependant, on n’est malheureusement pas toujours » protégé » par ses compétences, l’atteinte des objectifs fixés et l’attachement à son entreprise. On peut alors se retrouver confronté à la perspective d’un départ non désiré et qu’on n’avait en aucune manière anticipé. Dans certains cas, cela se produit sans aucun égard pour le travail réalisé dans le passé et sans logique apparente, ce qui déstabilise un peu plus la personne en cause.
La plupart des X ont une approche rationnelle de la vie en entreprise et ils se comportent donc généralement en » bons élèves « , ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu de leur formation initiale.
La vie en entreprise n’est pas toujours « juste »
Ils ont souvent la conviction que, s’ils accomplissent correctement les tâches qui leur sont confiées, ils sont à l’abri de tout incident de carrière. Cela les conduit à se consacrer pleinement à leur entreprise sans rester connectés avec le monde extérieur et sans s’assurer qu’ils sont en phase avec l’évolution du marché de l’emploi.
Il ne s’agit pas bien sûr ici de critiquer l’investissement qu’on doit avoir dans son travail quotidien et la nécessaire conscience professionnelle. L’exercice de responsabilités requiert une grande disponibilité et le souci de maintenir un niveau d’exigence élevé dans la réalisation de ses missions. Par ailleurs, la fidélité à une entreprise dans laquelle on se sent bien demeure une qualité appréciable.
Savoir tourner la page
Projet professionnel
L’X en repositionnement professionnel fait part de son envie d’occuper des postes très différents les uns des autres et parfois décalés par rapport à ceux qu’il a tenus précédemment. S’y ajoute d’ailleurs une difficulté à expliciter son métier : lorsqu’on est directeur administratif et financier, chacun comprend ce dont il s’agit, quand on est manager « généraliste », comme c’est le cas de beaucoup d’X, c’est souvent moins clair, d’où une impression de confusion.
Les X ne constituent donc pas la population la mieux préparée à ce genre d’événement, en tout cas pour ceux d’entre eux qui le vivent pour la première fois.
La remarque précédente n’est pas une considération théorique mais s’appuie sur des faits réels, observés lors d’entretiens avec des X qui traversent un épisode de ce type.
Ils manifestent un sentiment d’incompréhension face à une situation qui ne semble pas cohérente puisqu’ils n’ont (en général) pas démérité et donc admettent avec difficulté que ce n’est plus le sujet et qu’il convient maintenant de tourner la page. Ce n’est pas l’apanage des X mais ceux-ci ont peut-être moins que d’autres intériorisé le fait que la vie en entreprise n’est pas toujours » juste » et que, contrairement à un concours, des bonnes notes aux épreuves ne suffisent pas forcément à garantir le succès.
Entretiens à préparer
La mauvaise préparation des entretiens est étonnante : même si on n’est pas dans le cadre d’un entretien de recrutement formel pour une entreprise, il serait normal de s’être renseigné sur cette entreprise, ses métiers, son marché, son actualité. Or, la plupart du temps, ce travail amont qui semble évident n’a pas été fait. Cela donne une impression de dilettantisme et si, avec quelqu’un de bienveillant, lors d’un entretien » réseau « , les conséquences sont limitées, l’effet peut être désastreux avec un recruteur éventuel.
Retour à la réalité
Paradoxe
On relève souvent une contradiction étonnante avec le stéréotype de l’X rationnel et analytique : pas ou peu de méthodologie dans la démarche. À titre d’exemple quand on demande à un(e) camarade s’il (elle) a consulté méthodiquement la liste des entreprises du SBF 120 en repérant celles qui ont une activité identique ou connexe à la sienne et en définissant une stratégie d’approche, la réponse est souvent non.
Une autre observation que j’ai pu faire est le manque de réalisme par rapport au marché de l’emploi et, en tout cas en début de recherche, ce sentiment que, compte tenu de sa valeur, on n’a pas d’effort particulier à faire pour qu’une entreprise reconnaisse nos compétences, réputées grandes, par construction, puisqu’on est polytechnicien. Certains émaillent la conversation des noms de tous les dirigeants qu’ils connaissent (et avec lesquels ils ont une proximité réelle ou supposée telle) et donnent donc maladroitement l’impression à leur interlocuteur qu’ils n’ont pas vraiment besoin de ses conseils.
L’attention portée aux techniques de base nécessaires pour sa recherche est parfois insuffisante : pas de CV à jour ou CV mal rédigé avec des acronymes incompréhensibles pour quelqu’un d’extérieur à son entreprise, difficulté à se présenter de manière concise en expliquant ses principales compétences et ce qu’on peut apporter à une entreprise, quasi-inexistence d’un réseau professionnel externe à l’entreprise, méconnaissance des cabinets de recrutement de son secteur.
Réseau mal exploité
Courtoisie et efficacité
Après avoir été reçu en entretien, la courtoisie (et l’efficacité) requiert d’envoyer un mail de remerciement et de tenir au courant de l’avancée de sa recherche, en particulier auprès des contacts qui auraient été communiqués lors de cet entretien.
Enfin, le réseau, composante fondamentale d’une recherche d’emploi efficace, est parfois mal utilisé. On a le réflexe naturel de contacter d’abord des personnes que nous connaissons bien mais, sauf si ce sont des amis proches, cela ne dispense en rien de se préparer soigneusement avant l’entretien (voir observations précédentes).
Pour en avoir discuté avec des collègues DRH, nous connaissons un certain nombre d’exemples d’X qui se sont conduits de manière désinvolte dans une situation de ce type et se sont ensuite étonnés du caractère infructueux de l’entretien.
Une employabilité à cultiver
En conclusion, toutes les remarques précédentes paraissent simplistes mais elles correspondent néanmoins à une réalité vécue, et comme toute activité, notre employabilité demande une attention particulière et se développe rarement spontanément.
Ne pas hésiter à avoir de temps en temps des entretiens externes exploratoires
Il ne s’agit pas de changer de poste constamment car, pour pouvoir démontrer des réalisations concrètes, un minimum de constance est nécessaire, mais de se ménager un peu de temps en dehors du quotidien opérationnel qui nous happe sans cesse.
Ce temps doit être mis à profit pour avoir une vision claire de son métier et de ce qu’on sait faire, s’assurer que ses compétences sont exportables dans une autre entreprise, valider auprès de son réseau en sollicitant des feed-back sur son parcours, ne pas hésiter à avoir de temps en temps des entretiens externes exploratoires.
Ces précautions d’usage étant effectuées, on peut d’autant mieux s’investir dans son entreprise : tant que tout se passe bien, qu’on participe à un projet motivant et qu’on prend du plaisir dans son poste, avec son patron, ses collègues et ses collaborateurs, il n’y a en effet aucune raison d’en changer.