En Asie, le poids croissant de la Chine
Dans les années qui viennent, la Chine va être la plus grande base industrielle de construction de centrales nucléaires du monde, à l’échelle de cet immense pays.
Plusieurs pays asiatiques ont déjà un programme et une base industrielle. C’est le cas pour la Corée, le Japon, l’Inde et la Chine. Ces pays représentent 90 % des centrales nucléaires actuellement en construction dans le monde (si l’on exclut la Russie, 70 % si on l’inclut), et la Chine, à elle seule, 55 %.
Repères
Alors que se dessine ce que l’on a pris l’habitude d’appeler, peut-être un peu hâtivement, la » renaissance du nucléaire « , il y a en Asie des pays qui n’ont pas d’histoire industrielle nucléaire et envisagent de lancer un programme. Ce sont le Viêtnam, la Thaïlande et l’Indonésie. Ces pays manifestent aujourd’hui une forte volonté politique de s’engager dans la production d’électricité nucléaire et l’ambition d’atteindre selon les cas un, deux ou quatre GW en exploitation en 2020. Ils font l’objet de beaucoup d’attention et de convoitise de la part des fournisseurs d’équipements. Le Viêtnam sera sans doute le premier de sa catégorie. Parviendra-t-il à lancer la première unité en 2015 comme il l’affiche ? Le choix du fournisseur et de la technologie qu’il fera aura une forte influence sur le développement nucléaire dans la région.
Le poids industriel de ces pays restera faible pour les deux décennies à venir.
La Corée exploite 20 réacteurs et va poursuivre son programme avec quelques unités dans la prochaine décennie. Son principal industriel Doosan a une ambition et commence à jouer un rôle international.
Le Japon au troisième rang mondial
Le Japon avec 55 réacteurs en exploitation (troisième rang mondial) et trois réacteurs en construction est une puissance nucléaire de premier plan. Il est cependant très fragilisé par des problèmes successifs d’exploitation, de sûreté et de transparence, avec en toile de fond un profond déficit d’acception publique du nucléaire. Les problèmes techniques rencontrés à Monju et Rokkasho-Mura qui vont conduire à de nouveaux retards, et la catastrophe sismique qui a provoqué l’arrêt de sept tranches de TEPCO à Kashiwasaki-Karina sans perspective précise de remise en service, rendent ce paysage encore plus sombre.
Le Japon affiche une volonté de développement du nucléaire domestique
Pourtant le Japon affiche une volonté de développement du nucléaire domestique et plus encore international, ambitieuse et même agressive. Orchestrée par le METI, elle s’appuie sur les grands constructeurs japonais, Toshiba, Hitachi et Mitsubishi. Ceux-ci sont-ils à même de relever le défi ? Le rachat de Westinghouse par Toshiba pourrait s’avérer être une pierre d’achoppement pour les constructeurs japonais.
Connaîtra-t-il le succès escompté en Chine ? Franchira-t-il le stade de la licence par la NRC pour être construit en série aux USA dans la prochaine décennie comme l’affirme Toshiba ? Il est plus vraisemblable que Toshiba, s’il digère cet achat, continuera de construire le programme bouillant japonais avec ses alliés GE et Hitachi devenus récemment partenaires. Le programme nucléaire d’un Japon entré en récession et dont le principal électricien est financièrement très affaibli ne dépassera pas un réacteur tous les trois ou quatre ans. MHI après le » choc Westinghouse » poursuit le licensing de son APWR pour le vendre aux USA, et aussi le développement avec Areva du réacteur de 1 000 MW pour le marché des pays émergents. La réalité de la » renaissance nucléaire « , en particulier aux USA, et son calendrier seront donc déterminants pour les constructeurs japonais.
L’Inde entre maîtrise industrielle et choix de technologie
L’Inde est un cas particulier. Elle dispose d’un parc CANDU de 4 500 MW qu’elle a développé elle-même depuis l’embargo qui l’a frappée en 1974.
L’embargo sur les équipements nucléaires en Inde a été levé
Elle dispose donc d’une organisation et d’un tissu industriel autonomes. 660 MW de sa propre filière et 2 VVER de 1 000 MW fournis par la Russie sont en construction en Inde en plus d’un RNR de 500 MW.
Après trois ans de négociation internationale et de tractations internes, l’embargo sur les équipements nucléaires a été levé. Quels seront le volume et le calendrier du programme » importé » indien ? On parle de 20 GW en 2020.
Des choix préalables sont à faire qui pourraient prendre du temps :
1) celui de l’organisation industrielle : NPCIL a été le concepteur-constructeur-exploitant national. Il vient de signer avec l’électricien national NTPC un accord pour le développement du nucléaire. Sont-ils prêts à renoncer à leur maîtrise industrielle pour adopter un schéma clé en main ?
2) celui du modèle technologique : les Indiens commettront-ils l’erreur des Chinois dans les années quatre-vingt-dix d’investir simultanément dans quatre filières différentes ? Sinon dans laquelle ? La russe en cours de construction ? L’américaine en reconnaissance de la levée de l’embargo ? La française du fait de son avance industrielle ? Ou la japonaise ? Ces questions attendent leur réponse.
En Chine, le plus grand programme nucléaire du monde
La Chine, elle, a lancé la construction de 10 GW entre 1985 et 1995 dans quatre technologies différentes, puis, après dix ans d’interruption, a engagé en 2004 ce qui va être le plus grand programme nucléaire du monde.
Des centrales thermiques à bas coût
La Chine a lancé en 2003 un programme de centrales thermiques qui utilisent les technologies les plus récentes et atteignent des rendements de 43 à 45 %. Depuis trois ans la Chine met en service 90 GW de centrales thermiques par an, soit 1 600 MW par semaine. Avec comme conséquence un coût de construction qui est proche du tiers (500 dollars par kW) des coûts rencontrés en Occident.
En parallèle avec les projets de construction de l’AP1000 et de l’EPR qui ont en Chine le caractère de test, ce programme est lancé sur la base de la technologie CPR1000 qui a pour référence le 1 000 MW français progressivement modernisé depuis Daya Bay. Le modèle industriel qu’elle a choisi est celui du constructeur-exploitant mis en œuvre pour la construction du programme français.
Il y a aujourd’hui 10 GW (10 réacteurs) en construction en Chine (sur les 23 en construction dans le monde dont 16 en Asie). La Chine va lancer la construction de 10 GW en 2009 et autant en 2010. Si l’on exclut les AP1000 et les EPR cela représente 7 unités CPR1000 par an et il est vraisemblable que la Chine continuera à ce rythme au long de la prochaine décennie. La Chine aurait ainsi environ 70 GW en exploitation et 35 en construction en 2020. Ce sont d’ailleurs les nouveaux chiffres officiels de la planification chinoise.
De la même manière que pour les centrales thermiques (voir encadré), par son volume et sa rapidité, le programme d’équipement nucléaire chinois va provoquer une baisse du coût des équipements comparable à ce qu’a connu la France dans les années quatre-vingt. De récentes études réalisées en Chine parlent déjà d’un coût de 1 100 dollars par kW pour le CPR1000. Mais il va aussi provoquer le déplacement vers la Chine des fournisseurs de l’industrie nucléaire mondiale. Cela est d’autant plus important pour la France que l’évolution des équipements et des standards chinois risque d’influencer fortement son parc en exploitation.
Dix fois plus que l’Occident
Il est difficile de savoir quand et à quel rythme la » renaissance du nucléaire » va se faire en Occident. Son poids industriel en dépendra grandement car, même si on peut espérer une ou deux unités par an aux États-Unis à partir de 2010 et une unité par an au Royaume-Uni à partir de 2012, en Asie, c’est plutôt dix unités par an qui seront construites, dont la plupart en Chine. Celle-ci construit la base industrielle pour fabriquer les équipements nécessaires à ce programme. Elle pèsera lourd sur la carte industrielle du nucléaire mondial.