En corps, Le Monde d’hier, Allons enfants, Contes du hasard et autres fantaisies, À l’ombre des filles
Le succès de la première livraison de notre nouvelle rubrique, consacrée au cinéma, ne pouvait que nous convaincre de récidiver ! dont acte… Même en format court, la question est : survoler ou approfondir ? Choix difficile. Croisés récemment, sept films. Et de quoi réfléchir. « Diable, diable, dit-il en se grattant la tête » (Victor Hugo, Les pauvres gens).
Gardons-en cinq.
En corps
Réalisateur : Cédric Klapisch – 2 h
Très bien…
Ils sont tous excellents là-dedans : François Civil, kinésithérapeute pleurnichard, Denis Podalydès, juste et retenu, Marion Barbeau, hésitation et grâce, Pio Marmaï, explosif, jovial et roboratif, Muriel Robin, humaine, exacte, Souheila Yacoub, éclatante de vitalité. La danse (classique, contemporaine) en de formidables moments d’élégance et de force. L’intrigue ? Bien ficelée. Un traumatisme sentimental, un accident osseux, une jeune en recherche d’elle-même, douleur du passé, espoirs du présent. Soi, les autres, par petites touches, jolies scènes, attentes, doutes, frustrations, déceptions, rires. Et vivre encore, obstinément.
Le monde d’hier
Réalisateur : Diastème (Patrick Asté) – 1 h 29
Beaucoup de fées au chevet de ce film.
Au scénario, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, du Monde, Christophe Honoré (prix Louis-Delluc 2018, le « Goncourt » du cinéma) ; côté acteurs Léa Drucker, Denis Podalydès, Jacques Weber, Thierry Godard… C’est bien filmé, bien rythmé, bien joué, et la fascination pour les lieux et les arcanes du pouvoir fonctionne… Grande et petite politiques, présidence sortante affaiblie et malade, problèmes familiaux, tensions relationnelles ambiguës voire indéchiffrables, extrême droite au bord de remporter l’élection, financement russe et valises de billets, le crime d’État comme solution, le suicide comme horizon… Très intéressant, mais la barque est un peu trop chargée pour une réussite complète.
Allons enfants
Réalisateur : Thierry Demaizière et Alban Teurlai – 1 h 54
Battage médiatique. Inter-views extasiées. Léa Salamé dithyrambique sur France Inter. Et ? Des gosses de milieux difficiles, empêchés, qui flirtent avec la déscolarisation (et plus si affinités) et qu’on prétend remettre dans leur meilleur chemin de vie grâce au hip-hop. Histoire vraie, lycée Turgot, Paris, année scolaire 2018–2019. On peut adhérer. On peut aussi y lire comme moi la mise en scène d’un aveuglement éducatif. De l’adrénaline au gymnase, certes, mais ailleurs, lors de séquences académiques réduites au minimum, le monologue inutile d’enseignants sans dynamisme productif. Peinture de l’illusion pédagogiste au service du désinvestissement des élèves. Dans une société qui ne fournit aucun argument pour valoriser l’intégration par l’épanouissement des acquis intellectuels, il faut agir différemment. À voir pour se faire sa propre religion.
Contes du hasard et autres fantaisies
Réalisateur : Ryūsuke Hamaguchi – 2 h 01
Ambiguïtés universelles, ici japonaises et féminines. Trois contes en trois phrases : deux amies se disputent le même homme / elle tend un piège sexuel qui échoue au prof de fac qui a humilié son amant / elles se croisent sur un escalator et, l’une prenant l’autre pour l’ancien amour qu’elle n’est pas, elles vont quand même, dessillées, jouer à faire semblant. La critique évoque Éric Rohmer, Hong Sang-soo, le festival de Berlin 2021 décerne l’Ours d’argent… Soit, mais trois contes, dont un (le troisième) touchant, font-ils un film ?
À l’ombre des filles
Réalisateur : Étienne Comar – 1 h 46
Surtout pour Alex Lutz, formidable et subtil, haute-contre déprimé, prof de chant pour femmes en prison. D’étranges et beaux passages. Un chemin sans but, mais enfin un chemin, qui donne au film, dans l’étonnement du spectateur, une force étrange et certaine.