En immersion au sein du régiment du service militaire adapté en Polynésie
De mi-décembre 2013 à avril 2014, j’ai connu en Polynésie française une expérience probablement unique. Mais revenons en arrière. Après un mois de classe à La Courtine, je décide de partir à Saint-Cyr- Coëtquidan pour goûter plus largement les spécificités de l’armée de Terre. Autant dire que je n’ai pas été déçu du voyage.
REPÈRES
Le SMA – Service militaire adapté – a été créé en 1960 à la suite de troubles sociaux aux Antilles. Il avait pour but d’encadrer et de former la jeunesse défavorisée guyanaise et antillaise. Le régiment du Service militaire adapté de Polynésie française a été fondé en 1989.
Dans “ La bataille ou la tempête1 ”, bretonne
J’y ai trouvé pendant deux mois et demi ce que j’étais venu chercher, et bien plus encore : rusticité, adaptabilité, adrénaline. Entre parcours d’obstacles ou parcours « Guyane », tir au Famas et au pistolet automatique, sans compter la semaine d’aguerrissement au fort de Penthièvre, tous les ingrédients étaient réunis pour « devenir soi-même ».
“ Tous les ingrédients étaient réunis pour devenir soi-même ”
Certes, ce serait faire de la langue de bois que de dire que tout était drôle et agréable, les conditions climatiques ajoutant souvent un handicap. Mais les difficultés ont sans nul doute été une source d’enseignement riche humainement.
J’en retiens d’une part l’esprit de cohésion et d’abnégation, notamment au sein de la section. D’autre part, ce sont ces diverses activités qui ont fait pour moi de « Coët » une vraie expérience à vivre.
MAEVA I TAHITI2
Un style de vie et un rêve d’aventures.
À la fin de cette formation, choix cornélien s’il en est, j’ai dû choisir le régiment où j’allais servir. Mon choix s’est porté sur le RSMA de Polynésie française. Trois raisons motivaient cette décision : l’expérience de commandement proposée dans le stage, le caractère social de la mission du régiment, la découverte d’une nouvelle culture.
Je vous emmène donc à 16 000 kilomètres de Paris. Pour mieux comprendre ce que j’ai pu faire en Polynésie, il me semble indispensable de revenir sur ce qu’est le RSMA.
Il s’agit en effet d’une entité très particulière au sein des armées. Comme tous les autres régiments du SMA, il a pour but de donner une formation civique et professionnelle aux jeunes des territoires d’outre-mer en proie à des difficultés scolaires ou sociales.
Les jeunes recrutés sont souvent sans diplôme et parfois confrontés à des situations familiales complexes. Par ailleurs, la consommation de la drogue locale – le « paca » – est un véritable fléau parmi les jeunes des quartiers défavorisés et ne fait qu’amplifier les problèmes déjà présents.
En plus de la formation professionnelle d’une durée de dix mois environ, les jeunes se voient offrir la possibilité de passer le permis de conduire, ainsi que des cours de remise à niveau scolaire. L’objectif du régiment in fine est de les insérer sur le marché du travail.
Aspirant SEBY, au rapport
Au cours de ma période au sein du RSMA, j’ai occupé à deux reprises – janvier puis mars – le poste d’officier adjoint auprès du commandant d’unité. Concrètement, j’ai rempli des missions pour soutenir le capitaine commandant la compagnie de formation professionnelle.
RÊVE D’AVENTURES
D’un point de vue militaire, le SMA est affilié aux troupes de Marine, et avec le recul, je suis fier d’avoir servi au sein de cette famille. Les troupes de Marine sont bien plus qu’une arme, c’est « un état d’esprit, un style de vie et un rêve d’aventures » diront les anciens comme les nouveaux. Les traditions y sont riches et fortes.
En premier lieu, j’ai mis en place, à la demande de l’état-major, une convention de partenariat entre les unités de la Marine basées au port de Papeete et le RSMA-Pf.
Cet accord permet aux jeunes marsouins3 de la filière soudeur, nouvellement créée, d’effectuer une partie de leur formation dans les ateliers de la Marine. Expérience fort intéressante puisqu’elle m’a permis d’avoir des liens avec une autre composante de l’armée française, mais aussi avec les lycées professionnels des environs.
Ensuite, toujours au titre de ces missions de soutien, j’ai mis en place une lettre de communication diffusée au sein du régiment. Ce travail a facilité mon immersion parmi les cadres militaires ainsi que parmi les jeunes stagiaires polynésiens.
Focus sur les missions de recrutement
Lors de ma période de stage, l’opportunité m’a été offerte à deux reprises d’effectuer des missions de recrutement au profit du RSMA.
“ L’objectif du régiment est d’insérer les jeunes sur le marché du travail ”
Dans les faits, cela signifie partir dans l’une des nombreuses îles de Polynésie, y passer entre deux et quatre jours pour prospecter, informer les jeunes présents qui n’ont souvent pas de perspectives d’avenir puisque peu d’emplois sont offerts sur leur île natale.
Je suis donc parti une première fois sur l’île de Kauehi dans l’archipel des Tuamotu, puis une seconde fois sur l’île de Rurutu dans les Australes – l’état-major du régiment et deux compagnies sont basés à Tahiti, dans l’archipel de la Société.
N’ayons pas peur des mots, ces deux courts séjours étaient tout simplement « bluffants ». Les gens y sont incroyablement accueillants et chaleureux, les visites sur l’île étant très rares.
Au cours de ces missions, j’ai pu faire aussi des activités avec les locaux après la journée de travail. À Kauehi, j’ai été invité à une pêche sous-marine au fusil. Les mauvaises langues diront que j’ai fait « échec mission » en termes de poissons attrapés, mais le repas du soir auquel j’ai été convié a tout de même été mémorable, car mes « gentils organisateurs » locaux n’avaient pas leur pareil à la gâchette.
“ VOYAGE AU BOUT DU MONDE ”
Le RSMA-Pf a cette particularité que ses compagnies sont dispersées sur les différents archipels de Polynésie, un espace aussi vaste que l’Europe.
Kauehi, dans l’archipel des Tuamotu.
L’objectif du SMA est d’être présent au sein des archipels afin d’offrir à tous les jeunes Polynésiens la possibilité d’accéder à la formation du RSMA-Pf.
J’ai été envoyé au sein de la compagnie présente sur l’île de Tubuai, dans l’archipel des Australes, pour étudier la possibilité d’introduire un module d’apiculture dans la filière agriculture.
Parallèlement, j’ai participé à des cours de soutien scolaire auprès des stagiaires. Comme lors des missions de recrutement, une impression d’isolement vis-à-vis de la frénésie du monde moderne se fait sentir. Toute la vie de l’île est rythmée par l’activité de la compagnie du régiment et des ravitaillements.
Mais, contrairement au recrutement, ma présence a duré un mois. Autant dire que j’y ai goûté à une autre manière de vivre. Au bout d’un mois donc, j’avais l’impression de tourner un peu en rond lors de mon temps libre, au sens propre comme au figuré, car l’île n’a que deux routes : une circulaire et une transversale.
Mais le dépaysement et l’accueil de la population ainsi que les activités de la compagnie ont donné une saveur très agréable à cette période.
Armée, sport et cohésion
DÉPAYSEMENT
La vie sur certaines îles est plutôt surprenante. On y trouve très peu de voitures par exemple, une seule route pour toute l’île, un « centre-ville » qui se résume à une rue alignant le médecin – le taote – la poste, le policier municipal – le mutoi –, l’infirmière, l’église, l’épicerie et un guichet de banque. Enfin, le ravitaillement de l’île se fait par bateau depuis Tahiti tous les quinze jours ou trois semaines, voire plus suivant les conditions climatiques.
Robinson Crusoé pourrait y élire domicile.
Enfin, je ne peux terminer sans évoquer les diverses activités sportives auxquelles j’ai pu prendre part au sein du régiment. Féru d’athlétisme et de course à pied, j’ai participé au semi-marathon de Moorea – île sœur de Tahiti située à 17 kilomètres – aux côtés de plusieurs cadres militaires et stagiaires du RSMA.
Satisfaction renforcée par ma victoire sur cette course avec un passage à la télévision locale.
Participation également à plusieurs entraînements de cyclisme sur les routes de Tahiti, et à des séances de Va’a, la pirogue polynésienne traditionnelle, pratique sportive dans laquelle les jeunes stagiaires excellent.
À chaque fois, cohésion, esprit de compétition et bonne humeur ont été de la partie. Un excellent moyen de prendre part activement à la vie régimentaire.
Un an après
Un an après la fin de cette expérience de première année à l’École polytechnique, je retiens de ma période à Saint-Cyr la capacité que l’on peut avoir à surmonter la difficulté, notamment grâce à la force du groupe.
“ Il faut avoir le cœur d’un matelot et celui d’un soldat ”
De ma période tahitienne et plus généralement polynésienne, l’immersion au sein de l’institution militaire par l’intermédiaire de mon statut d’officier du RSMA-Pf a pleinement mis en exergue la responsabilité qui incombe à l’élève polytechnicien que je suis, aujourd’hui et à l’avenir.
Enfin, la découverte de l’altérité et d’une nouvelle culture donne à ma formation militaire et humaine une dimension à mes yeux unique. Découverte conjuguée à des rencontres riches en amitiés qui perdurent aujourd’hui et dont je me réjouis largement.
Pour venir au RSMA-Pf, il faut avoir “ le cœur d’un matelot et celui d’un soldat4 ”. Car suivre les traces de Bougainville et Gauguin pour un Voyage au bout du monde5 peut relever de l’aventure ou encore du périple au long cours.
Mais soyez sûr que vous ne pourrez contenir une certaine peine au moment de quitter la Polynésie et les gens qui en sont l’âme.
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1. Extrait du refrain de l’hymne de l’infanterie de Marine.
2. “ Bienvenue à Tahiti ” en tahitien.
3. Nom donné aux jeunes du RSMA, tradition des troupes de Marine oblige.
4. Extrait du refrain de l’hymne de l’infanterie de Marine.
5. Titre d’un film de Jacques-Yves Cousteau, qui fut officier de la Marine puis explorateur océanographe.
Les compagnies du RSMA-Pf sont dispersées sur les différents archipels de Polynésie, espace aussi vaste que l’Europe.