En immersion avec les polytechniciens engagés à la Protection civile
Invitée par Damien Bradelle (2020) à découvrir la Protection civile Paris Seine, j’ai fait la connaissance de Vitali Caplain (2014), Céline Moucer (2016) mais aussi d’Émilie, Christophe, Émeline, Camille et Estelle, tous bénévoles engagés avec sérieux et bonheur à la « Protec ». À l’invitation de Damien, je les ai accompagnés dans deux de leurs missions, une maraude et une garde au Samu.
Née au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la Protection civile a pour mission première d’aider les populations. Début mars, rendez-vous est pris un jeudi soir pour accompagner une maraude auprès des sans-abris du 8e arrondissement de Paris. Je retrouve Vitali Caplain, ingénieur dans un bureau d’études en environnement dans le bâtiment, Estelle et Camille à l’antenne de Paris 8–9 dont Vitali est le président. Mais ce soir, la cheffe d’équipe, c’est Estelle, 20 ans, étudiante en musique et violoncelliste. Car à la Protec, on s’engage jeune, dès l’âge de 16 ans. Camille est en classe de première et a 17 ans.
Aider, l’aspect social de la mission de la Protection civile
C’est lors de son stage FHM effectué à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) que Vitali a été formé au secourisme puis a rejoint la Protec qui propose des gardes plus courtes donc plus conciliables avec sa vie d’élève de l’X que celles de la BSPP qui durent 24 heures. Estelle, Vitali et Camille, vêtus de leur uniforme bleu et orange, m’emmènent dans leur camion qui arbore les mêmes couleurs et nous voilà partis dans les rues désertes d’un quartier très coté au Monopoly, pour en découvrir ses autres habitants. Ils leur offrent des boissons chaudes, leur proposent des vêtements, des produits d’hygiène, facilement acceptés. Nous croisons ainsi Rachid qui vient de Gibraltar et qui a un magnifique sourire, Charlie, d’origine africaine, qui nous parle longuement de la bonté de Dieu, mais aussi Alexandre, un Français, dont toutes les affaires ont été emportées pendant que la police le convoquait au commissariat… Notre passage lui permet de recevoir un sac de couchage, des vêtements, une brosse à dents avec du dentifrice et aussi d’être écouté dans son humiliante mésaventure. Plus tard, sur la plus belle avenue du monde, nous croisons Vitali, un Russe, qui n’en revient pas de croiser un autre Vitali, un Français cette fois. Et surprise, Estelle parle le russe – la fréquentation de Tchaïkovski peut-être ? – ce qui facilite la discussion car Vitali ne maîtrise pas bien le français. Les bénévoles ont des talents cachés bien appréciables pour la population internationale des sans-abris de la capitale. « Lors du premier confinement, il y a eu beaucoup de licenciements de métiers précaires », témoigne Estelle. « À Madeleine, beaucoup de sans-abris se retrouvent le soir sous les enseignes Ikea ou Decathlon pour s’abriter. Nous avons alors vu une dizaine de personnes nouvelles y chercher refuge. Il y avait trois amis qui travaillaient tous les trois dans le même restaurant, qui ont été licenciés en même temps et qui ont décidé de se serrer les coudes. » Les maraudes sont devenues des distributions de repas, deux ou trois par personne car la plupart des commerces étant fermés et les rues désertées, les sans-abris n’avaient plus de moyens de subsistance.
Aider, secourir, former, les trois missions de la Protection civile
Aider : maraudes nocturnes auprès des sans-abris.
Secourir : intervention pour les premiers secours (détresses respiratoires, malaises, blessures, détresses psychiques, AVC, arrêts cardiaques…) ; poste de secours pour les événements (matchs de football au Parc des Princes, festivals, manifestations, etc.).
Former : formations multiples aux premiers secours, pour les entreprises et le grand public.
Secourir, au cœur de l’action
Le dimanche qui suit, je rejoins Damien, un X 2020 passé d’abord par le bachelor de l’X, et son équipe : Émeline, 22 ans, la cheffe d’agrès, formatrice à la Protec en premiers secours en vue de passer les concours militaires de la Brigade des sapeurs-pompiers, qui pour l’instant sont sans cesse reportés à cause de la crise sanitaire ; Émilie, 25 ans, salariée à la Protec, en attente de résultats de concours ; et Christophe, 26 ans, dans la police nationale. Je les rejoins à midi à Gentilly pour le début de leur garde de 12 heures. Ils n’ont pas le temps de finir de déjeuner que la régulation Samu de l’hôpital Necker les appelle pour une intervention pour des premiers secours à une personne souffrant de gêne respiratoire avec suspicion de Covid. Je découvre que des opérateurs de la Protection civile interviennent avec le Samu pour effectuer des régulations. « La personne a appelé le 15 et il a été déterminé qu’elle avait besoin des premiers secours, ce que font les pompiers. Comme nous avons à peu près la même formation que les pompiers, le Samu nous envoie », m’explique Damien. Nous partons toute sirène hurlante dans le 16e arrondissement et là, Damien et Émilie revêtent la combinaison blanche réglementaire qui les protège des pieds à la tête lors des interventions Covid pour pénétrer chez la victime et établir son bilan. La suspicion Covid est écartée mais pas la gêne respiratoire de cette personne séniore aux nombreux antécédents médicaux. Ils l’évacuent vers l’hôpital Pompidou où elle est heureusement prise en charge rapidement. « Les interventions ont lieu dans tout Paris », précise Émeline, « mais en essayant de sectoriser pour éviter de perdre du temps. Plus le soir approche, plus les interventions ont lieu dans le nord de Paris où la densité de population est plus importante, ainsi que la promiscuité, ce qui augmente le nombre de cas Covid. »
La crise sanitaire, un amplificateur du rôle de la Protection civile
Comme Vitali, Céline Moucer (2016), en deuxième année au corps des Ponts et en stage à l’Inspection générale des finances, est une ancienne cheffe d’agrès à la caserne Blanche de la BSPP, formée lors de son stage FHM. Elle a rejoint la Protection civile récemment, à l’occasion de la crise sanitaire. Alors que 50 à 70 bénévoles parmi les 1 400 que compte la Protection civile Paris Seine sont engagés chaque jour, ils étaient environ 200 sur le terrain 24 heures sur 24 lors du premier confinement lorsque le flux des interventions a explosé. « Aujourd’hui nous sommes positionnés comme un échelon à part entière du dispositif de secours de l’État. L’utilité publique de l’association est devenue très forte. Nous sommes des bénévoles aux compétences professionnelles », constate Vitali. « Nous sommes presque un service public et sommes devenus nécessaires dans cette chaîne de secours. Aujourd’hui la préfecture, les pompiers savent qu’ils peuvent compter sur nous, par exemple en cas d’explosion ou d’attentat », ajoute-t-il. « Toutes les formations se sont arrêtées. À l’inverse les formations de préleveurs de tests PCR se sont mises en place et c’est nous qui réalisons les tests PCR à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Nous avons participé aux missions Chardon, les missions de TGV médicalisés entre Paris et le Grand Est. Des médecins du Samu étaient présents mais le transport des victimes était assuré par la Protec. Des bénévoles sont également intervenus auprès du Samu pour répondre aux appels du 15 car les appels ont énormément augmenté et une bonne partie de ces appels consistait en une demande de renseignements. Nous avons eu des missions d’accueil du public et de logistique dans les Ehpad qui ont pu avoir des difficultés avec leur personnel et être submergés par les sollicitations. Aujourd’hui nous sommes loin d’avoir retrouvé un rythme normal car les événements (sportifs ou culturels) n’ayant pas repris, nous n’avons toujours pas de postes de secours, pourtant notre source de financement principale. L’association est formée de bénévoles mais nous facturons à nos clients les postes de secours privés, ce qui permet de financer les véhicules d’intervention, les uniformes, les locaux, etc. Depuis la crise sanitaire, l’ARS (Agence régionale de santé) subventionne nos actions au prorata du nombre d’heures passées en interventions, ce qui reste insuffisant. Nous avons lancé une campagne de dons pendant le confinement, qui est toujours ouverte. C’était la première fois que la Protec demande des dons. Normalement, grâce aux postes de secours et aux formations, nous sommes autonomes financièrement. »
Formations à la Protection civile
PSE1 : premiers secours en équipe, faire le bilan des victimes, gérer une victime dans son ensemble.
PSE2 : maîtriser les moyens de relevage et de brancardage.
Au minimum dans une garde, il faut trois bénévoles de niveau PSE2.
Ces diplômes sont reconnus par l’État.
Suivent des formations en interne :
CE : le chef d’équipe, qui gère les secours, est responsable du bilan.
CP : le chef de poste qui est responsable d’un poste de secours.
Chef d’équipe prompt secours : il est responsable de l’intervention dans son ensemble et a sous sa responsabilité le chef d’équipe. Il doit avoir de très bonnes connaissances en secourisme, très bien maîtriser le référentiel.
Une motivation forte pour servir et être utiles
Ce qu’ils aiment dans leur engagement à la Protec ? « On se sent utile. Pendant les maraudes c’est particulièrement exacerbé car on va à la rencontre des gens, on discute avec eux et, la plupart du temps, on échange des sourires. Les profils des bénévoles sont très variés et j’apprécie aussi de ne pas rester dans le même milieu tout le temps », me dit Vitali. « J’aime les interventions de secourisme, être au contact des gens, prendre la décision la meilleure possible pour eux », détaille Céline. « Il y a un aspect que j’ai découvert : c’est la montée en compétences des secouristes, la pédagogie de gestion d’équipes (garder les bénévoles motivés, rester rigoureux sur les gestes), ce qui diffère de mon expérience à la BSPP dans la mesure où nous encadrons des bénévoles. À côté de mes études, ça me met en contact avec la réalité du terrain, avec la réalité des situations difficiles, et ça rend réelle la crise sanitaire quand on n’est pas trop touché dans son entourage. » Damien aime transmettre et travailler avec les gens. « C’est une mission où il faut être empathique, c’est-à-dire être en capacité de voir la douleur de la personne, de l’accompagner du mieux possible, vouloir qu’elle se sente bien, mais sans se mettre à sa place, pour garder une bonne distance. Pendant le bachelor, j’avais besoin d’extérioriser, de faire autre chose. » Pour Émeline, le fait qu’ils soient tous bénévoles induit un état d’esprit qui les rapproche beaucoup. « Nous sommes une très belle bande de potes, nous vivons des choses assez fortes, nous sommes amenés à nous dépasser, en équipe, ce qui donne un fort esprit de corps. » Pour Christophe, la Protec complète sa mission professionnelle : « Dans la police, on ne fait pas énormément de secours à la personne et ça me manquait. Quand une victime nous remercie, ça nous donne l’envie de nous engager davantage. Si tout le monde donnait un petit peu de son temps, on vivrait dans une société meilleure. » Émilie, comme les autres, aime le secourisme. « Je fais aussi de la formation aux premiers secours et c’est très intéressant. Mais dans le secourisme, il y a plus d’adrénaline et d’actions concrètes. »
Les X dans la Protection civile
Pour des polytechniciens passés par un stage FHM qui les a formés au secourisme, la Protection civile se présente comme une suite logique. Vitali compte plusieurs camarades dans son antenne : « Lors du premier confinement, les élèves qui avaient fait leur stage chez les pompiers se sont retrouvés comme beaucoup de gens sans avoir rien à faire et ont proposé leurs services. Je me suis occupé de leur recrutement. Ils étaient une quinzaine qui nous ont bien aidés car ils ont une formation de chef que l’on peut mettre trois ou quatre ans à atteindre en interne ici. Certains sont restés, dans mon antenne ou celle de Damien. » C’est aussi un engagement très mixte. De la promotion 2016 de Céline, trois filles et trois garçons se sont engagés. Leur joie et leur camaraderie entre bénévoles sont communicatives. « Nous sommes tous là pour le plaisir, de manière volontaire, il y a toujours une bonne ambiance. La crise sanitaire et le confinement ont tissé des liens très forts entre nous », témoigne Damien. « Lors de la première garde que j’ai prise à mon compte, nous avons failli avoir un accouchement à l’arrière du camion. Nous avons juste eu le temps de l’amener à l’hôpital, le bébé est né à peine arrivé, et la maman nous a fait appeler quelques instants plus tard pour nous le présenter, un petit Élie », raconte Céline. À la Protec, pour les X et leurs compagnons, c’est service, amitié et adrénaline garantis. Un autre programme de vie d’excellence.
Portrait de Damien Bradelle, X bachelor devenu X2020, à l’initiative de ce reportage
« Rien ne me prédestinait à faire le bachelor de l’X. Mes parents n’ont pas fait d’études supérieures ; ils n’ont pas le bac, sont employés en entreprise. Ma doctrine a toujours été de bien travailler, mais nous ne parlions pas équation différentielle à table le soir, à la différence de certains de mes camarades. Au lycée, je voulais aller en filière économique et social car mon projet était de faire Sciences Po. Mes professeurs m’ont conseillé d’aller en S, car je pouvais toujours tenter Sciences Po. En terminale, j’ai eu Sciences Po Paris, mais je suis allé sur le site de l’X où j’avais vu qu’ils ouvraient le bachelor et j’ai postulé. C’est en anglais, c’est drôle, c’est nouveau. Je suis volontiers iconoclaste, je n’aime pas être comme les autres. Et j’ai été pris dans la première promo. Et je suis allé visiter le campus – il faisait beau ce jour-là – c’était très agréable, je me suis dit que je serai bien au bachelor de l’X. Mon projet initial était de faire maths économie, et ensuite d’intégrer Sciences Po en master. Finalement j’ai fait maths physique puis je suis allé à l’EPFL en troisième année et j’ai recandidaté à Sciences Po. Par défi, j’ai aussi voulu tenter le concours de l’X. J’avais envie d’aller à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris pour mon stage FHM. J’ai passé le concours, je savais que j’avais Sciences Po, et j’ai eu le concours de l’X. Maintenant mon projet est de faire ma 4A à Sciences Po. »
Protection civile Paris Seine
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