En Israël, la chimie du vivant au milieu du désert
REPÈRES
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Dans un pays désertique et sans pétrole, l’industrie chimique s’est développée à partir des ressources minérales exceptionnelles de la mer Morte. Là où aucune vie n’est possible, au point le plus bas du globe, les premiers immigrants juifs ont fondé Dead Sea Works, ancêtre de la société Israel Chemicals, qui contrôle aujourd’hui un tiers de la production mondiale de brome et quelque 10 % de la production de magnésium et de potasse.
L’indice boursier » T A‑25 » des 25 plus grosses capitalisations de la Bourse de Tel- Aviv est dominé par les entreprises de chimie, pharmacie, pétrochimie et désormais d’exploitation pétrolière.
Le chimiste Haïm Weizmann a été le premier président d’Israël en 1948
Cela paraissait peu probable il y a cent ans lorsque sont nées les premières entreprises de la région, avant même la création de l’État d’Israël. Cela ne colle pas non plus avec l’image répandue aujourd’hui d’une nation portée par ses start-ups.
Les besoins essentiels
La naissance de l’État moderne d’Israël doit beaucoup à la chimie, ou plutôt au chimiste Haïm Weizmann qui devint le premier président de l’État en 1948. L’industrie chimique est alors typique des pays en voie de développement, tournée vers les besoins essentiels d’une nation en guerre avec tous ses voisins et boycottée par les grandes multinationales sous la pression des pays arabes.
Des herbicides à l’agrochimie
La société Agan Chemical produisait, depuis sa création à Jérusalem en 1945, des herbicides et du DDT pour l’éradication de la malaria en Israël. Elle s’est spécialisée dans la réplication de spécialités agrochimiques tombées dans le domaine public, dont l’agriculture naissante avait un besoin massif mais qu’elle ne pouvait pas importer.
La société s’est développée à l’international à partir des années soixante-dix lorsque l’économie du pays est parvenue à l’âge adulte, profitant de la détente symbolisée par l’accord de paix avec l’Égypte en 1979. Le groupe Makhteshim Agan est aujourd’hui en tête de l’agrochimie générique dans le monde.
Des chameaux aux génériques
L’afflux des scientifiques juifs du monde entier dans les années 1930 a permis la naissance des premiers laboratoires avant la création de l’État d’Israël.
Les phases de développement du groupe Teva sont très similaires : distribution de quelques médicaments à dos de chameaux il y a cent ans ; premières usines avec l’afflux de scientifiques juifs venus d’Europe dans les années trente ; production de masse après la création du pays pour faire face aux pénuries d’une population en forte croissance soumise au boycott des groupes pharmaceutiques mondiaux ; consolidation en Israël et exportations dans les années soixante-dix, quatre-vingt, puis croissance externe effrénée à l’international depuis les années quatre-vingt-dix.
Le groupe est désormais le spécialiste mondial des médicaments génériques, emploie 40000 personnes à travers le monde et a développé son propre portefeuille de molécules originales, à travers le financement de laboratoires universitaires.
Ses médicaments phares pour le traitement de la sclérose en plaques, de la maladie de Parkinson et de la maladie d’Alzheimer (médicament récemment vendu) sont issus respectivement des éprouvettes de l’Institut Weizmann, du Technion de Haïfa et de l’Université hébraïque de Jérusalem, les trois principaux centres de recherche israéliens.
Une découverte récente de gigantesques gisements de gaz et sans doute de pétrole
Du pétrole à l’horizon
Le pays compte bien sûr des raffineries de pétrole, quelques usines de pétrochimie et un peu de chimie de spécialités. Il était difficile de faire mieux sans pétrole. Mais les choses pourraient changer du tout au tout, avec la découverte récente de gigantesques gisements de gaz et sans doute de pétrole. Il faut espérer que cette soudaine abondance ne nuira pas à la fantastique inventivité forcée de la chimie israélienne.
Créer un marché régional
Concrétions salines à la surface de la mer Morte. Une mer stérile qui a donné naissance à l’industrie chimique locale. |
L’étape suivante sera de parvenir à la paix dans la région, qui permettra de créer un marché régional aujourd’hui inexistant. Du point de vue des chimistes, les débuts étaient prometteurs. Haïm Weizmann avait signé en 1918 un accord avec le prince Fayçal d’Irak pour une cohabitation entre les populations juives et arabes au Proche-Orient. Ouvriers juifs et arabes travaillaient ensemble dans les années 1930 à l’exploitation de la mer Morte, malgré les premières difficultés politiques.
Depuis l’indépendance d’Israël, l’Arab Potash Company, soeur jumelle de Dead Sea Works, exploite les minéraux de la rive jordanienne de la mer Morte. Israël et la Jordanie, officiellement en paix depuis 1994, ont des rapports commerciaux limités, et coopèrent de façon symbolique pour la préservation de la mer Morte.
De même, l’Égypte échange peu avec Israël malgré l’accord de paix de 1979 : 0,3% de ses importations viennent d’Israël, et sont constituées de textiles, médicaments, engrais, produits chimiques et pétrochimiques. Ressources naturelles, technologies, clients, terrains disponibles : presque toutes les conditions sont réunies pour la création d’un pôle industriel puissant dans le domaine de la chimie, au profit de toutes les populations du Proche- Orient. Il manque juste un catalyseur.
Trois prix Nobel de chimie
L’industrie chimique israélienne est clairement » bipolaire « , entre d’une part le minéral pur et d’autre part la chimie du vivant. Elle s’appuie sur une recherche performante tournée vers le monde du vivant, récemment honorée de trois prix Nobel de chimie : Avram Hershko et Aaron Ciechanover du Technion en 2004 pour leurs travaux sur la dégradation des protéines contrôlée par l’ubiquitine, puis Ada Yonath de l’Institut Weizmann en 2009 pour ses travaux sur la structure des ribosomes.