En quête d’espoirs : tour de France à la rencontre des imaginaires
Quatre étudiants de la promo 2020 finalisent actuellement un projet de reportage et d’enquête sociologique itinérante intitulée En quête d’espoirs, qui les a menés à travers la France pour comprendre comment la population française se projette dans le futur, notamment par rapport au défi écologique. Voici le témoignage et les premières conclusions de l’un des porteurs du projet. Documentaire et livre blanc à venir.
En quête d’espoirs : un tour de France sociologique pour comprendre les aspirations des Français
Romain Loubière (X20) fait partie du projet En quête d’espoirs, un projet de reportage et d’enquête sociologique itinérante porté par quatre étudiants en césure (dont trois X20) pour comprendre comment les Français se projettent dans le futur. Autour d’un constat de départ, la nécessité d’une transition socio-écologique, ces étudiants et étudiantes ont réalisé des entretiens semi-directifs pour appréhender la relation au futur des Français et des Françaises. Arrivent-ils à se projeter ? Quel futur leur paraît le plus probable pour notre société ? Que serait un futur désirable ?
En effet, si des travaux sont en cours sur les trajectoires d’une transition écologique, sociale et énergétique, on en sait encore peu sur la manière dont les citoyens perçoivent l’impact concret et matériel de ces trajectoires sur leurs modes de vie ou sur l’organisation de la société. L’objectif de ce tour de France, réalisé en van aménagé par les porteurs du projet, était d’aller à la rencontre des préoccupations et des perceptions des Français en métropole.
« Les quatre étudiants ont sillonné douze régions et une quarantaine de communes. »
Pour diversifier les points de vue et chercher à représenter la population française le plus fidèlement possible, notamment en termes d’âge, de genre, de classes sociales, de types de territoire, les quatre étudiants ont sillonné douze régions et une quarantaine de communes. Avant leur départ, le groupe s’est tourné vers Camille Beaurepaire (Insee, CMH), professeur de statistiques dans le parcours d’approfondissement « Affaires publiques » à l’X, pour constituer leur grille d’entretien et leur panel. À chaque étape, ils menaient une petite dizaine d’entretiens individuels et cherchaient aussi à rencontrer des élus, des associations, des experts du territoire leur permettant de compléter le regard des citoyens.
Voici quelques éléments issus de leurs carnets de bord : la découverte d’un centre de traitement de déchets à Lille, la visite de l’exploitation d’un viticulteur en Nouvelle-Aquitaine, une balade à Oléron pendant la saison creuse, des réflexions sur le futur avec des élèves de maternelle d’une école en banlieue toulousaine… Autant d’échanges qui seront à retrouver dans un documentaire et dans un livre blanc à paraître courant 2025, et sur leurs comptes LinkedIn et Instagram. Dans le cadre du présent dossier, nous avons interrogé Romain qui est un des porteurs du projet, pour comprendre leur démarche, mais aussi les positionnements, entre réformisme et radicalité, des personnes avec qui il a réalisé ces entretiens au sujet du futur.
Romain, pourrais-tu nous raconter la genèse du projet En quête d’espoirs ?
L’idée d’un tour de France des imaginaires du futur a été évoquée par Eulalie [NDLR : Eulalie Chabert, X20] pendant notre stage de deuxième année au ministère de la Transition écologique. Nous avons fait le constat que la construction des trajectoires climatiques réalisées à Paris, à la Défense, ne s’appuyait que très rarement sur l’opinion publique. Les personnes qui travaillaient sur ces projets ne cherchaient pas à consulter les Français sur le futur qu’ils souhaitaient, ni à leur faire connaître les directions envisagées par l’État.
En fin de troisième année, nous arrivions à un bon moment pour ce projet, réalisé pendant notre année de césure. Nous nous posions tous et toutes beaucoup de questions concernant nos propres futurs, notamment dans la perspective d’une crise écologique. C’est dans ce contexte que nous avons construit le projet d’aller rencontrer directement les habitants et habitantes de la France, pour parler avec eux du futur. Si l’écologie était au cœur de nos préoccupations personnelles, nous n’avons pas imposé ce sujet dans nos entretiens. Nos problématiques sont tournées vers la vision générale du futur, afin de faire émerger les thématiques qui paraissent pertinentes à chaque personne. C’est pour répondre à toutes ces questions que nous sommes partis sur les routes du pays.
Nous avons aménagé un van nous-mêmes, nous nous sommes formés à la sociologie pour réaliser des entretiens et aux techniques audiovisuelles pour enregistrer et filmer les individus. En effet, filmer les individus nous permettra de diffuser notre travail auprès du grand public, avec un support plus accessible que notre livre blanc, ce qui est un objectif essentiel du projet. D’abord, nous posons des questions aux personnes qu’on interviewe. Ensuite, nous espérons que notre documentaire permettra aux spectateurs de s’interroger aussi sur ces thèmes-là.
« Nous avons cherché à impliquer l’ensemble de la société. »
Afin de financer notre projet, nous avons cherché à impliquer l’ensemble de la société, car nous sommes convaincus que, pour penser l’avenir, il faut intervenir et faire dialoguer les secteurs public et privé ainsi que la société civile. C’est pourquoi nous avons reçu le soutien de l’Institut Veolia qui a accepté de devenir mécène du projet. Nous nous sommes tournés vers Veolia car c’était notre parrain de promotion, mais aussi parce que nous avons été sensibles à leur « raison d’être » ; cette raison d’être n’est pas uniquement tournée vers le profit, elle a une vocation affichée de participer au développement durable, écologique et social. Côté public, nous avons dialogué avec le ministère de la Transition écologique, avec l’Assemblée nationale, ainsi qu’avec le Secrétariat général à la planification écologique. Enfin, les citoyens sont impliqués grâce à une campagne de crowdfunding qui nous permet de fédérer autour du projet.
Alors que vous venez d’achever votre tour de France, pourrais-tu nous décrire l’itinéraire et les personnes que vous avez rencontrées ?
Nous sommes partis en février de cette année 2024. Nous avons fait au total six mois sur les routes pendant lesquels nous avons interviewé 150 personnes. Nous n’avons pas filmé tous nos entretiens : certains ont été filmés pour le documentaire, mais la plupart serviront essentiellement pour notre livre blanc. Nous avons voulu une représentativité de ce qui fait la population française. Nous avons donc isolé quelques critères sociologiques comme le genre, l’âge, les revenus, la classe socioprofessionnelle.
En fonction du type de personne que nous interrogions pendant une étape, nous adaptions nos entretiens à l’étape suivante pour équilibrer le plus possible notre échantillon. Nous avons aussi cherché à représenter la diversité des territoires : les grandes villes, les milieux plus ruraux, les milieux un peu intermédiaires périurbains par exemple. Nous avons consacré deux semaines à chaque région administrative. Pour chacune d’entre elles, nous avons cherché à explorer toutes les faces du territoire : par exemple, pour une région littorale, nous avons travaillé sur le bord de la mer, mais aussi sur l’arrière-pays.
Qu’est-ce que tu retires, toi, de ces entretiens ?
Tout d’abord, j’ai pris conscience d’un pessimisme ambiant dans la population française. J’ai aussi été frappé par l’existence d’une forme de dissonance entre ce que les gens pensent du futur de la société, qu’ils perçoivent très négativement, et leur futur à eux. C’est quelque chose que nous avons trouvé intéressant, parce qu’il y en a qui peuvent nous dire : « Oui, en fait à l’avenir il y aura la guerre, il y aura des famines… Mais moi, mon avenir ça va, je vais faire telle carrière, j’ai tel projet pour ma retraite, etc. » Je pense que les personnes peuvent ressentir un pessimisme énorme à l’échelle de la société, parce qu’elles sentent qu’elles ont moins de prise dessus que sur leur propre avenir. C’est une analyse personnelle, je ne sais pas à quel point c’est vrai.
“Une dissonance entre ce que les gens pensent du futur de la société, qu’ils perçoivent très négativement, et leur futur à eux.”
Quelque chose aussi qui nous a marqués, c’est que les rares personnes qui étaient optimistes l’étaient plutôt par attachement à une position morale. Leur optimisme, c’était de dire : « Voilà, je suis optimiste parce qu’il faut être optimiste. » Mais quand on leur demandait : « Qu’est-ce qui te rend vraiment optimiste ? », il n’y avait pas beaucoup de choses factuelles et concrètes. Au contraire, les personnes qui étaient pessimistes l’expliquaient par une liste, parfois très longue, de choses concrètes qui les rendaient pessimistes.
Les imaginaires d’une meilleure société étaient souvent pensés en opposition à la société actuelle, où les gens sont très conscients de ce qui ne va pas, selon eux. Une société meilleure serait une société où on résout juste les problèmes actuels. Les gens évoquent particulièrement la perte de liens sociaux, la déconnexion des personnalités politiques et notre modèle de gouvernance qui bat de l’aile, l’écologie et l’inflation, ou encore la défaillance du service public (santé, éducation).
Le thème de ce dossier est « Entre radicalité et réformisme ». Quand tu parles de résoudre les problèmes de la société, est-ce que c’est par des transformations radicales, ou est-ce plutôt via des réformes de l’intérieur ? Comment les gens avec qui tu as pu t’entre-tenir perçoivent ces questions ?
Cette réflexion a été très présente au cours de notre parcours. Nous avons rencontré des personnes pour qui le système actuel allait dans le mur et devait être complètement réinventé. Pour ces personnes-là, cela passe souvent par des ruptures : des révolutions, des soulèvements, des guerres ou des crises, liées aux inégalités sociales et à l’écologie. Il y a beaucoup de personnes qui nous ont parlé de guerre civile ou de fracture sociale.
Au contraire, nous en avons rencontré d’autres qui craignaient énormément ces ruptures. Ils ont très peur d’une révolution, de quelque chose qui soit trop abrupt, trop brutal. Pour ceux-là, des petits changements à la marge, dans le bon sens, suffisent. Mais il ne faudrait pas aller trop vite parce que ça deviendrait dangereux. Là-dessus, le débat a été très polarisé, surtout à la fin de notre enquête, par les élections où il y avait un peu cette opposition entre les extrêmes, qui veulent aller trop vite trop fort, et les autres qui sont plus modérés, plus réformistes.
Et ces personnes plus radicales, elles changent des choses dans leur vie ? Avez-vous par exemple rencontré des personnes vraiment à la marge de la société ?
Nous avons rencontré des personnes qui poussent la réflexion jusqu’à la mise en pratique. Je pense particulièrement à une personne qui était survivaliste. Elle avait préparé l’effondrement de la société : elle avait enterré de l’eau à certains endroits, elle avait également plusieurs sources de nourriture cachées. Lorsque nous l’avons rencontrée, elle a surtout voulu nous transmettre de bons réflexes et nous a pressés de quitter Paris et d’en faire partir nos familles car, selon elle, cela va bientôt partir en fumée.
Nous avons aussi rencontré un couple qui construisait sa propre maison pour être autonome, ce que ne comprenaient pas leurs voisins. De manière plus modérée, des individus pensent que le système pourrait se réinventer en étant moins centralisé et beaucoup plus à l’échelle locale. C’est là qu’il y a beaucoup d’espoirs : à l’échelle locale, à l’échelle associative. Beaucoup de personnes décident de s’engager localement pour changer les choses à leur échelle. Certains rejoignent des associations locales, voire s’engagent dans leurs milieux politiques de proximité !
Est-ce que tu avais l’impression que l’écologie en particulier était importante pour les personnes que vous avez rencontrées ?
Dans nos entretiens, nous avons laissé les personnes s’exprimer librement : certaines personnes ne nous parlaient pas du tout d’écologie. Une fois, dans la discussion, j’ai demandé à la personne de parler du réchauffement climatique. La personne ne savait pas ce que cela voulait dire. On a pu constater pendant les entretiens qu’il y avait plusieurs niveaux de prise de conscience : certains, assez rares quand même, ne sont pas du tout conscients de la crise écologique. D’autres en sont conscients, mais n’en perçoivent pas vraiment ni complètement les tenants et aboutissants. Ils ne mettent pas forcément en relation des réflexes qu’ils ont pris, comme le tri ou le fait de ne pas jeter de déchets dans la nature, avec les conséquences que cela pourra avoir sur leur vie à court, moyen et long termes.
Parmi les personnes avec lesquelles nous avons discuté, certaines considèrent qu’il y a trop de culpabilisation autour de l’écologie. Certains pensent que ce n’est pas à nous de faire des efforts, parce que la Chine ou les États-Unis polluent beaucoup plus. Il y a des sujets qui polarisent énormément, comme l’avion et la voiture. Nous avons rencontré des individus qui affirment qu’il est impossible de se passer de voiture dans les campagnes. Selon eux, il y aurait donc une rupture entre des décisions technocratiques qui viendraient de Paris et la réalité de leur quotidien, avec par exemple l’interdiction de la voiture à des personnes qui en ont un besoin vital. Enfin, il y a des personnes pour qui l’écologie est un sujet central de leur vie. On a rencontré des personnes qui étaient totalement climato-anxieuses, pour qui c’était vraiment pesant au quotidien.
Comment cette expérience a influencé ou va influencer ton parcours de vie, en tant qu’élève ingénieur polytechnicien ?
Humainement, c’était une expérience très riche parce que ça nous a permis de nous confronter à une altérité que nous n’avions pas forcément l’occasion de rencontrer et avec qui échanger pendant nos études d’ingénieur, où l’on se centre sur un lieu très homogène socialement. Nous sommes partis dans une démarche d’humilité, où l’on se mettait vraiment à l’écoute de ce que nous disaient les personnes. Je pense que cela nous a beaucoup formés. On se rend compte qu’il n’y a pas une seule vérité, qu’il y a juste plusieurs prismes.
Concernant l’influence de ce projet sur mon parcours, initialement j’avais pour ambition de poursuivre dans le domaine des affaires publiques. Je voulais aller dans la haute administration et faire de la politique. Après ce voyage, je ne me sens plus du tout légitime pour imposer ma vision du monde. J’aimerais à présent m’orienter vers quelque chose qui pour moi a plus de sens : l’éducation. C’est un sujet qui est beaucoup revenu dans les entretiens et sur lequel les gens misent beaucoup pour le futur. Les avis oscillent entre retour de l’autorité en classe, respect des profs, etc., et un réformisme en faveur d’une éducation plus adaptée aux enjeux actuels, avec plus de travaux en groupe, des cours pour améliorer un peu les relations humaines.
Si notre projet vous intéresse, vous pouvez nous suivre sur Instagram ou LinkedIn : En quête d’espoirs. Et, si vous aussi vous souhaitez soutenir notre démarche et participer au projet, vous pouvez contribuer à notre campagne de financement participatif : https://fr.ulule.com/en-quete-d-espoirs/. Nous avons besoin de votre soutien pour financer la postproduction de notre documentaire (montage, étalonnage, mixage…). Un grand merci à toutes les personnes qui croient en notre projet et à un avenir plein d’espoirs !
Références :
- À propos de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) développée par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires : https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/strategie-nationale-bas-carbone-snbc
- À propos de la répartition historique des émissions de CO₂ par les pays : Sur la totalité des émissions de CO₂ rejetées dans l’atmosphère depuis 1850, 20,3 % proviennent des États-Unis, 11,4 % de la Chine et 14,5 % de l’Union européenne. Source : Carbon Brief – https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/01/infographie-etats-unis-union-europeenne-et-chine-cumulent-pres-de-50-des-emissions-mondiales-de-co2_6100539_3244.html